Réplique à François Deschamps

Évoquer les Patriotes pour justifier le nationalisme civique : une imposture !

Fête des Patriotes 2008


[Évoquer les Patriotes de 1837-38 pour convier les indépendantistes contemporains->13541] à accepter le multi-trans-interculturalisme ou le nationalisme strictement civique, c’est une imposture et ça va faire !
Je suis un indépendantiste inconditionnel. Par conséquent, tant mieux si tel individu veut l’indépendance strictement parce qu’il croit que cela augmentera le PNB ou le taux de croissance. Mais je doute fort, très fort même, qu’un discours dénué de toute dimension identitaire convainque la multitude. Au sein de la fédération, le Québec n’est pas victime d’injustice en raison de sa seule situation géographique, ou de son seul climat, ou de quoi que ce soit du genre. Il est bafoué parce qu’y vit encore une majorité de langue française, une majorité canadienne-française, une majorité héritière des conquis de 1760. Et le mouvement indépendantiste contemporain est précisément né de la volonté d’assurer la survie et l’épanouissement de ce qu’on appelait naguère la nation canadienne-française.
À l’époque des Patriotes, le Bas-Canada était directement subordonné à la métropole britannique, mais pas encore mis en minorité à l’intérieur d’une structure politique plus vaste. Les élus du peuple n’y détenaient aucun pouvoir, les gouvernants étant nommés par Londres et responsables uniquement devant Londres. Le caractère antidémocratique du régime était flagrant, de même que le mépris des droits politiques et civiques d’une population massivement canadienne-française. Dans ces conditions, la lutte pour l’obtention du gouvernement responsable équivalait de facto à une lutte pour l’indépendance nationale et c’est pourquoi le recours à des arguments de type identitaire ne s’imposait guère.
Il en va tout autrement depuis l’Acte d’Union et notre intégration à une structure politique où nous sommes vite devenus minoritaires et le devenons de plus en plus. Tant à Ottawa qu’à Québec, les gouvernants sont élus. Nos droits politiques sont donc formellement, je dis bien formellement, reconnus. Du point de vue purement civique et non identitaire où MM. François Deschamps, Philippe Navarro et tutti quanti voudraient que nous nous placions tous, qu’importe à vrai dire que le parlement devant lequel le gouvernement est responsable soit celui d’Ottawa plutôt que celui de Québec ! Qu’ils préfèrent quant à eux celui de Québec, je m’en réjouis, encore que je ne vois pas à quoi cela rime de nier cette évidence que c’est parce qu’y siège encore une forte majorité d’élus canadiens-français.
En démocratie, la nation doit élire ses gouvernants ou, si l’on veut, être gouvernée par ses élus. Encore faut-il savoir de quel genre de nation on parle. Si la nation, c’est seulement la population à l’intérieur de certaines frontières, sans égard à la langue, à la culture et à l’histoire, alors, dites-nous donc, messieurs-dames, pourquoi diable une nation ici et une autre là ? Mais si la nation, c’est, au-delà bien sûr de l’origine ethnique, l’ensemble des individus qui se réclament d’un même héritage culturel et historique, alors là, la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme reprend tout son sens et, du même coup, toutes ses chances de succès.
C’est une constante de l’histoire : les peuples soumis à une domination coloniale sans être mis en minorité sont privés de presque tous les droits politiques et civiques parce que l’octroi de ces droits, je le répète, équivaudrait de facto à l’octroi de l’indépendance nationale, ce à quoi s’opposent les métropoles. Mais aux peuples colonisés devenus minoritaires, ces droits sont en général généreusement reconnus parce que dès lors parfaitement compatibles avec le maintien de la domination coloniale. C’est pourquoi ces peuples-là, dont le nôtre, ne peuvent, dans leur lutte pour l’indépendance, se contenter de slogans comme « gouvernement responsable », « pas de taxation sans représentation » ou « à bas le déséquilibre fiscal ». C’est pourquoi ils ne peuvent faire l’économie d’arguments de type identitaire, des arguments auxquels eurent d’ailleurs recours les Rouges d’Antoine-Aimé Dorion, héritiers directs des Patriotes, dans leur lutte contre le projet de confédération. Et c’est pourquoi, enfin, ils doivent promouvoir une démocratie dont les acteurs soient les nations au sens culturel et historique du terme et non strictement les individus, les individus réduits à leur définition juridique, les individus coupés de leurs racines, les individus tels que les préfèrent et les façonnent les néolibéraux actuels, agents actifs de l’impérialisme anglo-américain.
Luc Potvin

