AFGHANISTAN

La chute de Kaboul oblige la civilisation occidentale à se remettre en question

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Encore une autre preuve du déclin de l'Occident


La chute de Kaboul aux mains des talibans a signé la fin, pour ceux qui en doutaient encore, d’un cycle politique voué à l’expansion militante de la démocratie jusqu’aux derniers recoins de la planète. Vingt ans après le 11 septembre, il s’agit d’un symbole fort, très fort. La grande croisade menée au nom de la «communauté internationale» et de ses valeurs a viré au désastre. D’ailleurs, même si la formule tourne en boucle dans les médias, ça n’existe pas, une «communauté internationale», qui transcenderait la diversité des États, des nations, des cultures et des civilisations. Le monde est irréductiblement pluriel et les puissances qui le composent s’affrontent, même lorsqu’il est question des changements climatiques et de la bonne manière de lutter contre eux. Le vieux fantasme kantien se décompose: la paix ne sera jamais perpétuelle et sera toujours le produit d’un travail diplomatique renouvelé.


Mais l’ONU ne représente-t-elle pas la structure de cette communauté internationale en devenir? En fait, l’ONU est un machin bureaucratique et sermonneur représentant moins les intérêts de l’humanité que ceux d’une caste de bureaucrates supranationaux prétendant organiser le monde à partir d’une vision du monde plus autoritaire qu’on ne le reconnaît généralement. Cela ne veut pas dire que certaines de ses agences ne font pas un travail méritoire et que ceux qui œuvrent sur le terrain en son nom sont blâmables. Mais dès qu’elle sort de son rôle, elle devient parasitaire, comme on le voit lorsqu’elle prétend servir les droits de la personne, alors qu’elle laisse participer aux instances prétendant les définir d’authentiques dictatures et même des régimes totalitaires, ce qui ne l’empêche pas de sermonner les pays occidentaux qui cherchent à contenir la poussée des communautarismes chez eux.


Nous ne sommes plus à l’époque de l’Occident dominant. Le cycle historique engagé par l’expansion européenne à la fin du XVe siècle se termine pour de bon. L’Europe s’est invitée partout dans le monde; aujourd’hui, c’est le monde qui s’invite chez elle, et elle est sommée d’y consentir au nom d’une logique assimilée aux réparations postcoloniales. D’ailleurs, le Vieux Continent est de plus en plus fracturé entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, la première accusant la seconde de verser dans l’illibéralisme, la seconde voyant la première comme un monde en perdition. Quant aux pays nord-américains, la logique décoloniale les présente désormais comme des territoires non cédés: les peuples qui s’y sont constitués sont désormais présentés comme des occupants malveillants de territoires où ils seront à jamais illégitimes. Le procès mené contre le peuple québécois, qui résiste davantage à cette tendance que le Canada ou les États-Unis, est en la matière très révélateur. Le nationalisme québécois, qui est celui d’une petite nation consciente de sa possible disparition, représente, de ce point de vue, une authentique force de résistance au délire de notre temps.


Certains voudront néanmoins définir notre civilisation par son adhésion inconditionnelle à l’idéal démocratique et retrouver, à travers cela, la possibilité de son unité philosophique. Mais cet idéal, dont nous nous faisions une fierté, est aujourd’hui défiguré par la nouvelle idéologie dominante qui se définit au croisement du multiculturalisme, de la théorie du genre et du gouvernement des juges. Au nom de la «diversité» et de «l’inclusion», on impose aux peuples occidentaux d’infinies séances de rééducation et de propagande. D’une certaine manière, les peuples occidentaux, considérés comme le bois mort de l’humanité à cause de leur attachement à leur identité, sont les nouveaux Vendéens de notre temps. À travers cela, le transhumanisme s’installe au même moment où l’antispécisme progresse dans les milieux militants, et pousse l’humanité occidentale au dégoût d’elle-même. Le simple rappel de l’existence du masculin et du féminin comme pôles anthropologiques fondamentaux passe désormais pour une outrance réactionnaire. On pourrait parler d’une falsification de la référence à la démocratie légitimant la mise en place du régime diversitaire.


Plus encore, l’homme occidental se fait reprocher son ancienne puissance. L’heure semble venue d’une grande revanche contre lui. C’est le triomphe du ressentiment. Les nouveaux fanatiques issus d’un progressisme devenu fou jugent qu’il ne sauvera son âme qu’en consentant à son propre effacement de l’histoire et à son humiliation. L’autocritique est poussée jusqu’à la névrose. Le wokisme représente à cet égard une forme d’effondrement psychique à l’échelle d’une civilisation. Le réel n’existe plus, et la sacralisation du ressenti triomphe. Nos sociétés sont de plus en plus écartelées et semblent condamnées à devenir étrangères à elles-mêmes et à leur identité profonde. Ceux qui s’en désolent sont assimilés au racisme, au populisme, à l’extrême droite. En fait, le débat démocratique paraît de plus en plus difficile devant ce fanatisme nouveau qui s’oppose fondamentalement aux codes et aux repères de la démocratie libérale. Comment débattre sereinement avec un adversaire qui ne cache pas son désir de vous bannir de la vie publique, de vous expulser de la cité, de vous condamner à la peine de mort sociale et professionnelle, à la déchéance civique? La gauche woke est le nouveau visage de la tentation totalitaire.


Devant la montée de la Chine qui se croit appelée à dominer le prochain siècle, la poussée de l’islamisme et les grandes vagues migratoires entraînant une révolution démographique que nos élites cherchent à magnifier en célébrant de manière religieuse ce qu’elles nomment la «diversité», l’Occident semble tout simplement décadent. Mais, il faut le redire, nos élites continuent de vivre dans l’illusion de l’Occident dominant. Elles sont cérébralement mortes et participent à cet effondrement qu’elles devraient combattre. Elles se croient appelées à commander le monde au nom de la vertu et à l’inspirer par notre modèle de civilisation, alors qu’il faudrait plutôt y sauver notre place et y défendre nos identités, nos frontières, nos intérêts, en sachant que nous n’y avons plus toute la place, et que nous devons défendre notre place. Si le monde occidental ne doit pas renoncer à la puissance, il doit cesser de croire qu’il incarne le destin de l’humanité entière. C’est la condition première d’une redéfinition de sa philosophie politique, qu’elle touche les questions intérieures ou la politique étrangère. On verra finalement dans cette lucidité nouvelle un simple retour au réel.




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