Faire du Québec un état constitué

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Une constitution québécoise pour répondre à celle de 1982

Invitée à l'émission de Michel C. Auger, Midi info, Manon Massé, au lendemain d'une fin de semaine passée en congrès d'orientation pour sceller le caractère souverainiste de Québec Solidaire, a dû défendre le choix de mandater une assemblée constituante pour donner corps au projet indépendantiste de Québec Solidaire.


Il était amusant d'entendre l'animateur condamner le geste en prétendant que ce n'était pas la façon « normale » de faire la souveraineté. Comme s'il y en avait une!


En réalité, Auger cherchait à faire dire à Massé que son parti optait pour l'élection référendaire. Peut-être aurait-il dû s'entretenir avec l'ancien chef d'Option nationale, Sol Zanneti, qui semblait moins gêné de confirmer la chose. À moins bien sûr que l'assemblée constituante fermée promise aux militants d'ON, c'est-à-dire qu'elle serait mandatée pour constituer le Québec souverain, soit compromise.


Rappelons que, dans l'histoire moderne, différentes expériences d'assemblées constituantes ont eu lieu à travers le monde afin d'adopter ou de modifier la constitution de différents états. La pertinence d'une assemblée constituante a déjà été traitée et remise en question dans les pages de l'aut'journal. Disons simplement qu'il n'y a pas de précédent où un peuple a gagné sa liberté politique en procédant préalablement à une assemblée constituante. Généralement, des gestes de rupture, comme une révolution armée ou un référendum suivi d'une déclaration unilatérale d'indépendance, ont précédé l'acte constitutionnel.


Parlant de constitution, des États souverains ou fédérés en ont adopté une. Chaque État américain en a une. La fédération canadienne permet à ses provinces d'en adopter une.


La Colombie-Britannique en a adopté une en 1996. Celle-ci, adoptée par l'assemblée législative, est plutôt conservatrice. Elle sépare les pouvoirs exécutifs et législatifs de la province sans compromettre l'autorité de la constitution canadienne.


Au Québec, le sujet a tôt ou tard intéressé tous les partis politiques. Cependant, avec l'avènement du mouvement souverainiste dans les années 60 et son arrivée au pouvoir en 1976, il faut dire que l'intérêt est devenu une chasse gardée des indépendantistes qui attendaient le lendemain du grand soir pour se doter d'une constitution.


Il faudra attendre l'arrivée de l'Action démocratique du Québec (ADQ) pour voir des fédéralistes s'intéresser à nouveau à la chose. Il faut remonter à l'époque de ce qu'on a malheureusement réduit à la crise des accommodements raisonnables. L'ADQ proposait alors parmi ses mesures d'affirmation nationale l'écriture d'une constitution. Pauline Marois reprit l'idée à son compte pour les mêmes raisons.


Pourquoi écrire une constitution? Pour établir l'identité d'un État. La question identitaire a toujours fasciné. Paradoxalement, certains préféraient laisser le Québec dans l'incertitude ou voyaient dans cette incertitude un caractère identitaire. Jacques Ferron définissait le Québec dans la dichotomie entre francophones et anglophones (les Québécois contre les Anglais) alors que cette frontière aujourd'hui s'estompe dans ce que Hubert Aquin voyait comme un avènement révolutionnaire: une identité propre qui jumelle ces deux héritages.


L'auteur, acteur, metteur en scène et enseignant Christian Lapointe s'est saisi de la question dans le but avoué de répondre à la lancinante question: «What does Quebec want?» Après tout, faut-il le rappeler, le Québec n'a pas de constitution qui lui est propre et la seule qui a autorité lui a été imposée sans son consentement en 1982 par le pouvoir fédéral.


Le théâtre, selon lui, doit aussi servir à remettre en question le réel. Il a alors demandé à la firme de sondage Léger de trouver des candidats pour former une assemblée constituante selon des critères de représentativité de la population québécoise et à l'Institut du nouveau monde de documenter et de préparer les membres à faire l'exercice le plus sérieusement possible. À la fin de l'exercice, une constitution était rédigée et le théâtre reprend son plein droit. Lapointe se présente sur les planches afin de présenter le résultat de l'exercice de consultation.


