Le cheval qui ne voulait pas parler

Crise de l'euro



Un an après que les Européens se furent décidés à voler au secours de la Grèce, elle se porte toujours aussi mal. On pense de plus en plus secrètement qu'elle devra finalement faire défaut sur sa dette, tout en craignant ce qui pourrait arriver par la suite.
Il y a un an, et après de nombreux débats et tergiversations, les pays de l'Union européenne avaient convenu de venir en aide à la Grèce en lui offrant 110 milliards d'euros sur trois ans en échange de la promesse de procéder à des compressions budgétaires draconiennes et à une restructuration profonde de son économie. Les résultats ont été jusqu'à présent pour le moins décevants. Au lieu de ramener son déficit à 8,1 % du produit intérieur brut (PIB) pour la fin de 2010, son gouvernement n'a pas pu faire mieux que 10,5 %, laissant entrevoir, pour la fin de cette année, une dette totale astronomique de 150 % du PIB. Les restrictions de dépenses et la hausse des taxes n'ont rien fait pour sortir l'économie de la récession, le taux de chômage ayant grimpé en un an de 12,1 % à 15,9 %.
Officiellement, les autorités européennes sont en train d'évaluer si les progrès réalisés jusqu'à présent ont été suffisants pour que le pays ait droit à une nouvelle tranche de l'aide promise l'an dernier. On se dit possiblement ouvert à l'idée d'offrir un petit coup de pouce supplémentaire, à condition que les Grecs fassent plus d'efforts eux aussi en privatisant notamment pour 50 milliards d'actifs de l'État. On croise au même moment les doigts en espérant que l'Irlande et le Portugal, qui ont aussi demandé de l'aide, auront plus de succès.
On raconte qu'un jour un roi, qui avait condamné un homme à mort, a offert à ce dernier la chance d'avoir la vie sauve s'il parvenait, en l'espace d'un an, à apprendre à parler à son cheval, écrivait la semaine dernière le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolfe. L'homme avait accepté, expliquant à ses amis que tout pouvait arriver durant ce délai: «le roi peut mourir; je peux mourir; et le cheval pourrait se mettre à parler». «C'est ce qu'ont fait les autorités européennes avec les crises en Grèce, en Irlande et au Portugal, a observé l'économiste britannique. Les décideurs politiques ont choisi de gagner du temps dans l'espoir que ces pays parviendraient à rétablir leur crédibilité fiscale. Jusqu'à présent, cela a échoué.»
Cet échec n'a échappé à personne, et les rumeurs de défaut des gouvernements sur leurs dettes, et même de sortie de certains pays de la zone euro, ont recommencé à se faire entendre, encouragées, entre autres choses, par les incessantes décotes des agences de notation. On dit qu'à huis clos l'Allemagne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) seraient prêts à une restructuration de la dette grecque, mais que la Banque centrale européenne et la France seraient contre. On brandit chaque fois le spectre du déclenchement d'une réaction en chaîne pire que celle qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. Il faut dire également que l'on ne veut surtout pas relâcher la pression sur les Grecs en ouvrant la porte à des solutions qui pourraient leur sembler plus faciles et les détourner des réformes que l'on attend d'eux.
Prochaine étape
Les marchés financiers n'en sont plus à cette étape. Ils évaluent désormais la probabilité que la Grèce fasse défaut sur sa dette à 70 %, et ont commencé, d'ores et déjà, à intégrer à leurs analyses et à leurs prix toutes sortes de scénarios allant d'une «restructuration douce», qui ne consisterait, par exemple, qu'à remettre à plus tard le remboursement des dettes contractées, à une «restructuration dure», qui pourrait amener à ne rembourser que 70 %, voire seulement la moitié de chaque euro emprunté.
Les premières victimes, selon UBS, seraient les banques grecques qui détiennent 22 % de la dette grecque. Viendraient ensuite la Banque centrale européenne (20 %), puis les autres banques commerciales (11 %), principalement françaises et allemandes. «La peur d'un effet domino est compréhensible, mais exagérée», estimait entre autres une analyse du Centre Brueggel en février. La plupart des banques touchées devraient être capables d'absorber le choc sans trop de peine, surtout si les Européens donnent suite aux promesses de renforcement de leur secteur bancaire et de leur compétitivité économique.
On pense que l'Irlande devrait pouvoir éviter le défaut de paiement, tout comme l'Espagne. La revue The Economist se montrait moins optimiste en ce qui concerne le Portugal la semaine dernière, bien qu'il soit soumis à une médecine moins sévère que celle de la Grèce.
Selon les experts du Centre Brueggel, ces restructurations de la dette grecque et portugaise devraient se faire le plus vite possible. Martin Wolfe suggère quant à lui qu'on ne fasse pas exprès de surprendre les marchés qui attendent ces défauts de paiement pour l'an prochain. Cela pourrait bien ne pas suffire, prévient toutefois Simon Tilford, du Centre for European Reform. La Grèce et le Portugal partent de tellement loin que les autres pays européens pourraient bien devoir décider lequel des deux maux est le moindre entre le maintien d'une aide financière pendant de nombreuses années et leur abandon de l'euro.
Dans tous les cas, il n'est plus question d'attendre que le cheval parle.


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