La Syrie se renforce… le Liban s’affaiblit !

Géopolitique — Proche-Orient

Une fois de plus, le Liban s’est laissé prendre au piège du conflit régional et international. L’assassinat du général Wissam Al-Hassan préfigure une nouvelle période chaotique pendant laquelle les turbulences ne cesseront de succéder aux accalmies.
Un conflit entre plusieurs « axes » qui a atteint des sommets; et qu’Al-Hassan a payé de sa vie. Rien ne laisse présager un retour au calme tant que la « crise syrienne » ne sera pas réglée, autrement dit, tant que les É.-U. et la Russie n’auront pas trouvé un terrain d’entente; ce qui risque de demander un certain temps!
Au bout de 19 mois de crise, l’« axe des partisans de la Syrie » semble considérer qu’il est en situation de reprendre l’initiative. Alors que l’Iran multiplie les signaux d’avertissement, le président russe Vladimir Poutine a formulé en à peine quelques jours des dizaines de déclarations mettant l’accent sur des « évidences » : non au départ de Bachar al-Assad; non au recours à la force; oui à une solution politique impliquant un consensus entre les autorités légitimes et l’opposition!
Encore mieux, Poutine défie désormais le bloc occidental en déclarant que « nul n’a le droit de dicter à la Russie à qui elle peut vendre des armes », et l’accuse, ainsi que certains pays arabes, en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar, de « semer le chaos » en Syrie!
De son côté, la diplomatie russe s’active ouvertement et surtout en coulisse auprès de nombreux pays dont des pays du Golfe, notamment l’Iran et les Émirats Arabes Unis, et d’autres pays ayant un impact direct sur la crise syrienne; tout comme elle persiste dans sa contribution à l’émergence de l’opposition syrienne disposée au dialogue avec les autorités et capable d’affronter le CNS qui le refuse.
Face à la crise syrienne, l’« axe occidental » frôle la crise à son tour. Il se raconte que lors d’une récente rencontre à Paris, l’un des diplomates a demandé à ses homologues : « Croyez-vous que Bachar al-Assad restera au pouvoir jusqu’à fin 2013? »; ils auraient tous acquiescé! Les dirigeants occidentaux sont très mécontents de la désintégration de ladite « opposition syrienne ».
Les dirigeants étasuniens sont encore plus mécontents de l’expansion des salafistes. L’angoisse est à son comble, car « le plan du printemps arabe » évolue d’une façon inquiétante! La Libye est en quasi-guerre civile.
L’atmosphère de la Maison-Blanche a bien changé depuis l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi dans le contexte du film insultant le Prophète. Mais Moscou coordonnerait des réunions concernant la « sécurité » entre officiers américains et officiers syriens. Damas nie. Pourrait-il s’agir d’un déni pour raison diplomatique?
En Tunisie, le mouvement « Ennahda » rencontre une opposition qui monte en puissance, avec le pressentiment que les Émirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite et le Koweït s’éloignent pour favoriser un troisième choix; celui du parti « Appel de la Tunisie » dirigé par le diplomate Béji Caïd Essebsi.
Quant au ministre des Affaires étrangères, il s’est vu récemment confirmer en toute franchise par son homologue turc, Ahmed Daoud Oglou, qu’Ankara était quasi incapable de mener une opération sérieuse en Syrie.
Ceci dit, il a suffi d’une rencontre des cadres dirigeants du « Congrès national arabe », avec le président Moncef Marzouki et le chef d’« Ennahda » Rached Ghannouchi, pour que l’image de la situation en Syrie devienne un peu plus claire aux yeux des Tunisiens. Leur président en a appris des choses… notamment qu’il existe de nombreux Alaouites en Turquie!
Quant à la Syrie, la situation soulève toujours autant de questions. Ceux qui ont rencontré dernièrement le Président syrien rapportent qu’il est plus confiant que jamais et que ses propos laissent à penser que la Syrie, qui a survécu à la crise, se dirige vers une nouvelle étape qui en éradiquerait les séquelles.