Le dossier de recherche qui accompagne la production théâtrale intéresse, voire s'apprécie davantage, que l'oeuvre elle-même. Pour s'initier à cet enjeu politique, on peut difficilement faire mieux.


Tout le travail préparatoire de recherche, de consultations préalables, de financement sollicité est un ouragan dans lequel la pièce en elle-même est l'oeil. C'est-à-dire qu'il ne s'y passe presque rien qui permette de prendre la pleine mesure de la consistance des enjeux quant aux valeurs et principes discutés dans le cadre de cet exercice. En clair, c'est l'allégorie de la caverne: le théâtre projette les ombres de l'exercice dont on doit en deviner la teneur.


En effet, on pourrait déplorer la difficulté de comprendre l'intérêt de montrer des vidéos de conférenciers tels que Jean-Pierre Charbonneau ou Benoit Pelletier, qui ont rencontré les membres de l'assemblée, mais en les diffusant à l'envers avec, en prime, des effets stroboscopiques.


Néanmoins, il a été intéressant de voir disparaitre, à un certain moment de la pièce, le quatrième mur et de voir l'idéateur du projet interroger le public sur les droits et les devoirs des Québécois. Ces questions, préparées par les membres de l'assemblée, ont été adressées à des citoyens qui se sont présentés dans des forums thématiques qui ont eu lieu à travers le Québec, dans des théâtres agissant comme des agoras.


Être questionné à brûle-pourpoint sur les droits collectifs conduirait probablement à des généralités. L'exercice mérite d'être réfléchi, car les Chartes québécoise et canadienne des droits ne sont pas des finalités absolues. Aussi, elles ne parlent pas vraiment de devoirs collectifs.


Pour mieux comprendre ce qu'il en retourne, prenons l'exemple de Luc Ferrandez lorsqu'il a quitté la politique municipale. Celui-ci a évoqué un retour éventuel en politique lorsque la crise climatique commanderait l'arrivée d'un «leader autoritaire progressiste». Pour permettre cela, il est possible de prévoir, au nom de certaines situations exceptionnelles, comme une crise climatique, la suspension de certains droits. Par exemple, au Mexique, une telle chose est possible en cas d'invasion. Mais pour ce faire, le président doit avoir l'aval de ses ministres, du procureur général et du congrès.


Par contre, d'autres solutions moins liberticides existent pour prendre à bras le corps les changements climatiques. Par exemple, la Colombie a reconnu l'Amazonie comme étant une personne non humaine. Cela a mené certains intellectuels à se questionner sur la possibilité d'accorder au fleuve St-Laurent une reconnaissance semblable.


Dans un autre ordre d'idée, Christian Lapointe a évoqué, à plusieurs occasions, l'intérêt et l'importance de consulter les 11 nations autochtones du Québec. Peu de membres des Premières nations n'ont signifié leur intérêt à participer aux travaux de l'assemblée constituante et aucun n'y a finalement participé, sauf peut-être des citoyens métissés.


Est-ce peut-être en raison de cela que Lapointe a laissé la parole à la fin de sa pièce à Alexandre Bacon, conseiller stratégique d'origine innue qui a expliqué, dans une vidéo, pourquoi la chose constitutionnelle suscite peu d'intérêt chez les peuples autochtones: parce que le lien de confiance est rompu par une accumulation honteuse de meurtrissures. En effet, nous avons des croutes à manger avant d'entrer de plain-pied dans le dossier constitutionnel «dans l'honneur et l'enthousiasme».


Catherine Fournier, députée indépendante de Marie-Victorin, a remis le texte constitutionnel au nom de Christian Lapointe et de ses pairs à la ministre responsable des Institutions démocratiques Sonia Lebel en mai dernier.


La constitution citoyenne qui fait état des travaux de l'assemblée constituante peut être consultée sur le site de l'Institut du nouveau monde à l'adresse suivante: https://inm.qc.ca/constituons



Constituons!

Idée originale, mise en scène et interprétation: Christian Lapointe

Une création du Centre du Théâtre d'aujourd'hui