Étudiants en colère

Université - démocratisation, gouvernance et financement

« La colère est le propre de l’homme qui reste debout. Elle empêche d’être laminée. » (Patrick Amine, Petit éloge de la colère)
La colère est mauvaise conseillère dit le proverbe. Pas toujours. La colère peut aussi être un moteur, un moyen de ne pas se faire broyer par la vie et par un système injuste. Hier, les étudiants ont manifesté leur mécontentement devant la hausse des frais de scolarité. Ils ont manifesté à Montréal et à l’UQAM, on a pu assister à une envolée de factures du haut de la mezzanine du pavillon Judith Jasmin. Cette envolée peut être interprétée comme l’envolée des frais de scolarité qui pourrait ne jamais s'arrêter. Mais je préfère y voir une volonté contestataire qui, je peux rêver, pourrait se répandre comme une traînée de poudre. Contester contre l'augmentation des frais de scolarité, c'est aussi lutter contre l'injustice et contre un gouvernement à la botte des nantis.
La Déclaration universelle des droits et libertés, adoptée le 10 décembre 1948 stipule : « Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. » Article 26.1.
L’éducation demeure gratuite au niveau élémentaire et secondaire, mais ce n’est pas le cas aux niveaux collégial et universitaire. Il faudrait donc en déduire que pour notre gouvernement, des diplômés du secondaire suffisent. Ceux qui veulent aller au CÉGEP doivent débourser et font déjà partie d'une sorte d'élite. Celle qui a un métier. Deux ou trois ans de CÉGEP et on gravit un échelon social. Là où cela se corse, c'est quand on veut aller à l'université. Un étudiant de CÉGEP a, si tout s'est bien passé, 17 ans quand il commence ses études postsecondaires. Un âge auquel, j'ose l'espérer, ils peuvent encore compter, du moins en partie, sur l’aide des parents. Mais, certains sont déjà obligés de demander des prêts et bourses. Au baccalauréat, la donne change. Les frais de scolarités sont plus élevés, les parents ayant plusieurs enfants et dont le revenu brut s’élève à 60 000 dollars ne peuvent pas forcément contribuer pour 6 000 dollars par an aux études de leurs enfants.
Les étudiants désireux d’étudier doivent donc hypothéquer leur avenir, parfois dès le CÉGEP, en s’endettant pour payer leurs études. Comment s’étonner que nous manquions de professionnels dans tous les domaines : médecins, infirmiers, traducteurs, etc. Quelles motivations donnons-nous aux étudiants? La connaissance est un droit individuel, mais aussi la force d'un pays. Le savoir est tout ce qui fait la différence dans une société. Un peuple éduqué contribue au développement de son pays. Un peuple sous éduqué n'a pas d'autre choix que de se plier devant la classe dominante. Il ne manque pas d'intelligence, mais il n'a pas pu développer les outils de réflexion et d’analyse indispensables au libre arbitre et à la prise de décision éclairée tant au niveau individuel que sociétal. Il devient l'exécutant docile, formé pour produire et consommer.
Les étudiants qui ont manifesté hier refusent de contribuer à créer une société d'esclaves dominée par une élite minoritaire. Car, en refusant l’accès aux études supérieures aux moins nantis, la classe dirigeante - industrie, finance et gouvernement – s'assure de renforcer ses assises. Seuls ses enfants pourront se payer des études et occuper des postes de pouvoir. En faisant porter aux étudiants le fardeau de la mauvaise gestion des fonds publics par le gouvernement, ce dernier frappe à nouveau à côté de la plaque. En fait, il déplace odieusement le problème.
Je suis fondamentalement jules-ferryste : des études gratuites pour tous, et une sélection basée sur le mérite : les notes et rien d’autre. J’espère pouvoir terminer mon doctorat, j'espère que mon fils pourra terminer son baccalauréat à l'École supérieure de gestion de l'UQAM et que ma fille étudiera dans le cégep de son choix à la fin de son secondaire (dans un an). J’espère leur avoir transmis le goût des études et ma saine colère face à une situation injuste. Ma colère quand je constate le peu de discernement de notre gouvernement et surtout son mépris pour ceux qui l'ont élu. Un jour, j'écrivais à un proche (qui ne l'est plus) « tu es une insulte à l'intelligence ». Aujourd'hui, je le l'écris à nos dirigeants « Messieurs, Mesdames, vous êtes une insulte à l'intelligence et à ceux et celles qui veulent mettre leur intelligence à profit en poursuivant des études et que vous allez en empêcher ».
Claude Jacqueline Herdhuin
Auteure, réalisatrice, scénariste, doctorante en études et pratique des arts à l’UQAM