Par ailleurs, en dépit de l’élargissement de la zone de combat contre l’opposition armée, la situation militaire s’améliore et n’inquiète pas outre mesure les autorités qui soulignent que, malgré toutes leurs troupes armées, les É.-U. n’ont pas pu mettre fin à de telles opérations ni en Irak, ni en Afghanistan et que c’est donc une question de temps! Finalement, Bachar al-Assad se retrouve en situation d’imposer ses conditions à tout règlement futur, à commencer par celle qu’il a dictée à Lakhdar Brahimi : « l’Arabie saoudite et le Qatar doivent déclarer publiquement qu’ils cessent de soutenir l’opposition armée! ».
En revanche, l’inquiétude est manifeste du côté des opposants syriens prétendument libéraux. L’un de leurs principaux piliers a déclaré : « Ils nous ont dit qu’al-Assad ne tirerait pas sur les manifestants, il l’a fait, mais nul en Occident n’a bougé! Ils nous ont dit qu’il n’utiliserait pas des armes lourdes, il l’a fait, ils n’ont pas bougé non plus! Ils nous ont dit la même chose au sujet des chars et des avions… » Nous constatons que l’Occident ne veut pas permettre à l’opposition de résoudre la question et suspectons une certaine « collusion »!
Ce qui nous ramène aux questions centrales. Qu’adviendra-t-il si le « régime » syrien survit? Que se passera-t-il pour l’Iran qu’il leur faut assiéger? Qu’en sera-t-il du rôle du Hezbollah qu’il leur faut détruire et d’Israël qu’il leur faut protéger? Il faudra nécessairement attendre la période postélection présidentielle aux É.-U. pour y voir un peu plus clair sans, pour autant, que les événements restent figés!
En effet, le drone de reconnaissance du Hezbollah, surnommé « Ayoub », a survolé le territoire israélien et a transmis les photographies de ses centres stratégiques dans le but de freiner toute velléité d’aventure guerrière.
Certains affirment que les Iraniens disposeraient de nouvelles cartes au Yémen, celle des rebelles houtistes au Nord et celle d’une partie de l’opposition au Sud.
La situation est de plus en plus tendue en Arabie Saoudite. La température monte au Bahreïn. Le ton monte aux Émirats Arabes Unis où le chef de la police à Dubaï, Dahi Khalfan, s’en est pris aux Frères musulmans. De même en Égypte où s’affrontent les Frères musulmans et les libéraux…
D’où une autre question : Que fera l’Occident? Il a parié sur les Frères musulmans, mais les voilà qui titubent devant les salafistes, lesquels se rapprochent dangereusement d’Israël avec, selon les termes d’un haut responsable libanais « leur volonté d’établir un État qui s’étendrait de Tripoli vers Homs et Alep… un rêve historique! ».
Alors que l’Occident escomptait utiliser les salafistes contre le Hezbollah libanais et alimenter le sectarisme régional contre l’Iran, les voilà devenus une menace pour Israël et les États-Unis à la fois!
C’est dans ce contexte général que l’assassinat du général Wissam al-Hassan est venu déstabiliser le Liban, et qu’il a été suivi des appels des « 14 marsistes » à faire tomber le gouvernement libanais dont le siège n’a pas tardé à être attaqué.
Mais ceux-là, qui sont derrière les attaquants, ne semblent pas avoir remarqué que le « climat international » a changé, que le premier ministre libanais Najib Mikati dispose d’une couverture de plus en plus solide, que tout changement au Liban passe par une entente « irano-saoudi-américano-russe », et que l’Arabie saoudite ne donne en Syrie que ce qu’elle prend au Liban! Certes, l’image n’est pas encore complète, mais elle pourrait le devenir, alors que la Syrie et l’Iran travaillent à améliorer leurs conditions et à se renforcer.
Chaque partie cherche à faire monter la pression, mais toutes craignent de voir les armes tomber aux mains des salafistes et d’Al-Qaïda. Chaque partie cherche à améliorer ses positions, tandis que le Liban est en train de s’affaiblir du fait de la courte vue de certains qui en ont fait une arène pour des règlements de comptes qui ne le concernent en rien.
Par conséquent, un désordre incontrôlable risque d’y aller grandissant et les explosions et assassinats risquent de s’y multiplier. Heureusement que certains partis libanais refusent de se laisser entraîner vers la discorde. Mais pour combien de temps? Peut-être jusqu’à ce que les conditions d’un « Taëf syrien » soient devenues favorables à la résurrection d’un « Taëf libanais »!
Sami Kleib


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