Histoire

L'Australie des Patriotes déportés

«Le malheur de l'exil est plus grand que celui de la mort...»

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire



En 1839, la Grande-Bretagne déporte du Bas-Canada dans une de ses colonies pénitentiaires, la Nouvelle-Galles-du-Sud (aujourd'hui un État australien), 58 hommes condamnés pour haute trahison à la suite de leur participation à la révolte des Patriotes. Là-bas, une sympathie jaillit de la population locale, formée en bonne partie de catholiques déportés de l'Irlande. La solidarité universelle des colonisés s'exprime jusqu'au bout du monde.
À cette incidence internationale, si minime fût-elle, de la lutte menée au Bas-Canada pour l'émancipation du peuple et la démocratie, Beverley D. Boissery, née en Australie et installée depuis longtemps en Colombie-Britannique, a consacré un ouvrage très fouillé. Traduit de l'anglais, il ne s'intitule pas en vain Un profond sentiment d'injustice. S'appuyant sur le droit britannique, l'historienne montre que, pour prononcer nombre de sentences, on négligea la notion de doute raisonnable.
Elle met en relief que seuls ceux «qui, ne pouvant pas faire jouer des contacts politiques ou leurs liens avec des parents bien placés, ont été punis de mort ou de déportation». Considérés comme «rebelles», les Patriotes ne comparurent pas devant un tribunal civil mais devant une cour martiale. L'un des accusés, Pierre-Hector Morin, devina le vrai motif de condamnation: «la tare originelle d'être des CANADIENS», et non des Britanniques.
Un autre accusé, François-Xavier Prieur, s'aperçut que quelques juges s'amusaient à dessiner des bonshommes pendus à des gibets... Seul un journal tory, comme la Montreal Gazette, défenseur du pouvoir colonial, louait l'impartialité de la cour.
En Nouvelle-Galles-du-Sud, son pendant, le Sydney Herald, s'opposera à la libération des Patriotes du Bas-Canada, internés dans un camp de travail. Mais des journaux australiens plus libéraux, comme le Sydney Monitor, leur seront favorables.
Celui-ci vantera leur conduite «impeccable» et réclamera qu'ils soient émancipés «après la plus courte période de mise en liberté conditionnelle possible». Mais François-Maurice Lepailleur, l'un des déportés, affirmera: «Le malheur de l'exil est plus grand que celui de la mort...»
Malgré tout, une stimulante expérience mutuelle résulta de la rencontre entre les Patriotes, qui, souligne Beverley Boissery avec acuité, «venaient d'une culture communautaire», et la société australienne naissante. Cette dernière, souvent issue de couches opprimées ou délinquantes, victimes de l'impitoyable hiérarchisation sociale et politico-religieuse de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, se caractérisait, selon l'historienne, par une promiscuité sexuelle et une violence inconnues chez nous.
Mais, au retour des exilés entre 1844 et 1848, les gens en vue, parmi eux, se rangèrent, sauf Hippolyte Lanctôt, fidèle à Papineau, au nombre des assagis politiques à qui le châtiment n'aura révélé que les vertus de l'immobilisme.
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Un profond sentiment d'injustice
_ Beverley D. Boissery
_ Lux
_ Montréal, 2011, 496 pages
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Collaborateur du Devoir
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Présentation de l'éditeur:
En 1839, 58 hommes quittent Montréal pour la colonie pénitentiaire de la ­Nouvelle-Galles-du-Sud, à l’est de l’Australie. La plupart d’entre eux n’ont jamais quitté leur paroisse natale. Ce sont des citoyens ordinaires qui, entraînés dans le maelström politique de la rébellion de 1838, ont été condamnés à l’exil.
Cette sentence a suivi les soulèvements de l’année 1838, qui a vu des milliers de personnes tenter de renverser la domination coloniale anglaise. Les révoltes furent brutalement réprimées. Douze hommes furent pendus, d’autres virent leur peine commuée en exil à perpétuité. Ces procès furent une vaste mascarade, véritable démonstration de force par l’ordre établi. Alors que la plupart de ces hommes étaient illettrés et ne parlaient pas l’anglais – la langue de la Cour –, on les somma de se défendre eux-mêmes. Le tribut à payer fut terriblement élevé pour les rebelles : la confiscation de l’ensemble de leurs propriétés par la Couronne et la déportation de l’autre côté de la Terre, littéralement. Une fois en Australie, l’humiliation ne connut pas de trêve : prisonniers considérés comme le rebut de leur peuple, ils furent sans relâche mis à mal, même si, au fil des années, ils réussirent par leur intégrité à gagner le respect des habitants de Sydney.
S’appuyant sur les archives juridiques de cette période agitée, mais aussi sur les journaux et témoignages de certains déportés, Un profond sentiment d’injustice nous mène avec brio sur les pas de ces hommes meurtris. De l’effervescence de la bataille aux bancs de la cour martiale, puis dans l’exil solitaire des terres australes, la dignité dont ils firent preuve nous touche encore aujourd’hui.
Née en Australie, Beverley D. Boissery est historienne et enseigne en Colombie-Britannique. Elle est également l’auteure de deux essais (Uncertain Justice et ­Beyond Hope) et de plusieurs romans.


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