L'Écosse en plein débat préréférendaire

Les Écossais seront-ils indépendants avant les Québécois?

En attendant l'automne 2014, les Écossais pourraient bien donner quelques leçons de politique aux Québécois.

Écosse et indépendance


Edimbourg — Il souffle un vent référendaire ces jours-ci sur les côtes écossaises. Vu de la colline du château qui domine la ville, on sent une grande fébrilité et le climat politique ressemble à s'y méprendre aux années qui ont précédé le référendum québécois de 1995.
C'est dans le grand hall de cette forteresse du XVIe siècle que le premier ministre écossais, l'indépendantiste Alex Salmond, a choisi de répondre aux questions de la presse internationale, le jour même de l'anniversaire du poète national Robert Burns. Étrangement, parmi la cinquantaine de journalistes venus du monde entier, on comptait des Catalans, des Basques, des Chinois, des Allemands, des Français, mais pratiquement aucun Canadien. Peu avant, Salmond avait prononcé devant le parlement écossais son discours le plus attendu depuis la victoire éclatante, l'an dernier, du Scottish National Party (SNP) à la législature écossaise.
Comme les Québécois l'ont fait en 1980 et en 1995, les Écossais seront invités à l'automne 2014 à se prononcer sur l'indépendance de leur pays et à mettre fin au traité d'Union qui les unit à l'Angleterre depuis 1707. La question sera claire, a dit le premier ministre, et on ne peut plus simple: «Acceptez-vous que l'Écosse devienne un pays indépendant?» Certes, les plus radicaux parmi ceux que l'on appelle ici les unionistes souhaiteraient une question du genre «Voulez-vous que l'Écosse se sépare totalement et définitivement de la mère patrie britannique adorée?», ironise le politologue Michael Keating de l'Université d'Édimbourg. Il y aura évidemment un débat sur la question qui sera soumise à la Commission électorale britannique et sur la légalité d'un référendum qui ne serait pas approuvé par une loi de Westminster. Mais, sauf pour les unionistes les plus extrémistes, la formulation de la question révélée cette semaine ne devrait guère poser problème. À Édimbourg, on voit mal comment, avec seulement 12 députés écossais, la coalition libérale-conservatrice au pouvoir à Westminster pourrait avoir la légitimité de contester la légalité de la démarche du Parlement écossais.
Dès le lendemain du discours d'Alex Salmond, un nouveau sondage réalisé pour le New Statesman semblait favoriser le SNP. Pour une des premières fois, le Oui à l'indépendance atteignait 44 % (contre 45 % pour le Non et 11 % d'indécis). Mais les experts demeurent sceptiques devant ces chiffres. Contrairement au Québec où les souverainistes ont souvent dépassé les 50 %, les partisans de l'indépendance de l'Écosse ont rarement rassemblé plus du tiers de l'électorat, explique George Kerevan, chroniqueur au quotidien The Scotsman.
Attablé au café Elephant House, où J. K. Rowling aurait écrit de longs chapitres d'Harry Potter, dit-on, Kerevan demeure perplexe. «La bataille de l'indépendance est gagnable, mais c'est un pari énorme, dit-il. Deux ans en politique, c'est une éternité. La population risque de se lasser. Mais il y aura des élections britanniques en 2015 et la perspective de voir les conservateurs réélus pour cinq ans de plus pourrait inciter les Écossais à dire oui à la séparation.»
Un sondage récent du politologue John Curtis de l'Université Strathclyde a montré que s'ils étaient convaincus que l'indépendance améliorerait leurs revenus de 500 livres sterling par année, la plupart des indécis opteraient pour le Oui. «Cela laisse penser que les arguments économiques seront très importants, dit Kerevan. Si Salmond peut faire cette démonstration, en faisant par exemple miroiter les profits que l'Écosse peut tirer du pétrole de la mer du Nord, il peut gagner.»
Une deuxième question?
Couronné homme politique de l'année 2011 par le Times de Londres, Salmond est considéré comme le politicien le plus habile de Grande-Bretagne. Difficile, pour l'instant, de trouver mieux à Westminster. Cet ancien banquier est aussi connu pour être un spécialiste des courses de chevaux sur lesquelles il a déjà signé une chronique hebdomadaire dans le Scotsman. «Salmond est un joueur, dit le sociologue de l'Université d'Édimbourg David McCrone. Il a toutes les cartes en main et il ne veut en laisser échapper aucune. En cas de défaite, il tient absolument à se ménager une position de repli.»
Voilà pourquoi, dans la consultation qu'il a lancée mercredi et qui durera jusqu'en mai prochain, le premier ministre écossais n'a pas écarté la possibilité de poser une seconde question proposant une solution mitoyenne qui permettrait à l'Écosse de percevoir tous ses impôts et d'en redistribuer une petite partie à Londres, notamment pour les affaires étrangères et la défense. Une formule proche du défunt rapport Allaire québécois baptisée Devo Max (pour «maximum devolution»). Ce n'est pas mon choix, a déclaré Salmond, «mais il ne serait pas juste d'exclure a priori une option soutenue par une large partie de la population». Le premier ministre dit aussi vouloir éviter de «présenter une plus grande dévolution et l'indépendance comme des projets opposés». Car, selon lui, ils vont dans la même direction.
