Musulmanes et féministes

Les deux ne sont pas incompatibles, explique la présidente de la Fédération des femmes du Québec devant la commission Bouchard-Taylor

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Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Au fond, peut-on envisager et surtout défendre un féminisme avec foulard? La question taraude le coprésident Gérard Bouchard depuis le début des travaux de sa commission sur les accommodements raisonnables. Hier matin, il l'a donc posée franchement à Michèle Asselin, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ).
La militante féministe a répondu en rappelant qu'une des porte-parole de la fameuse Marche mondiale des femmes en 2005 portait le voile et que des religieuses catholiques militent au sein de sa fédération, malgré ses positions très claires en faveur de l'avortement.
«Oui, le féminisme prend plusieurs visages, et on les retrouve dans la Fédération», a poursuivi Mme Asselin, en ajoutant que le port du voile ne contrevient pas nécessairement au principe de l'égalité hommes-femmes. Contrairement au Conseil du statut de la femme, la Fédération n'a pas pris position sur le port de signes religieux par les employés de l'État.
Le Forum musulman canadien a défendu la même thèse que la FFQ, affirmant toutefois qu'«il faut cesser de semer les amalgames en liant le hijab à la question de l'égalité des hommes et des femmes». La représentante du Conseil canadien des femmes musulmanes a plaidé pour la même cause tout en déplorant l'incompréhension de quelques féministes d'ici en ce qui concerne certains traits culturels musulmans.
«Le Conseil du statut de la femme du Québec, en tant qu'organisme public, devrait concentrer ses efforts sur la discrimination à laquelle font face les femmes, dit son mémoire, par exemple, s'assurer que les femmes immigrantes ont accès à des emplois, promouvoir l'embauche de plus de femmes et de minorités dans la fonction publique, et encourager l'élection de plus de femmes à tous les niveaux gouvernementaux. Voici quelques-uns de vrais enjeux pour l'égalité des femmes.»
Ces échanges ont coloré l'ouverture de l'ultime semaine des travaux publics de la commission Bouchard-Taylor, consacrée aux organismes nationaux, ce qui inclut les syndicats et les partis politiques. Les audiences et les forums de citoyens se terminent cette semaine.
Le rapport définitif est attendu à la fin de l'hiver 2008.
Dans son propre document, le Conseil canadien des femmes musulmanes (CCFM, section Québec, fondé en 1982) a mis en évidence les discriminations induites par le port du voile notamment pour trouver et conserver un travail, la clé de voûte du succès de l'intégration. Une femme âgée de 21 ans a été embauchée comme caissière puis remerciée parce que «les clients ne veulent pas voir ça», c'est-à-dire son hijab. Une autre n'a pas été promue comme secrétaire dans un hôpital et a subi les remarques désobligeantes de ses collègues lui demandant d'enlever «cette nappe».
Selon des données révélées par le mémoire, les femmes musulmanes viennent maintenant au troisième rang (après les juives et les hindoues) sur 27 confessions pour le degré de scolarité. Par contre, elles détiennent le palmarès pour le chômage.
«S'il ne fallait faire qu'une seule chose, ce serait favoriser l'accès à l'emploi pour les femmes musulmanes, a résumé Mme Elibyari. En visant cet objectif, nous ferons de grands pas vers l'intégration et l'égalité avec, comme valeur ajoutée, le combat contre la discrimination. [...] Les femmes musulmanes aspirent au plus haut degré aux valeurs québécoises d'égalité et d'équité. Elles ne demandent pas mieux que d'être intégrées.»
C'est la faute au CV
Leurs fils et leurs maris aussi, comme quoi le foulard, féministe ou non, n'explique pas tout. Des études comparatives (Montréal, Toronto, Vancouver) présentées hier midi par l'Institut de recherche en politiques publiques de Montréal montrent qu'au Canada la situation s'est davantage détériorée pour les immigrants masculins de toutes origines (pas seulement musulmans) que pour les «cohortes féminines».
Pourtant, depuis les années 1960, la politique d'immigration du Canada ne retient plus de pays d'origine comme critère de sélection: elle se base uniquement sur le succès potentiel de l'insertion sur le marché du travail. «La détérioration a commencé avec les années 70, s'est renforcée dans les années 1980 et s'accentue depuis, a résumé Brahim Boudarbat, professeur à l'École des relations industrielles de l'UdeM, auteur de l'étude sur la Détérioration de la situation des nouveaux immigrants sur les marchés du travail québécois et canadiens. Par contre, si on compare les années 1990 à 1980, le Québec fait mieux. Il a mieux minimisé la détérioration.»
Pour expliquer cette situation, le professeur Boudarbat a appuyé sur la question de la faible reconnaissance de l'expérience acquise à l'étranger par les travailleurs immigrés. «Souvent, l'immigrant doit recommencer de zéro. Il est traité comme un débutant. Et s'il vient d'Afrique et qu'il y a travaillé, c'est souvent la pire combinaison possible.»
Une des solutions toutes simples consisterait à favoriser les immigrants qui ne posent pas de problèmes de reconnaissances des diplômes et des expériences, celle des étudiants venus au Canada pour poursuivre leurs études supérieures. Seulement, cette entourloupette bien trouvée ne préviendra pas contre les formes de discrimination touchant et de plus en plus les Arabes et les musulmans.
D'où l'importance des grandes balises pour protéger les droits. Hier matin, en ouvrant les débats, le Barreau du Québec a plaidé en faveur d'une modernisation «soit dans son langage, soit dans son interprétation» de la Charte québécoise des droits et liberté de la personne, adoptée il y a plus de 30 ans. Pour l'organisme de protection du public, il faut que Québec lance une grande campagne de renforcement de certains programmes existants (soutien scolaire, lutte contre le racisme, etc.) et des moyens d'information sur le droit à l'égalité et les accommodements raisonnables.
«Les Québécois ne respectent pas moins les chartes des droits que le reste des Canadiens, a déclaré le bâtonnier, Michel Doyon. La mécanique des accommodements raisonnables a d'ailleurs bien servi les Québécois victimes de discrimination et doit pouvoir continuer de les servir utilement, quel que soit le motif de discrimination, y compris la discrimination religieuse.»
Le bâtonnier n'a rien dit sur le foulard, féministe ou pas. Toutefois, selon lui, la charte québécoise aurait fort probablement permis de trancher en faveur du fameux kirpan à l'école, la décision de la Cour suprême la plus médiatisée (et critiquée) des dernières années, en partie à l'origine de la décision de créer la commission Bouchard-Taylor...
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