Alors que la distance critique avec la Révolution tranquille se fait plus grande et que l’on examine à nouveau sa place dans l’histoire québécoise, Brève histoire de la Révolution tranquille des professeurs Martin Pâquet et Stéphane Savard tombe à point. Paru le 6 avril dernier aux Éditions du Boréal, l’ouvrage analyse cette période charnière de notre histoire à travers le prisme de l’État-providence, et soulève des questions nécessaires sur le contexte mondial qui lui a donné naissance, de même que la trace qu’elle laisse encore aujourd’hui dans la mémoire québécoise.
Cette relecture du passé québécois a ses mérites, permettant de mettre en lumière l’incroyable développement de l’État québécois dans la foulée des années 1960, mais il y a lieu de se demander si elle ne marginalise pas indûment l’affirmation nationale singulière qui a profondément marqué cette époque pas si lointaine.
Un grand consensus autour de l’État-providence
Pâquet et Savard définissent donc la Révolution tranquille comme « un moment dans l’histoire du Québec où il existe un consensus social autour de l’État », perçu comme le garant du bien commun (p. 16). À juste titre, ils comparent ce consensus avec le concept d’hégémonie élaboré par Antonio Gramsci : l’appui unanime des « élites définitrices » de l’époque a créé une hégémonie politique forte en faveur du développement de l’État du Québec, de manière à ce que même l’Union nationale y adhère lors de sa dernière prise du pouvoir en 1966.
Pâquet et Savard définissent donc la Révolution tranquille comme « un moment dans l’histoire du Québec où il existe un consensus social autour de l’État », perçu comme le garant du bien commun (p. 16).
L’essor de l’État québécois se voit décrit comme le produit de deux influences complémentaires, soit celles des technocrates et des mouvements sociaux. « [L]a première, partant du haut vers le bas, opérant un rattrapage suivant un vaste plan d’ingénierie sociale; la seconde, poussant du bas vers le haut, militant pour l’épanouissement des citoyens de la Cité grâce à la prise de parole » (p. 200).
L’ouvrage fait donc la chronique détaillée des diverses interventions de l’État entre 1960 et 1983, lorsque l’adoption d’une loi forçant le retour au travail des employés de l’État par le gouvernement Lévesque sonne le glas du tout-à-l’État, ouvrant la porte à un discours néolibéral qui sera celui des libéraux de Robert Bourassa dès 1985 et du PQ du « déficit zéro » par la suite.
Le produit du contexte mondial?
En débutant avec un chapitre consacré au contexte mondial des années 1960, les auteurs entrent en porte-à-faux avec ce discours qui voit la Révolution tranquille comme une période de rattrapage économique et sociale exceptionnelle, presque unique au monde. Bien au contraire, ils assimilent la construction de l’État québécois aux Trente glorieuses, période de consensus autour de l’État-providence à l’échelle occidentale, et situent la montée du nationalisme québécois et des mouvements sociaux dans la foulée de la décolonisation et de la contre-culture. L’abandon rapide du catholicisme s’inscrirait aussi dans une phase de sécularisation généralisée, comme quoi les années 1960 n’auraient pas été si différentes au Québec par rapport au reste du monde.
Ainsi, à la lecture de cette Brève histoire de la Révolution tranquille, on en vient presque à se demander si cette période que nous considérons si singulière n’était finalement que l’expression québécoise d’un phénomène mondial.
Ainsi, à la lecture de cette Brève histoire de la Révolution tranquille, on en vient presque à se demander si cette période que nous considérons si singulière n’était finalement que l’expression québécoise d’un phénomène mondial. Cette impression est surtout due à une certaine banalisation de la question nationale et des débats constitutionnels qui ont pourtant été au cœur des débats politiques entre 1960 et 1995 au Québec.
Au-delà de l’État-providence, l’affirmation nationale
En expliquant la Révolution tranquille à travers le prisme des Trente glorieuses et de l’État providence, il va sans dire que l’on touche à l’une de ses dimensions fondamentales : le rôle de l’État n’y a effectivement jamais été sérieusement contesté, et tous les partis au pouvoir ont continué ce grand mouvement d’expansion. Cependant, lorsqu’on compare la situation québécoise au reste du monde, une différence flagrante saute aux yeux : au-delà du développement de programmes sociaux et de sociétés d’État, la Révolution tranquille fut un moment d’affirmation pour les Québécois francophones, qui ont vu en l’État québécois plus qu’un pourvoyeur de services, un véritable État-nation.
Il nous faut des moyens puissants, non seulement pour relever les défis inévitables que nous rencontrerons dans les années qui viennent, mais aussi pour mettre le peuple canadien-français au diapason du monde actuel. Or, le seul moyen puissant que nous possédions, c’est l’État du Québec, c’est notre État. Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas l’utiliser.
Il y a là une différence non négligeable avec la trame mondiale des Trente glorieuses. Non seulement l’État québécois fut appelé à jouer un rôle social, il a aussi pris un rôle culturel fort, étant désormais investi de la mission de protéger la nation francophone et de veiller à son épanouissement, notamment grâce à la Charte de la langue française. Ce consensus était aussi présent dans l’arène politique, alors que péquistes, libéraux et unionistes souhaitaient tous une réforme constitutionnelle qui permettrait au Québec d’assumer ses responsabilités envers la nation distincte existant en son sein.
À ce niveau, le Québec de la Révolution tranquille fait figure d’exception : les clivages économiques entre gauche et droite furent rendus presque inexistants en raison de la domination politique de la question constitutionnelle, dont nous sortons à peine 60 ans plus tard. En mettant d’abord l’accent sur la construction de l’État, Pâquet et Savard ne peuvent que se distancier de ce point de vue « exceptionnaliste » pour plutôt souligner la relative normalité de la Révolution tranquille dans le contexte occidental. Cet angle d’approche n’en est pas moins nécessaire pour en arriver un jour à un bilan nuancé de cette période singulière dans l’histoire du Québec.