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La repentance pour cause de frilosité

La Lettre du cardinal Marc Ouellet



L'archevêque catholique de Québec, Marc Ouellet, vient de se représenter habilement sur la scène publique comme le porte-étendard de l'autorité épiscopale repentie en raison des excès de toute nature de l'Église québécoise dans le passé. Il insiste pour souligner qu'il s'agit d'une main tendue aux Québécois et d'un premier pas vers une réconciliation avec les valeurs catholiques. Mais il garde un silence intrigant sur le fait de savoir s'il s'agit des valeurs du passé, du présent ou de l'avenir.
Dans son acte de contrition, il reconnaît sans ambages que «des mères de famille ont été rabrouées par des curés sans égard pour les obligations familiales qu'elles avaient déjà assumées», sans cependant rappeler que lesdits curés étaient la voix de leur évêque, laquelle était le prolongement de la voix papale.
Quand des journalistes lui ont demandé s'il entrevoyait de futures réformes au sein de l'Église du Québec à la lumière de sa lucidité critique à propos de ce passé contestable, il a rétorqué qu'il s'en était tenu «à un premier pas» en vue d'éliminer le «blocage» découlant du contentieux que les gens du Québec entretiennent envers la religion catholique. Il se propose d'aborder la question à une prochaine étape après avoir affronté les défis auxquels son projet de réconciliation fait face à l'heure actuelle.
Familles nombreuses demandées
Pourtant, il est une manière bien simple d'anticiper sur cette deuxième étape à partir de sa lettre publiée par tous les quotidiens québécois le 21 novembre dernier. Il suffit de porter attention aux maux actuels que l'éminentissime religieux déplore dans sa missive urbi et orbi québécoise. Parmi eux, il y a cette «frilosité devant la procréation».
Tiens, tiens... Que son dogmatique prédécesseur, le cardinal Jean-Marie Rodrigue Villeneuve (1931-47), se reconnaîtrait dans ce propos nataliste! En fait, le cardinal Marc Ouellet vient d'annoncer que l'avenir du peuple québécois est du côté des familles nombreuses. La nouvelle a étrangement échappé aux journalistes, sans doute à la grande satisfaction de ses relationnistes, qui lui ont conseillé d'attendre d'expliciter, au moment du Congrès eucharistique international de Québec en 2008, le véritable sens de la repentance à laquelle il convie substantiellement les mères et les futures mères québécoises: «Ne refusez plus la famille et faites des enfants comme vos arrière-grands-mères.»
Sa lettre, comment la qualifier? Est-elle pastorale ou est-elle civique? En raison de son statut officiel, elle est évidemment épiscopale. Mais paradoxalement, du fait de sa grande transparence, elle est essentiellement politique pour la suite des choses: celles-ci ne changeront pas. Elles vont même régresser.
Habile entrée en matière
Maniant avec dextérité le sophisme à la manière d'un jésuite défroqué, Marc Ouellet est entré dans le débat public à la faveur d'un concept que l'actualité lui a fourni sur un plateau d'argent en tant qu'instrument de son combat réactionnaire: les accommodements raisonnables. Il faut discriminer en fonction de la religion catholique et protestante quant à l'enseignement de la religion à l'école.
La majorité québécoise, présupposée catholique ou protestante, a aussi un droit à des accommodements raisonnables. Sa dernière trouvaille en la matière n'est pas des moindres: «Le cours d'État d'éthique et de culture religieuse.» Nouveau sophisme, car il y a eu, encore récemment, un véritable «cours d'État» de religion et de morale dans les écoles du Québec puisqu'il était protégé par la clause constitutionnelle «nonobstant».
Au moment de Vatican II, le jeune séminariste Marc Ouellet a souvent fait l'objet d'une démarche de confrères du Grand Séminaire de Montréal consistant à tenter de calmer ses ardeurs progressistes. La carrière vaticane qui fut la sienne plus tard, après avoir reçu l'ordination sacerdotale, explique grandement le personnage d'aujourd'hui.
Marc Ouellet n'a rien d'un curé de village. C'est un diplomate de carrière. Il a reçu un mandat de Rome: il faut que le Québec catholique fasse marche arrière, à commencer par éliminer sa «frilosité devant la procréation, devant la vie». Heureusement, l'histoire récente du Québec a montré que le cléricalisme de jadis a un rempart qui l'empêche, aujourd'hui comme à l'avenir, de se réactualiser: le féminisme. Et les féministes québécoises, y compris de l'intérieur de l'Église catholique, attendent heureusement Marc Ouellet au détour.
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Jacques Rivet, Professeur au département d'information et de communication de l'Université Laval
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