Texte publié dans Le Devoir du samedi 2 avril 2010
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Les étudiants ont raison de se plaindre de l’augmentation de leurs frais de scolarité : 500$ par année pour les prochains cinq ans, c’est rien de moins qu’une aberration.
Quelles familles de la classe moyenne et quelles familles vivant sous le seuil de la pauvreté seront désormais en mesure de permettre à leurs enfants de terminer des études de plus en plus spécialisées, donc de plus en plus longues ?
Le ministre de l’Éducation a beau nous dire que les prêts-bourses seront augmentés en proportion de ces nouveaux frais scolaires, il ne s’agit là que de la poudre aux yeux : une majorité d’étudiants sortiront de l’université si endettés qu’il leur faudra mettre des années à rembourser le gouvernement, avec les conséquences qu’on devine déjà : des difficultés financières qui risquent de mettre en péril l’établissement de notre jeunesse, l’envie de fonder foyer et famille, au détriment de la solidarité sociale. Nous allons vivre de plus en plus dans une société du chacun pour soi ou à la merci des corporatismes dont on sait de quel poids ils pèsent déjà sur le Québec.
Résultat : notre société qui prône l’élitisme comme jadis l’Église prônait l’humiliation des pauvres court le risque de n’en être plus une vraiment : d’un côté, il y aura les biens nantis qui auront droit à l’éducation et, de l’autre, une partie de la population de plus en plus importante qui n’aura pas les moyens de s’instruire.
On sait que c’est déjà le cas au Québec : quand les autorités universitaires ou celles des Cégeps nous parlent du décrochage scolaire, elles prennent soin de ne pas nous révéler de quelles classes sociales viennent toutes celles et tous ceux qui abandonnent leurs études avant terme. On comprend leur silence là-dessus, puisqu’on devine que la grande majorité des décrocheuses et des décrocheurs sont issus des classes les moins riches de notre société.
C’est là un phénomène qui atteint particulièrement les régions : pour pouvoir étudier à l’université, un grand nombre de jeunes doivent quitter la maison familiale, prendre logement, voir à se nourrir eux-mêmes, à se vêtir eux-mêmes, à payer eux-mêmes les quelques loisirs auxquels ils ont accès.
Quand vos parents sont sous l’aide sociale ou que, par leur travail, ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts, comment voulez-vous qu’ils puissent donner à leurs enfants ce coup de main dont ils ont besoin pour pouvoir étudier en toute sérénité ?
Je connais des parents qui ont dû faire le sacrifice de leurs rentes afin de permettre à leurs filles et à leurs fils de poursuivre leurs études. J’en connais d’autres qui ont dû hypothéquer leur maison pour les mêmes raisons.
Et je ne parle pas de tous ces jeunes qui sont forcés de travailler, et pas seulement à mi-temps, parce qu’autrement ils se retrouveraient dans la misère noire.
Est-ce normal qu’une société, dans un monde qui se construit sur le savoir et la connaissance, ne comprenne même pas ces évidences ?
J’étais étudiant à l’école secondaire lorsqu’on préparait ce qui allait devenir le Rapport Parent dont on attendait mer et monde. Sixième d’une famille de 13 enfants dont le père était simple moniteur à l’asile du Mont-Providence, mon seul espoir, comme celui de tant de mes camarades, était que les études supérieures soient accessibles à tous, aux riches comme aux pauvres.
Mais ce ne fut pas vraiment le cas : je me retrouvai commis dans une banque, mes camarades concierges, laveurs de vitres, employés de la construction, etc. Comme du temps des collèges dits classiques, seuls les déjà nantis et les nouveaux parvenus avaient les moyens d’envoyer leurs enfants à l’université.
Il me semble qu’on en est toujours là aujourd’hui. Quand on sait ce qu’est devenue notre élite, un grand frisson me secoue aussitôt que je pense que ce seront les filles et les garçons de cette élite-là, veule, suffisante, arrogante et souvent corrompue, qui géreront le Québec de demain.
N’est-ce pas absolument désespérant ?
Victor-Lévy Beaulieu
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