Verdun


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2 commentaires

  • Luc Potvin Répondre

    26 mai 2008

    Monsieur Philippe Navarro alias Christian Potvin,
    Je reformule votre question.
    Comment voulez-vous que, sauf exceptions bien sûr, un non-Canadien-français se sente interpellé par quelque argumentaire que ce soit en faveur de l’indépendance du Québec ?
    À l’époque des Patriotes, même s’il ne s’agissait que d’une minorité dans la minorité, il y avait bien, toutes proportions gardées, plus d’Anglos favorables à l’indépendance du Bas-Canada qu’il n’y en a aujourd’hui de favorables à l’indépendance du Québec.
    Est-ce parce que nous étions plus « ouverts » en ce temps-là et que nous le serions moins aujourd’hui ?
    Foutaise ! Méga-foutaise ! J’ai expliqué pourquoi dans ma réplique à M. Deschamps. Au temps des Patriotes, le caractère antidémocratique du régime était plus qu’évident, il était flagrant. Et, dans le contexte d’un Bas-Canada directement subordonné à la métropole britannique, prôner la démocratie équivalait alors, de facto, à prôner l’indépendance nationale. Même des Britanniques pouvaient en convenir et épouser notre cause.
    C’est infiniment moins évident aujourd’hui. La responsabilité ministérielle a été accordée. Juridiquement, nous, les héritiers des conquis de 1760 et des réprimés de 1837-38-39, nous sommes des citoyens au même titre que les autres. Le Québec est, officiellement, un État fédéré. Or, personne ne soutiendra qu’en soi, une structure fédérale est quelque chose d’anti-démocratique. Enfin, aux yeux de la plupart des Anglos, du Québec ou d’ailleurs, les injustices dont nous pouvions nous plaindre au temps des Patriotes ont été corrigées, effacées. Nous voulions un gouvernement responsable ? Nous en avons maintenant deux !
    Je suis bien conscient que tout cela est un épais écran de fumée qui masque la nature toujours coloniale du régime et que, face à Ottawa, nous sommes, quant au fond, quant au fin fond des choses, dans la même position que jadis face à Londres. Sauf que, depuis l’Acte d’Union en 1840 et l’avènement du gouvernement responsable en 1848, tout cela se passe formellement dans le respect des règles démocratiques. Aussi, que nous leur tendions la main ou non, que nous leur ouvrions nos bras ou non, rarissimes sont les Anglos qui y trouvent à redire, qui même peuvent y trouver à redire. Pour eux, les gouvernements sont élus, les principes démocratiques sont donc respectés, notre niveau de vie est élevé, il n’y a donc pas de nation opprimée et nous ne sommes que des braillards. Si vous pensez les convaincre en ne leur parlant que de déséquilibre fiscal ou autres dysfonctions du genre à supprimer au moyen de l’indépendance, alors c’est vous qui croyez à la Fée des étoiles : le PQ et le Bloc n’ont fait que ça pendant des lustres et sans résultats.
    L’idéal républicain ? Je ne suis pas contre, loin de là. Mais qu’est-ce à dire au juste ? Encore là, nous ne sommes plus au XIXe siècle, quand république était à toutes fins utiles synonyme de démocratie. Aujourd’hui, qui soutiendra que des monarchies constitutionnelles comme la Suède ou le Danemark, par exemple, sont moins démocratiques, dans les faits, qu’une république comme les États-Unis ? Ah! je vois : on va dire aux Anglos de Montréal qu’un Québec indépendant sera une république et non une monarchie constitutionnelle comme la Confédération et, hop ! ils vont tous être emballés, ils vont bondir de joie et nous appuyer sans réserves ! Ouais… Qui s’illusionne ? Et qui vit dans le passé ?
    J’ai dit plus haut que je suis conscient que les règles démocratiques que respecte le régime fédéral ne sont au fond qu’un épais écran de fumée qui masque notre condition coloniale. J’en suis conscient, oui, parce que, pour moi, la nation qui, démocratiquement, doit être gouvernée par ses élus, ce n’est pas la nation purement civique (un concept dont vous dites vous moquer, tant mieux), mais bien la nation héritière des conquis de 1760, la nation historique. J’ai bien dit la nation héritière, pas la nation descendante, prière de le noter. Quiconque s’identifie à cette nation-là en fait partie, peu importent ses origines. On est bien loin là de l’ethnicisme, bien loin là de la mystique du sang, et plus encore de je ne sais quel blanchisme (lequel est d’ailleurs plus populaire dans la pourtant vertueuse république voisine, malgré Obama).
    Seulement, contrairement je dis ne pas à vous car je n’en sais trop rien, mais contrairement à plusieurs autres anti-identitaires forcenés (appelons-les ainsi), je ne regarde pas d’un cœur léger l’actuelle dissolution des nations, au sens culturel et historique du terme, dans un magma mondialiste à saveur anglo-américaine et néolibérale. La gauche, pour moi, c’est, contrairement à la droite, la défense des petits contre les gros, des faibles contre les forts, sinon ce n’est rien, rien de rien. C’est aussi l’humanisme véritable, en vertu duquel l’humain est envisagé sous tous aspects, pas seulement l’économique et le juridique comme s’y plaisait un Trudeau. Que mes droits civiques soient respectés et mon niveau de vie élevé, tant mieux. Mais si la nation à laquelle j’appartiens disparaît, c’est alors une partie de mon être qui disparaît et aucun droit civique, aucune fortune ne pourraient m’en consoler. Cela vaut pour ma nation et cela vaut aussi pour toutes les nations.
    Luc Potvin

