Les dictionnaires sont des ouvrages politiquement corrects et, au mot «populisme», ils se contentent généralement de dire que le populisme est une doctrine d'inspiration socialiste ou nationaliste qui puise ses racines dans les aspirations populaires. Bien sûr, les dictionnaires ne donnent pas d'exemples de politiciens populistes. Le populisme n'est ni de gauche ni de droite. Hugo Chávez est populiste, tout comme le fut Hitler, le premier populiste élu.
Les populistes se situent toujours en opposition aux intellectuels, aux fonctionnaires, aux spécialistes. Ils prétendent être à l'écoute des préoccupations du pays profond, de monsieur et madame Tout-le-monde, des gens ordinaires. Ils prétendent aussi que, contrairement à ceux qui invoquent la complexité des problèmes et donc la complexité des solutions, il existe des solutions simples et définitives. Ils allèguent que, parce qu'ils ont les deux pieds sur terre et n'emploient pas des mots biscornus, ils sont à l'écoute du vrai peuple. Leur credo, c'est le «gros bon sens», cette sagesse populaire censée être capable de trouver une réponse simple à tout.
De tous les politiciens contemporains, Nicolas Sarkozy est le modèle le plus raffiné du «populiste». Il est à l'affût de toutes les peurs populaires, de tous les mécontentements ponctuels, de toutes les inquiétudes et de tous les désarrois. Quand il traite de «racaille» les jeunes des banlieues chaudes et qu'il promet de nettoyer cette racaille au Karcher comme on le fait avec des graffitis, il joue sciemment sur les préjugés d'une grande partie de la population qui ne connaît rien de la vie des banlieues. Quand il fait de l'immigration choisie un des thèmes de sa campagne électorale, c'est pour attirer vers lui ceux qui sont contre toute forme d'immigration. Quand il se déclare favorable à la castration chimique des criminels sexuels, il laisse entendre qu'il existe une solution «finale» au problème de la pédophilie ou de la perversité criminelle. Il utilisait le même procédé il y a quelques semaines quand il a annoncé, sans consulter personne, la mise sur pied d'un hôpital consacré exclusivement aux prisonniers coupables de crimes sexuels. C'était une douzaine d'heures après qu'on eut retrouvé le cadavre d'une fillette qui avait été victime de sévices sexuels. Voilà quelqu'un qui n'attend pas pour agir, s'est dit la France profonde. La vérité, cependant, est que ce projet d'hôpital avait été promis par lui-même deux ans auparavant, alors qu'il était ministre de l'Intérieur.
Le populiste s'appuie toujours sur de bons sentiments, il se pose en défenseur des faibles et des victimes. Il parle au nom de la décence et de la justice. Il prétend rassurer et protéger. Mais il le fait en cherchant en nous la part d'ombre, en faisant appel à cette partie de nous qui réclame vengeance, qui refuse la différence. Le populiste ne fait jamais appel à la réflexion, à la compréhension, à l'ouverture; il propose l'action radicale et immédiate. Le populiste réagit rapidement, parle vite, propose des solutions simples et réfléchit après.
Voilà exactement comment Mario Dumont et l'ADQ sont sortis des limbes politiques en appliquant à la lettre la méthode Sarkozy. Il ne faut pas chercher plus loin pour expliquer la nouvelle popularité de ce parti et de son chef. Ils exploitent les mêmes thèmes que le nouveau président français. Les prisonniers qui sont des parasites et devraient payer leurs repas; les vieux qui sont tous maltraités; les immigrants qui sont trop nombreux; les musulmans et les juifs qui menacent de modifier le paysage beauceron, et aujourd'hui les prédateurs sexuels.
Tous les lecteurs du Journal de Montréal et les fans de Claude Poirier suivent, l'âme en lambeaux et la vengeance en bandoulière, la triste saga de la petite Cedrika. Les députés de l'ADQ, Mario en tête, se sont dit qu'il y avait sûrement moyen de profiter politiquement de ce désarroi populaire. La députée de Lotbinière, Sylvie Roy, a déclaré qu'on avait beaucoup parlé de droits et d'égalité et qu'il était maintenant temps de parler de «sécurité». Comme si nous faisions face à une recrudescence soudaine et tragique de crimes sexuels, comme si le Québec vivait une crise et une situation qu'on ne retrouve pas ailleurs. Proposer une consultation populaire sur la délinquance sexuelle, c'est aussi intelligent que de proposer une consultation populaire sur le traitement du cancer du système lymphatique. Chimio ou radiations, madame Tout-le-monde?
Le populiste sait que ce genre de consultations donnera lieu aux pires débordements, aux appels haineux, aux jugements hâtifs. Il le sait, mais cela ne le dérange pas car c'est de cette part de mal en nous qu'il tient sa popularité. Le populiste sait très bien qu'il n'existe pas de solution simple et unique, que la castration chimique n'est pas la réponse magique, qu'il y aura toujours des erreurs dans les diagnostics, des failles dans le système de libération conditionnelle. Il sait surtout qu'aucune solution ne sortira de ce cirque de consultation populaire. Le populiste n'est pas un imbécile, au contraire. Il sait parfaitement que les prisonniers ne paieront jamais leurs repas, que l'immigration sera toujours une question complexe, qu'il n'y a pas de solution magique à l'harmonisation de la diversité culturelle. Il sait tout cela, mais jamais il ne vous le dira, car s'il le faisait, il ne serait plus chef de l'opposition. Alors, il en remet et déclare: «C'est aussi notre devoir de travailler pour que les rues soient plus sécuritaires pour nos enfants.» Comme si depuis quelques jours il fallait garder tous les petits Québécois à la maison.
Collaborateur du Devoir
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