La mafia dans la construction

Les fonds publics sont en péril, la démocratie aussi

il ne s'agit pas seulement de préserver les fonds publics contre des pillards en smoking

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Y a-t-il encore des Québécois pour penser qu'un code d'éthique préviendra les abus dans les contrats publics? Quand un tel code a été proposé, l'été dernier, le président de l'Union des municipalités du Québec, commentant le rapport, s'est félicité qu'on y «reconnaisse d'emblée le bon fonctionnement des administrations locales actuelles». Trois mois plus tard, le réveil est brutal.
Pour le président de l'UMQ, Robert Coulombe, il n'y avait pas de failles dans les lois. À quoi bon ce rapport, lui avait-on demandé, à sauver les apparences? Non, répondit-il. «Le code de déontologie va faire en sorte de rassurer les citoyens, de leur montrer que les élus sont bien encadrés.» Pour être encadrés, ils l'étaient, mais -- faut-il croire -- pas par ceux dont c'est le mandat.
Quand une combine d'entrepreneurs à Laval est venue à la connaissance de Québec, ni les Affaires municipales ni la Justice n'ont sévi. La Sûreté aurait fait enquête, dit-on, mais le dossier, refilé à Ottawa, y a été apparemment réglé à la sauvette. Oui, un encadrement existe, mais comme dirait un cynique, ce n'est pas la burka, stupides, c'est la mafia!
Sitôt paru le rapport sur l'éthique, d'autres élus se sont hâtés d'en approuver l'idée. Déjà pourtant, quelques experts en affaires locales faisaient entendre un autre son de cloche. Ainsi, dans une entrevue à La Presse, un avocat en droit municipal, Me Marc-André Lechasseur, tiendra des propos qui, à la lumière de révélations récentes, frappaient dans le mille.
«Il y a des villes totalement corrompues, a-t-il dit, qui disposent de codes d'éthique absolument magistraux.» Et ce juriste de regretter que le rapport sur l'éthique municipale passe sous silence les entorses les plus répandues, soit «les appels d'offres faits sur mesure pour accommoder un promoteur particulier, les critères qualitatifs dans l'attribution des contrats, les grilles d'évaluation subjectives».
Or, il serait surprenant que les bénéficiaires de grands travaux se soient contentés de lorgner des fonds municipaux. Le gouvernement provincial a longtemps négligé les ponts et chaussées, certes, mais son ministère des Transports offrait encore des contrats plantureux. Ces autres appels d'offres sont-ils aussi allés à un monopole de la garnotte? À l'Assemblée nationale, c'est la pensée qui agite l'opposition, laquelle n'explique pas autrement la réticence du cabinet Charest à déclencher une enquête publique. Cette réticence ne durera pas longtemps.
Le dernier recours
Ironie du sort, un parti qui pourfend la corruption, Vision Montréal, vient d'y sacrifier son ancien chef. Benoît Labonté est victime, clame Louise Harel, d'une «tentative d'assassinat politique». La candidate à la mairie incite les sources anonymes des médias à donner leurs «preuves» au Directeur général des élections (DGE). Elle est en retard sur les événements. Le DGE, qui peine à suivre un scrutin de village, n'ira pas loin dans la métropole, à supposer que la loi lui en donne la responsabilité. Sauf erreur, il n'a pas autorité sur les courses au leadership. Même la SQ aurait peut-être du mal à expliquer son inaction chronique quant aux contrats publics. Reste la «sanction politique», notion chère au maire de Laval, Gilles Vaillancourt. Mais que vaut-elle quand il est devenu dangereux d'être candidat aux élections?
(Nul ne saurait rester indifférent, en effet, quand on voit des gens, non plus seulement acheter des élections, mais tenter d'empêcher la tenue d'un scrutin. Un Brian Mulroney fut jadis élu chef du Parti progressiste conservateur grâce à de l'argent allemand. Voilà maintenant qu'un Lino Zambito, mamma mia, voulait choisir lui-même qui serait le chef à Boisbriand!)
Ce n'est pas un pur hasard si les gens qui savent -- mais se taisaient jusqu'ici -- ont commencé à «parler aux journalistes». En matière de corruption politique ou de violence d'affaires, la sécurité publique ne fonctionne pas depuis des années. Les médias -- là où il y en a qui ne craignent pas de s'y attaquer -- sont devenus le dernier recours, sinon le seul qui vaille. En revanche, dès qu'une sombre histoire, fondée ou non, éclate, le choc est brutal.
Pour une commission d'enquête
C'est pourquoi le pouvoir qui ronronne à Québec ne peut plus s'en tenir aux «enquêtes policières». Déjà l'attention des observateurs se porte non plus sur l'opportunité d'instituer une commission d'enquête, mais sur sa composition, son mandat et ses moyens d'investigation. Il n'est pas superflu d'en signaler quelques exigences.
- Les institutions d'ici ayant failli à protéger l'intégrité d'une industrie, le gouvernement ne devrait pas hésiter, comme on l'a fait ailleurs au pays, à confier une telle enquête à des magistrats de l'extérieur. Commissaires ou procureurs en mal de carrière politique, s'abstenir.
- Les juristes et comptables appelés à y participer gagneraient aussi à provenir de firmes qui n'ont pas fréquenté de trop près les entreprises du milieu en cause ni les caisses électorales des partis.
- L'enquête devrait porter sur les entreprises qui ont obtenu ou sollicité des contrats publics et sur leur conduite concernant les appels d'offres, les liens avec des fonctionnaires, les contributions versées aux partis et à leurs gens et, le cas échéant, le recours à des mesures d'intimidation ou de corruption.
- Enfin, le budget et les délais de l'enquête devraient être à la mesure du problème. Le gouvernement manque d'argent, il est vrai. Mais il en coûtera beaucoup plus cher si jamais la gangrène qu'on devine parvient à contaminer les nombreux chantiers que l'État a entrepris.
Bref, il ne s'agit pas seulement de préserver les fonds publics contre des pillards en smoking. Un plus grand enjeu se profile en coulisse. Que restera-t-il des progrès de la démocratie au Québec si jusqu'à des élus sont présélectionnés par de tels caïds?
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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