Regardez-les ces parvenus! Ils n’ont pas encore trente ans qu’ils sont déjà vieux; leur vive tignasse camoufle quelque triste grisaille sous le scalp. S’opposant aux revendications des étudiants et de ceux qui ont pris acte de l’immoralité et de l’irrationalité économique d’une hausse des frais de scolarité avec autant d’ardeur qu’ils défendent leurs diplômes fraîchement acquis, ils trahissent le rôle traditionnel de l’élite et méprisent jusqu’aux faits pour justifier leur nouveau statut social.
Mathieu Bock-Côté, Pierre-Yves McSween, et d’autres, et d’autres… Ces jeunes parvenus envahissent toutes les tribunes et se servent de leurs diplômes – obtenus à bas coût – comme autant de preuves d’une vertu dont ils aimeraient priver la génération suivante.
Le premier se dit sociologue mais du haut de son doctorat qu’il exhibe comme d’autres auparavant caressaient ostentatoirement un chapelet pour s’absoudre de leur probable bêtise, il affirme que la fin du « verrou » du gel des droits de scolarité est inévitable et qu’il devrait sauter pour « moderniser » le modèle québécois (lire: l’affaiblir pour permettre de plus grands écarts de richesse). Silence, pourtant, sur le fait qu’il a été démontré que chaque dollar investi dans un étudiant universitaire en rapporte cinq à l’État en taxes et impôts. Silence également sur les milliards de dollars de baisses d’impôts aux mieux-nantis et aux entreprises qui ont été consenties depuis une décennie, alors même qu’une étude de l’IRIS a démontré que la gratuité scolaire totale ne coûterait que 550 millions de dollars, moins de 1% du budget total de l’État1. Bock-Côté n’est pas à la recherche de la vérité; il cherche à justifier son inutilité.
Le second se prétend comptable pour avoir accès au gotha des tribunes publiques de La Presse ou d’autres médias « crédibles » (lire: de droite), mais il tient le même discours débilitant bâti sur de tels préjugés qu’il fait honte à sa profession. Se basant strictement sur son expérience personnelle – à l’opposé de toute méthode scientifique – il prétend que les étudiants seraient chanceux parce que les ordinateurs portables sont moins chers qu’il y a dix ans et que le gel des frais de scolarité est inacceptable parce que « tout a un prix ». Malgré l’incroyable force de son argumentaire (!), il demeure silencieux quant au fait que beaucoup d’étudiants, sinon la majorité, n’ont pas les moyens d’avoir un ordinateur portable. Silence également sur le fait que si « tout a un prix », c’est à l’impôt progressif de le payer – le plus riche contribuant davantage que le moins-nanti – et non à des étudiants qui commencent dans la vie et qui n’ont pas tous eu la chance de naître dans une famille aisée.
Il fut un temps – possiblement trop bref – où l’élite intellectuelle du Québec œuvrait pour le bien-être collectif de la population. Consciente de son statut privilégiée, émancipée de par une éducation obtenue de bonne fortune ou de bonnes grâces, elle ne cherchait pas à justifier sa position avantageuse dans l’échelle sociale, mais elle se donnait comme mission de contribuer à l’émancipation globale de la population. Les problèmes étaient abordés sous l’angle de l’intérêt de tous, et on ne rebutait pas de questionner les pouvoirs en place, de s’attaquer aux dogmes qui nuisaient à ce bien commun.
Aujourd’hui, alors que la débandade du néolibéralisme ne fait plus de doute et que les dogmes économiques de droite sont de plus en plus remis en question par les crises et par l’augmentation des inégalités sociales qu’ils provoquent, les Bock-Côté et les McSween de ce monde se contentent d’opiner bêtement du chef, réservant leur capital intellectuel (pour utiliser un terme qu’ils comprennent) à leurs emplois respectifs et utilisant les tribunes disponibles non pas pour favoriser l’élévation générale de la société, mais pour s’assurer leur place de choix dans l’ordre injuste se mettant en place devant nos yeux. Élite médiocre.
La société forme un tout. Avant la Révolution tranquille, elle était très élitiste, mais cet élitisme avait comme contrepoids une morale chrétienne encourageant le don, la charité et faisant peser le spectre de l’opprobre général sur un enrichissement trop exagéré. L’État a remplacé la religion et ce qu’on a appelé l’État-providence, jusqu’à ce qu’on commence à la démantibuler au début des années 80, a systématisé une redistribution de la richesse que la religion opérait, avec difficulté, par la bonne foi de tous. Et encore maintenant, qu’on regarde d’autres peuples, partout la même situation: ou bien l’État, ou bien la religion. Ni un, ni l’autre, et il n’y a plus la cohésion sociale permettant à une société de réussir.
D’une manière plus large, en prônant le retrait de l’État en général et dans l’éducation en particulier, et puisqu’il n’y a aucune structure pour le remplacer, tous ces parvenus travaillent à créer une rupture avec les idéaux d’accessibilité et d’égalité de la Révolution tranquille en précipitant les jeunes de la prochaine génération non seulement dans l’ignorance et un appauvrissement plus marqué, mais également en leur offrant une société désolidarisée où le seul horizon envisageable consiste à s’endetter pour devenir d’autres parvenus, petits faiseux moralisateurs et réactionnaires sans aucune autre valeur que leur désir d’enrichissement très personnel.
Quand l’éducation devient une marchandise comme une autre, il se trouve toujours quelqu’un qui possède peu, mais qui se glorifie de ce que son peu vaille toujours plus que celui qui n’a rien.
Au royaume des parvenus, une seule règle: tout pour soi.
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