Si cette seconde question n'est défendue par aucun parti, elle l'est par plusieurs organisations de la société civile comme les syndicats, dit Michael Keating. L'ancien chef travailliste écossais Henry McLeash, aujourd'hui marginal, s'en était fait le défenseur. L'un des architectes de la dévolution, Canon Kenyon Wright, a annoncé qu'il allait lancer une campagne en faveur cette seconde question.
Le chef du SNP veut éviter de se «peinturer dans le coin» comme le furent les souverainistes québécois au lendemain des référendums de 1980 et 1995, explique David McCrone. Alors que le soutien à l'indépendance dépasse rarement les 40 %, cette solution mitoyenne pourrait facilement rallier plus de 70 % des Écossais.
La présence d'un second choix sur le bulletin risque d'inciter certains électeurs à se détourner de l'indépendance, craignent pourtant de nombreux partisans du SNP. Mais cette solution a surtout le don d'irriter Londres, qui ne veut absolument pas en entendre parler et qui s'opposera de toutes ses forces à un référendum avec deux questions.
«Il est facile de comprendre pourquoi les conservateurs, qui ont pratiquement été rayés de la carte électorale écossaise, s'opposent à cette seconde question», dit McCrone. Mais cette opposition est plus difficile à comprendre de la part des travaillistes.
«Les Anglais préféreraient voir l'Écosse partir plutôt que de lui offrir de nouveaux pouvoirs, dit le politologue Michael Keating qui a vécu 11 ans au Canada. Contrairement au Canada anglais, pour qui il n'était pas question de laisser le Québec se séparer, une large partie des Anglais et des unionistes seraient parfaitement indifférents à l'indépendance de l'Écosse. De plus en plus de députés conservateurs à Westminster ne supportent pas de voir leurs collègues écossais voter des lois sur la santé et l'éducation alors qu'elles ne s'appliquent pas à l'Écosse. La moitié des députés conservateurs verraient l'Écosse partir sans le moindre état d'âme.» Keating a même déjà écrit que, si les Écossais ne se séparent pas de l'Angleterre, les Anglais pourraient décider de se séparer de l'Écosse.
Ce qui se passe en Écosse est suivi de près par le pays de Galles et l'Irlande du Nord, dit Georges Kerevan. «Contrairement aux Québécois qui sont seuls face à neuf provinces anglophones, l'Écosse n'est pas seule à revendiquer son autonomie dans le Royaume-Uni. Il y a l'Irlande du Nord et le pays de Galles.» Comme pour la dévolution, ce dernier a souvent tendance à suivre, avec quelques années de retard, ce que fait le grand frère écossais. En Irlande du Nord, l'idée d'un rattachement au voisin du sud semble en perte de vitesse chez les nationalistes, ce qui pourrait les amener à explorer de nouvelles perspectives, dit Kerevan.
Le fossé identitaire
Au-delà des hauts et des bas des sondages référendaires, depuis 20 ans, toutes les enquêtes prouvent que, à l'exemple des Québécois qui se sentent de plus en plus québécois, les Écossais se sentent de plus en plus écossais. Aujourd'hui, près de 70 % d'entre eux se considèrent comme uniquement ou principalement écossais. Seuls 24 % se disent également britanniques et écossais. Et à peine 3 % principalement britanniques. Mais il serait très hasardeux d'en déduire les résultats du référendum, précise McCrone.
«La construction d'une identité britannique, comme Trudeau a fait avec l'identité canadienne, n'est pas dans la tradition du Royaume-Uni», dit Michael Keating. Avant de quitter le pouvoir, l'ancien premier ministre Gordon Brown avait lancé une commission itinérante sur l'identité britannique. Parodiant le multiculturalisme à la Trudeau, il avait même évoqué un multiculturalisme à la britannique avec les Écossais, les Gallois, les musulmans et même les Pakistanais. Le projet n'a pas eu de suite, mais une commission étudie la possibilité que le Royaume-Uni adopte sa propre charte des droits. «Cela risque d'irriter passablement les Écossais. Les anciens unionistes n'auraient jamais fait ça!», dit Keating.
Quelle influence pourrait avoir sur le référendum la récession dans laquelle la Grande-Bretagne vient d'entrer? «C'est le facteur inconnu, dit McCrone. La crise rend les électeurs plus inquiets et moins enclins à prendre des risques. Mais la destruction systématique de l'État-providence par les conservateurs peut aussi les inciter à faire le saut vers l'indépendance pour se protéger.»
Les bus à deux étages qui circulent dans Princess Street, la grande avenue commerciale d'Édimbourg, annoncent le film The Iron Lady dans lequel Meryl Streep interprète Margareth Thatcher. Vingt ans plus tard, l'ancienne première ministre demeure toujours la personnalité la plus détestée des Écossais.
Les Écossais auront donc deux ans pour se faire une idée de leur avenir constitutionnel. La plupart des analystes se demandent comment il sera possible de maintenir un débat soutenu pendant tout ce temps. «Une semaine en politique est une éternité», rappelle David McCrone, qui n'exclut pas un scénario à la québécoise où, après avoir perdu le référendum, Alex Salmond serait réélu en 2016. Exactement comme René Lévesque en 1981 et son «beau risque» qui mena aux négociations des accords du lac Meech.
En attendant l'automne 2014, les Écossais pourraient bien donner quelques leçons de politique aux Québécois.
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Correspondant du Devoir à Paris


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