France - Une loi en demi-teintes contre la burqa

Burqa interdite




Paris — Unanimes à dénoncer le rejet des valeurs républicaines que représente le port du voile intégral, les parlementaires français sont divisés sur le type de loi à adopter. Devant la presse internationale venue nombreuse à leur conférence de presse, hier, les membres de la Mission d'information sur le voile intégral créée à l'instigation du président, Nicolas Sarkozy, en juin dernier ont rendu publiques leurs recommandations. Le document de 200 pages, bien documenté, a rallié tous les membres de la commission autour d'une résolution symbolique qui sera soumise à l'Assemblée nationale. Celle-ci affirmera que le port du voile intégral est contraire aux valeurs de la France.
«Le voile intégral en France est contraire à nos principes républicains. Il représente tout ce que la France rejette unanimement. Il s'agit là d'un sujet qui transcende les appartenances politiques. C'est toute la société française qui est heurtée», a déclaré le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer.
Mais cette belle unanimité s'effrite dès qu'il s'agit de savoir quelle loi proposer. Alors qu'une majorité de commissaires était d'avis d'interdire le voile intégral dans tout l'espace public, la mission s'est contentée de proposer son interdiction dans les seuls services publics comme la poste, les administrations et les transports.
Hier, à la toute dernière minute, le rapport a failli ne pas être adopté. Des députés socialistes ont boycotté le vote final, jugeant que le débat avait été «pollué par celui sur l'identité nationale». À droite, plusieurs députés ont aussi manifesté leur mécontentement quant à un texte ne proposant qu'une interdiction partielle.
Les services publics d'abord
Devant l'absence de consensus et les avis des juristes, la mission s'est contentée d'une proposition en demi-teintes. «L'objectif est bien que cesse cette pratique sur le territoire de la République», a expliqué Bernard Accoyer. Il précise néanmoins qu'«une loi inapplicable [...] serait un échec». Parmi les 200 personnes entendues par la commission, de nombreux juristes ont soutenu que la voie d'une interdiction totale était étroite. Selon la plupart, il était insuffisant d'invoquer la sécurité, l'égalité des sexes et même la dignité des femmes pour empêcher une telle loi d'être recalée à l'examen des tribunaux.
Le président de la mission, André Gerin, aurait lui aussi préféré une loi générale car, dit-il, «au XXIe siècle, on ne peut pas accepter d'avoir le visage couvert dans l'espace public». Devant l'absence de consensus, il s'est rallié. «Le port du voile intégral n'est que la partie émergée de l'iceberg, dit-il. Il cache des pratiques scandaleuses à contresens de notre histoire».
Selon son collègue, le rapporteur Éric Raoult, il s'agit de «commencer par les services publics» en attendant de trouver une solution plus générale, si elle existe. «Cette loi est attendue par les personnels qui sont en première ligne», dit-il. Il évoque les médecins et les infirmières des urgences qui doivent composer avec des femmes voilées refusant de se faire soigner par un homme.
Protéger les femmes
Le rapport contient plusieurs propositions destinées à protéger les femmes à qui l'on tenterait d'imposer le voile intégral. Les fonctionnaires seront invités à signaler à la protection de la jeunesse les cas où des mineurs le porteraient. L'obligation de le porter pourrait être considérée comme une violence faite aux femmes dans tous les cas de demande d'asile politique. De plus, la Mission de lutte contre les dérives sectaires sera invitée à enquêter sur les pratiques existantes dans l'entourage des femmes qui le portent. Enfin, ce voile pourra être considéré comme «un défaut d'intégration», ainsi que l'avait fait le Conseil d'État en juillet 2008 pour refuser la nationalité française à une Marocaine.
Fort du soutien de 200 députés, le chef du groupe parlementaire de l'UMP, Jean-François Copé, pense toujours qu'une interdiction générale de la burqa est nécessaire. Il déposera d'ici quelques jours un projet de loi en ce sens. «Comment va-t-on expliquer que [l'interdiction du voile], c'est plus constitutionnel à l'hôpital que dans la rue?», demande-t-il. Le même débat fait rage à gauche. Lundi, une quinzaine de militantes de l'association féministe Ni putes ni soumises ont manifesté, vêtues d'une burqa, devant les locaux du Parti socialiste (PS) pour protester contre les déclarations de Martine Aubry. La première secrétaire du parti parle d'une «loi de circonstance». Sihem Habchi, présidente de Ni putes ni soumises, a réclamé du PS «qu'il soutienne la mise en place d'une loi ou d'une disposition législative pour que les femmes puissent être libérées de ce cercueil». Plusieurs socialistes menés par Manuel Vals sont aussi de cet avis.
Le centriste François Bayrou s'est quant à lui déclaré favorable à l'interdiction de la burqa dans les services publics. Il a jugé le rapport «équilibré» et «juste». «En Europe, nous sommes une société, une civilisation du visage dévoilé, où l'on se regarde les yeux dans les yeux», a-t-il déclaré.
La plupart des musulmans qui ont témoigné devant la commission se sont prononcés contre le port du voile intégral, dont ils ne trouvent aucune prescription dans le Coran. L'un des rares à aller jusqu'à soutenir l'adoption d'une loi était l'imam Hassen Chalghoumi. Il a révélé hier à la presse que lundi, 80 islamistes avaient fait irruption dans sa mosquée de Drancy pour le menacer de mort.
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Correspondant du Devoir à Paris


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