  • Archives de Vigile Répondre

    26 mai 2008

    Admettons un instant que vous ayez raison pour les fins de l'exercice. Mettons par conséquent l'accent sur l'identitaire canadien-français pour faire l'indépendance.
    J'utilise comme vous, à dessein, l'expression 'canadien-français' car je crois que la construction 'québécoise' n'a décidément pas pris. Ce que, du reste, vient de nous rappeler Gérard Bouchard.
    Il y à peine 6 millions de Québécois sur bientôt 8 qui sont canadiens-français. Comment voulez-vous qu'un Anglo, qu'un Juif, qu'un immigré polonais se sente interpellé par un argumentaire identitaire ? Au contraire, ça le rebute. On part donc avec 25 % de la population qui est contre le projet. C'est ce qui a coulé 1995, et dans une moindre mesure, 1980. Au rythme où vont les choses, il faudrait que plus de 70 % des canadiens-français deviennent indépendantistes pour que ça passe, même par pseudo-élection référendaire ! Si vous croyez une telle chose possible, c'est que vous croyez aussi à la Fée des Dents.
    Faisons donc en sorte que le séparatisme devienne une option qui transcende l'identité. Ah mais là, on perd les vieux bleus de région qui ne veulent pas tant l'indépendance que la mise en place d'une Laurentie blanche-francophone-catholique…
    Pas évident, hein ? Mais ce qui est certain, c'est que l'indépendance ne se fera JAMAIS contre les 2 millions de Québécois qui ne sont pas Canadiens-français. Et si par miracle elle devait se faire ainsi, c'est la partition garantie.
    Le 'nationalisme civique', c'est une sottise. Ça n'existe pas. C'est même un oxymore. Ce qui existe, c'est l'idéal républicain. L'idéal républicain ne camoufle pas la nation, mais il n'en fait pas non plus son tremplin.