29 avril 1998
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Ce cher Stéphan Tremblay! En quittant la Chambre des communes armé de son fauteuil vert le député bloquiste de 24 ans a fait un geste profondément signifiant. Il a attiré l'attention sur l'appauvrissement croissant, les effets de la mondialisation et l'érosion du politique. Mais, ce faisant, il a aussi braqué les projecteurs sur le conservatisme qui gruge nos élites et l'urgence de faire plus de place aux jeunes. Surtout, en sortant son siège, il a quitté symboliquement cette grande salle d'attente virtuelle où trop de jeunes Québécois sont confinés par les pouvoirs actuels.
Sans verser dans l'«âgisme» simpliste - on sait que la compétence n'est pas tributaire de l'âge et qu'il existe certes des «jeunes vieux» et des «vieux jeunes» -, il reste qu'une bonne partie de nos élites gouvernent depuis déjà très longtemps. Au Québec, on observe donc une absence quasi totale des 30-45 ans dans les lieux de pouvoir, une fourchette d'âge où, chez les gens de talent et de qualité, l'imagination et le courage sont souvent à leur zénith. (Rappelons-nous seulement des premières équipes de Lévesque et de Lesage.) Lorsqu'on se prive d'une telle matière première dans la gouvernance d'une cité, on en paie le prix...
Mais il y a plus que l'âge. Il y a l'usure et le conservatisme qu'on voit souvent poindre chez ceux qui, jeunes ou moins jeunes, font de la politique une «carrière» et non une contribution ponctuelle à la cité. Il y a des exceptions, mais la nature étant ainsi faite, l'indépendance d'esprit et le sens du risque s'effritent plus facilement chez les politiciens de carrière. De plus, le nivellement actuel des discours, la rectitude politique et un pouvoir de plus en plus centralisé et rigide n'ont rien pour encourager les plus indépendants d'esprit à se lancer en politique. C'est à se demander si nos dirigeants de partis accepteraient dans leurs équipes des équivalents d'un jeune Lévesque ou Trudeau, ou s'ils ne les verraient pas comme trop émotifs, de mauvais caractère, incapables de compromis, bref comme de grandes gueules imprévisibles...
Ce non-renouvellement des élites est fort réel puisqu'une bonne part d'entre elles est encore issue de la Révolution tranquille. Ses «artisans» et leurs cooptés plus récents contrôlent toujours les rênes de l'Etat. Ce sont les mêmes réseaux de pouvoir mais qui, le temps faisant son oeuvre, semblent dépourvus de leur volonté d'action. Sans rien enlever au travail admirable accompli à cette époque, il est sûrement temps, 31 ans après la fin de la Révolution tranquille (!), de commencer à renouveler nos élites.
La présence encore marquée dans les hautes sphères du pouvoir de ceux qui ont la nostalgie de ce temps sans en avoir l'esprit de fonceur est une force d'inhibition. Pourtant, il faudra bien passer à autre chose un jour. La Révolution tranquille, aussi admirable qu'elle fut est terminée depuis longtemps. Elle fait partie de notre histoire. Mais lorsque le Québec vit encore à l'heure de ses artisans et de leurs réseaux, c'est comme si les Américains vivaient encore à l'heure des Kennedy!
Si l'on en juge par leur durée exceptionnelle, il semble donc qu'un certain nombre de dirigeants issus de la Révolution tranquille ont grande difficulté à partager les lieux de pouvoir avec des plus jeunes d'âge, d'esprit ou de coeur. Ce qui pose de très sérieux problèmes de renouvellement de la pensée et retarde la nécessaire modernisation de l'appareil étatique et l'urgente relance de l'économie québécoise. Autre problème: dans cette première génération de «Canadiens fiançais» ayant pu exercer un pouvoir moins entravé par la domination anglophone, on retrouve, par définition, très peu de jeunes, de femmes et de Québécois d'autres origines. Résultat: nos élites représentent de moins en moins le Québec moderne, celui d'aujourd'hui et de demain.
A l'opposé, beaucoup de jeunes Québécois ont grandi dans une société plus diversifiée et n'ont aucune difficulté, par exemple, à y concilier le projet souverainiste. Leur conviction est donc plus claire, moins ambiguë, plus ouverte, plus québécoise et moins canadienne-française. Se priver de ce sang neuf, c'est se priver d'un formidable potentiel de pédagogie, de réflexion et d'action ancré dans le présent et tourné vers l'avenir. Pour les souverainistes, c'est se condamner à une troisième défaite.
Ce vendredi, le journaliste Philip Authier notait dans The Gazette que la moyenne d'âge du caucus péquiste dépasserait maintenant les 55 ans! Quelle différence avec 1976! Qui plus est, la toute petite relève qui se profilait tant bien que mal au PQ a fondu depuis deux ans, dont certains jeunes très prometteurs qu'on a écartés ou qui ont quitté après avoir été marginalisés et isolés pour exercice trop soutenu de leur liberté de pensée et d'expression. On retrouve sûrement un phénomène analogue dans d'autres formations, mais lorsqu'on entend créer un pays, on mesure le déficit de volonté et d'audace que crée une telle situation. (Encore une fois, on comprendra ici qu'il existe des exceptions notoires qui, au sein des élites actuelles, ont su garder une partie de la force de leurs convictions les plus profondes.)
Reste maintenant à voir si le gouvernement Bouchard osera ouvrir les portes à des candidats souverainistes plus jeunes d'âge ou de coeur, d'origines diverses, plus imaginatifs, mieux ancrés dans le Québec moderne et provenant autant des ailes dites «orthodoxe» que «molle». S'il venait à refuser de le faire, la sclérose perdurerait et c'est le Québec tout entier qui ressemblerait bientôt à un gigantesque Musée de la Révolution tranquille, avec statues de cire et salles thématiques en sus! Ce serait là une bien piètre entrée dans le nouveau millénaire.
Sans ce changement de garde, bien des jeunes qui végètent dans notre grande salle d'attente collective risquent eux aussi de partir avec leur siège. Mais dans leur cas, ils le feront pour mieux aller offrir leurs services ailleurs qu'au Québec, où l'on en voudra réellement. Qui déjà s'inquiétait récemment de l'«exode des cerveaux» au Québec? Ah oui! C'était Mario Dumont, un jeune...
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