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2011

    Madame,
    J'ai regardé les infos et j'avais l'impression qu'on voulait nous faire croire à une insurrection! Que les étudiants "ces bébés gâtés" se conduisaient comme des écervelés en instance de se changer subitement en criminels dangereux. Les policiers armés jusqu'aux dents -nerveux comme des chevaux mal domptés- avaient l'air d'avoir peur de toute cette jeunesse "désarmée".
    J'ai quitté la télé, j'étais pâmée de colère.
    Charest fait tout pour nous enlever notre force de vie, de pensée, de pays. Il essaie de nous ratatiner. Depuis huit ans que cet énergumène nous gruge le foie! J'en ai marre, marre !
    Qu'il décolle, nom de Dieu !
    Je suis une mère monoparentale. J'ai eu prêts et bourses pour que mon fils fasse son université. Il en est ressorti avec 22,000$ de dette. Il est tombé malade et il a dû faire faillite. J'avais le coeur brisé mais je ne pouvais vraiment pas payer cette dette. Et lui non plus. On m'a dit :"Tu devrais payer cette dette car pour un garçon commencer sa vie par une faillite, c'est pas très honorant!" Ce commentaire venait d'une personne capable de payer l'Université à son enfant, aisément. Vous comprenez que je vous comprends, vous et monsieur Racine. J'ai tellement ravalé ma colère, et aujourd'hui ça empire.
    Il faut l'INSTRUCTION GRATUITE à tous les niveaux. Mon père a payé pour la première enseignante à la maison et elle, a payé pour la deuxième enseignante et ainsi de suite jusqu'à la cinquième. Il a dit:"La fortune que je vous laisse, c'est votre instruction". C'est pas beau, ça ?
    BONNE CHANCE. Votre lettre est très belle. Il faut que les étudiants continuent !

  • Stéphane Sauvé Répondre

    2 avril 2011

    Madame Herdhuin,
    Je souhaite de tout coeur que se réalise votre souhait généreux que vos enfants et vous-mêmes puissiez terminer vos études avec succès. Vous (nous) le méritons tous.
    Je me rapelle d'un éditorial que j'ai écrit dans les années 80 sur les frais de scolarité. A l'époque (84), je suggérais qu'on les augmente. Quelle erreur !
    J'argumentais que l'Ontario imposait beaucoup plus à ses étudiants et qu'en conséquence, les étudiants québécois devaient y mettre du leurs si ils voulaient un meilleur système d'éducation universitaire. Je me suis fourvoyé royalement.
    Les frais ont augmenté, la dette des étudiants a augmenté, leurs chances d'emploi ont diminué et les services ne se sont pas améliorés.
    Ce qui gâte la sauce davantage, c'est que la charge fiscale et les responsabilités des jeunes sont en train de s'alourdir avec le vieillissement de la population. Il n'y a rien ici qui améliorera le sort des étudiants et le nôtre si nous poursuivons dans cette lancée insensée d'endetter davantage les jeunes. Notre souveraineté n'en sera que davantage réduite.
    Une fois de plus, les institutions financières et les politiciens à leurs solde sont en train d'hypothéquer nos chances de mieux s'assumer comme société.
    Il nous reste la rue, la résistance civile....et le courage de nos convictions.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2011

    Je suis profondément attristé par la situation politique et sociale au Québec. Je suis devenu politisé alors que j'étudias en sciences politiques en 1999. Je n'ai pas étudié longtemps, car je devais travailler pour payer mes études et mon logement, et à la fin de la première session, j'étais en dépression, comme plusieurs autres étudiants qui n'ont pas droit à beaucoup de prêts et de bourses du gouvernement et dont leurs parents, "riches" selon les critères de l'Aide financière aux études, ne sont pas vraiment riche et ne peuvent pas aider leurs enfants.
    Ainsi, après avoir galéré, en 2004, j'avais enfin droit aux prêts et bourses de l'AFE. ENFIN, je pouvais prioriser mes édudes et travailler si j'en avais le temps. Surprise, Charest avait coupé de moitié la bourse pour doubler le prêt. Ce fut l'élément déclencheur de ma haine envers le PLQ. (il y a tellement de raisons...) Oui, une haine totale. Parce que nous les étudiants, sommes sortis dans la rue au printemps 2005, le PLQ a reculé. N'empêche, chaque fois que je regarde mon solde de prêts étudiants à la banque, je me souviens que même si le PLQ avait reculé, plusieurs autres étudiants et moi-même payons pour cette injustice parce que pour l'année 2004-2005, nous avons eu plus de prêts et moins de bourses.
    2011 maintenant, depuis 2003 que le PLQ est au pouvoir. En 2007, j'avais atteint la limite de l'intellectuellement acceptable et endurable. Je trouve que les gens au Québec sont patients. Avant de quitter le Québec je me disais "pourquoi suis-je politisé, ce serait tellement plus simple si j'étais imbécile heureux." Bon, une fois qu'on devient politisé et informé, il n'y a pas de retour en arrière.
    Quatre ans plus tard, j'ai appris le suédois, je vis en Suède, je suis citoyen suédois, et je ne regrette rien. Je le referais n'importe quand. Je refais des études universitaires en ce moment, totalement gratuites, et en plus, les prêts et bourses en Suède me permettent de faire les paiement de ma dette étudiante au Québec.
    Si j'étais resté au Québec, je serais devenu fou. Même au loin, je ressens la colère. Des croutons à l'ail la semaine dernière dans le bureau d'un député! Ce sont des serpents venimeux que j'aurais laissés dans les bureaux des députés du PLQ. Si j'étais encore au Québec, je ne sais pas ce que je ferais.
    Je suis de tout coeur avec les étudiants. C'est le temps de la révolte. En 2005, nous avons fait reculer le PLQ. VOUS allez faire reculer le PLQ en 2011. Si les croutons à l'ail ne fonctionnent pas, je sais que vous allez trouver autres choses. Entre les croutons à l'ail et la guillotine, il y a beaucoup de possibilités. Toutefois, je suis certain que vous n'aurez pas besoin de vous rendre à la guillotine :)
    Les "vieux" vont peut-être embarquer dans le train de la révolution. Chaque député du PLQ devrait être déporté sur une île déserte.
    Courage!