L'heure de vérité pour notre agriculture

ACI - Accord sur le commerce intérieur 2009


L'auteur soutient qu'après la pêche et la forêt, c'est maintenant notre agriculture qui paie le prix d'un modèle d'exploitation contrôlé par une poignée de grands industriels. Photothèque Le Soleil
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Au moment où on nous prévient que la production alimentaire mondiale ne suffira bientôt plus à nourrir la population sans cesse croissante de la planète, notre agriculture à nous, au Québec, est en faillite technique.
La dette de la Financière agricole atteint un milliard et demi $. L'an dernier seulement, la Financière agricole a dû verser en compensations 433 millions aux producteurs de porc (dont les deux tiers de la production, contrôlée par quelques intégrateurs, est exportée), 295 millions aux éleveurs de boeuf, 51 millions aux producteurs de céréales qui nourrissent les porcs et les boeufs, sans parler des autres productions déficitaires comme l'agneau, ni de l'autre milliard qui est dépensé par les gouvernements pour divers programmes de soutien aux agriculteurs. Les producteurs de lait, d'oeufs et de poulets, protégés par la gestion de l'offre, s'en tirent encore pour le moment, mais le prix exorbitant des quotas de production vendus aux plus offrants décourage de plus en plus de petits producteurs et surtout leur relève. Quant aux fermiers paysans, biologiques ou artisans, leur accès au soutien public, aux marchés locaux, au territoire agricole et à la représentation est si restreint qu'ils arrivent difficilement à survivre et à rendre leurs produits accessibles. Au train où vont les choses, l'agriculture se limitera bientôt à une poignée de grands producteurs et intégrateurs qui étendent chaque jour davantage leur emprise sur notre territoire agricole et une industrie agroalimentaire intégrée.
Personne ne conteste la nécessité d'un soutien public à l'agriculture, en autant qu'elle remplit ses fonctions sociales. Dans le régime actuel, l'aide de l'État est dirigée presque exclusivement vers des entreprises de type industriel, non viables économiquement, écologiquement et socialement. Les petites fermes et les productions émergentes y ont peu ou point accès. Un tel modèle agricole favorise forcément la concentration des fermes et des entreprises agroalimentaires entres les mains de grands intégrateurs dans les régions centrales du Québec, avec comme conséquence le dépeuplement et la dégradation des campagnes; il exige en outre l'utilisation massive de carburants fossiles, de produits chimiques et de semences transgéniques qui font peser une menace grandissante sur l'équilibre des écosystèmes, la qualité de l'eau, la santé collective et la production alimentaire future.
Après la pêche et la forêt, à travers tout le Québec, c'est maintenant notre agriculture qui paie le prix d'un modèle d'exploitation contrôlé par une poignée de grands industriels qui n'arrivent plus, même subventionnés, à concurrencer les produits provenant de l'étranger et s'avèrent incapables de diversifier et de réorienter leurs entreprises.
Le rapport Pronovost
Cette situation a été clairement identifiée dans le rapport de la commission Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, déposé il y a bientôt deux ans. Les solutions proposées par cette commission ont fait l'objet d'un large consensus dans la population et ont été validées par des rapports complémentaires sur le financement agricole (rapport Saint-Pierre), la gestion du territoire agricole (rapport Ouimet) et les circuits courts de mise en marché, c'est-à-dire la vente à la ferme, la transformation et la mise en marché locale ainsi que l'accès aux produits locaux et aux marchés spécialisés.
Au chapitre du soutien financier à l'agriculture, qui est le coeur du problème, tous les rapports précités proposent de répartir autrement l'enveloppe financière destinée à l'agriculture, en abandonnant un soutien palliatif basé exclusivement sur les volumes de production pour une formule de soutien qui favorise une gestion responsable et une productivité accrue, la transition vers des productions de plus-value et qui tienne compte du revenu global de la ferme, de sa taille, de ses pratiques écologiques, de sa contribution à l'occupation dynamique du territoire. En d'autres mots, une agriculture multifonctionnelle, qui remplit des finalités sociales (alimentation, santé, environnement, occupation du territoire) et non seulement économiques (rentabilité).
La réforme proposée par le rapport Pronovost constitue un tout cohérent dont le but est d'ouvrir notre modèle agricole, de le diversifier, et de le rentabiliser en l'adaptant aux besoins des marchés, des consommateurs et des citoyens. Elle redéfinit aussi bien les finalités de notre agriculture, que son financement, la mise en marché de ses produits, son utilisation du territoire agricole, ses pratiques et le mode de représentation des agriculteurs. Une réforme à la pièce, qui se contenterait de colmater l'hémorragie de fonds publics sans s'attaquer aux causes de la crise, ne saurait remplacer une véritable politique agricole d'avenir.
Le gouvernement doit agir sans délai
Les prochains mois seront déterminants. Le gouvernement a en mains tout ce qu'il faut pour aller de l'avant avec la réforme et il doit le faire sans délai. Il doit de toute urgence donner l'heure juste aux agriculteurs et à l'ensemble des Québécois concernant les réformes envisagées de façon à contrecarrer la campagne de désinformation menée par les partisans du statu quo, principalement les dirigeants de l'Union des producteurs agricoles, qui n'y voient qu'une façon de réduire l'aide aux agriculteurs et de mettre en danger le territoire agricole. Bien au contraire, ces réformes ont pour objectif de restaurer une agriculture pour nous, des fermes plus nombreuses et plus écologiques dans toutes les régions du Québec, de façon à répondre aux attentes des consommateurs et des communautés de demain.
Pas de bonne nourriture sans bonne agriculture! Pas de grand pays sans de nombreux paysans!
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Roméo Bouchard, pour la Coalition SOS-Pronovost


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