Partisans et détracteurs d'une hausse des droits de scolarité vont croiser le fer aujourd'hui à Québec. L'enjeu, qui jadis tournait autour d'un possible dégel de la contribution étudiante pour renflouer les coffres de l'université, vise maintenant la nature de l'augmentation. Cela donne lieu à un emballement démesuré du côté des recteurs, qui semblent priser la solution unique.
Ils ont réussi. Les recteurs ont soumis au jeu un «consensus», auquel même les établissements du réseau de l'Université du Québec, pourtant traditionnellement rébarbatifs à des hausses substantielles, ont souscrit. Choisissant 1968-1969 comme année de référence, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) propose un retour à la valeur réelle des droits, pour une augmentation de 504 $ par année pendant trois ans, ce qui porterait la contribution des étudiants à 3680 $ par année en 2014-2015.
Cette hausse galopante est impossible à cautionner, essentiellement car la démonstration garantissant le maintien de l'accessibilité aux études universitaires n'est pas assez solide. Tout au plus la CREPUQ émet-elle l'hypothèse que cela sera sans effet, appelant de tous ses voeux un maintien de l'aide financière. Les dirigeants ont en outre une idée très précise de la manière d'augmenter et de moduler les droits de scolarité, mais ils restent flous sur un mode de participation accru du secteur privé, pourtant lui aussi bénéficiaire des fruits de l'enseignement supérieur.
Récemment, la Fédération étudiante universitaire du Québec a publié une solide étude décrivant les conditions de vie des étudiants inscrits au baccalauréat. Le portrait aurait dû nourrir la réflexion des recteurs, mais ils n'en soufflent mot. D'un lobby à l'autre, le partage de données n'est pas très prisé, ce qui renvoie à un éternel débat polarisé, tout ce qu'il y a de plus désenchanteur.
Cette étude peignait pourtant le portrait d'un étudiant plutôt sans le sou, peu soutenu par ses parents, travaillant pour payer ses études et angoissé à l'idée de porter un lourd fardeau de dettes. La moitié des étudiants vivent avec moins de 12 200 $ par année. Le quart s'attend à une dette de quelque 18 000 $ au moins à la fin des études. Une certaine «fragilité», il nous semble, colore le tableau. Si l'on ajoute à cela le fait que 45 % des étudiants inscrits au premier cycle dans les universités québécoises sont de «première génération», c'est-à-dire les premiers dans leur famille à fréquenter la tour universitaire, cela accentue un aspect précaire que les dirigeants universitaires ont tendance à négliger. Une hausse considérable des droits pourrait fracturer des acquis dont on ne semble plus vouloir s'enorgueillir, pratiquant plutôt le mépris pour notre système unique comme s'il n'était plus qu'un boulet.
Les universités prétendent à un sous-financement de 620 millions de dollars, auquel elles arrivent en se comparant à la «moyenne canadienne», sorte d'étalon de mesure devenu emblème. Deux gels successifs et longuets font bien sûr du Québec la province qui exige les droits les plus faibles. Mais la référence perpétuelle à la moyenne met de côté les histoires uniques. Qui rappellera que le ministre de l'Enseignement supérieur de l'Alberta a récemment rejeté les demandes des établissements de hausser les droits, en décrétant que mieux valait ne pas faire porter aux étudiants le poids d'une récession? Qui rappellera que la Nouvelle-Écosse a entériné une quatrième baisse de droits consécutive? Qui pourra prétendre que le fait que 64 % des bacheliers de l'Ontario aient une dette moyenne de 26 000 $ constitue une bonne nouvelle? Le Nouveau-Brunswick vient d'ailleurs de mettre en place une mesure qui prévoit l'effacement de 100 % d'une dette excédant 26 000 $ pour ceux qui terminent leurs études dans le délai prévu. Cette initiative est des plus intéressantes.
Les généralités sont donc menaçantes. Sachons nous en méfier, particulièrement dans un mouvement mondial où la tendance est à la pression accrue sur l'utilisateur-payeur.
C'est en quelque sorte un nouveau pacte social qui pourrait se discuter aujourd'hui, articulé autour du sous-financement — bien réel — des universités québécoises. Plus personne ne remet en question l'ampleur de leurs besoins, l'effritement de leur compétitivité sur l'échiquier nord-américain, la baisse de la qualité de la formation, la vétusté de leurs équipements et bâtiments, leur manque d'espace. Il serait toutefois odieux que les étudiants soient les seuls à soutenir l'amélioration de la santé financière des universités.
On se rappelle encore avec douleur le «dégel» de 1990, après vingt ans d'immobilisme. En deux ans, les droits avaient augmenté de 140 % — de 540 $ à 1240 $. Une surprise attendait toutefois les dirigeants d'établissement: sitôt la hausse décrétée, le gouvernement a imposé de douloureuses compressions, ne laissant plus aux recteurs qu'un résidu de la hausse revendiquée et obtenue. Une augmentation raisonnable des droits ne doit en aucun cas signer le retrait du soutien public. En Grande-Bretagne, les étudiants ont manifesté haut et fort leur profond désaccord avec cette formule.
La triade du financement des universités doit enfin être complétée par le secteur privé. Formule insuffisamment efficace, la philanthropie peut en effet être encouragée comme certains le proposent, en stimulant les dons par un généreux système d'appariement. D'autres proposent la création d'un fonds de l'enseignement supérieur, auquel contribueraient de manière obligée les entreprises, premières rentières de la formation offerte dans les collèges et les universités.
Lors d'un ambitieux Sommet du Québec et de la jeunesse en 2000, la création du Fonds jeunesse avait rallié partenaires d'affaires et gouvernement. Le fonds de 240 millions sur trois ans était alimenté à demi par le privé et à demi par le public. Côté privé, des sommes étaient prélevées à partir d'une taxe sur les entreprises, les compagnies de moins de cinq ans d'existence ayant été exemptées. Le président du Fonds de solidarité des travailleurs (FTQ) de l'époque, un certain Raymond Bachand, qui présidera aujourd'hui à titre de ministre des Finances la Rencontre des partenaires de l'éducation, avait salué cette décision, l'associant à un «virage historique dans notre société».
C'est un autre pacte «historique» qui doit être rédigé désormais. Les bases doivent en être discutées par des acteurs qui sauront, espérons-le, s'éloigner des habituelles escarmouches partisanes. Pour préserver et améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche universitaire, la solution unique constitue un piège. N'y précipitons pas les étudiants sans réflexion approfondie.
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machouinard@ledevoir.com
Financement des universités
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