La commission Bouchard-Taylor

Nécessaire, l'examen de conscience ?

Après des décennies de progrès et de gains, les principes et les valeurs politiques fondamentales du Québec ont été oubliés

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Qu'est-ce qu'un Québécois, un Iroquois, un juif, un musulman, une femme ou un homosexuel? Pourquoi les problèmes identitaires ont-ils occupé tant de place au cours des dernières décennies? Et d'abord, fallait-il une commission de consultation pour se poser de telles questions?
Une revendication identitaire peut en cacher une autre. Les Québécois francophones nationalistes ont tendance à l'oublier mais, au fond, leur propre lutte concernant leur distinction fondamentale partage une large plate-forme avec les batailles des groupes minoritaires réclamant des accommodements reliés à leurs différences culturelles, religieuses ou sexuelles.
«Les mouvements sociaux et nationalistes des années 1960-70 ont provoqué au Québec comme ailleurs de nouvelles façons de concevoir et de prendre en compte la diversité dans l'espace public», explique Micheline Labelle, professeure titulaire du département de sociologie de l'UQAM, directrice du Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC). Ce centre regroupe une vingtaine de chercheurs réguliers et autant d'associés autour des phénomènes liés à l'immigration internationale, la gestion étatique de la diversité, le sort fait aux autochtones ou l'étude du nationalisme, par exemple. «Ces mouvements ont mené une infinité de combats, milité pour les droits des femmes, obtenu des aménagements pour les handicapés, fait reconnaître l'égalité des gais, poursuit-elle. Il n'y a pas une identité féminine, autochtone ou musulmane, mais un bricolage autour des variables que sont le sexe, l'origine et la culture. N'empêche, toutes les batailles sur ces questions peuvent être liées entre elles comme des luttes de reconnaissance de la diversité.»
Dans ce portrait de groupe avec «nous», le voisin peut déranger, même si le Québécois (anglo, franco ou allophone), pas plus que le juif, le sikh ou l'homosexuel, ne peut revendiquer le monopole de la juste complainte identitaire. Comme le dit la chanson, ce qu'il y a d'embêtant dans la morale, c'est la morale des autres.
Toutes les sociétés se voient confrontées à des problèmes plus ou moins semblables. L'Observatoire international sur le racisme et les discriminations, une création originale du CRIEC, en témoigne jusqu'à plus soif. Le vaste monde n'arrête pas de tourner parce que le Québec passe aux confidences quotidiennes devant le divan des bons docteurs Bouchard et Taylor.
En France, un rapport de la Commission des affaires culturelles du Sénat montre que la diversité sociale des étudiants admis aux classes préparatoires des grandes écoles s'est dégradée. En clair: les héritiers de l'élite, pour parler bourdieusien, héritent de plus en plus des bonnes places menant aux meilleures fonctions de la République. L'experte indépendante des Nations unies sur les minorités vient d'ailleurs de blâmer la France parce que «les membres des communautés minoritaires y font l'objet d'une grave discrimination». Elle juge aussi que «le racisme est vivant, pernicieux et cible clairement les minorités visibles issues de l'immigration, qui sont pour la plupart des citoyens français».
En Grande-Bretagne, un rapport tout frais du Home Office calcule la contribution fiscale des immigrants. Les néo-Britanniques comptent pour 10 % des recettes fiscales et ont permis d'accumuler environ 64 milliards de dollars en taxes en 1999-2000. N'empêche, un sondage mené dans 47 pays par le Pew Global Project montre que la population mondiale, y compris celle de Sa Majesté, juge bénéfiques les échanges économiques tout en partageant de larges inquiétudes relatives à l'immigration des personnes.
Excès identitaires
Cela dit et noté, quelque chose vient de casser, ici comme ailleurs. Après des décennies de progrès et de gains, un nouveau rappel à l'ordre semble sonner. «Les excès identitaires, le multiculturalisme excessif, les dérives de la politique de la mémoire, la balkanisation croissante de la société, la montée de l'idéologie victimaire, tout cela contribue, sinon au recul, du moins à la tentative de freiner le mouvement, observe encore la professeure Labelle. On attribue même l'effritement de la communauté politique aux excès des mouvements sociaux.»
Elle-même n'adhère pas à cette vision noircissant le trait pour mieux refuser les demandes d'accommodements en tous genres pour les handicapés, les femmes ou les minorités visibles et invisibles. Elle voit même dans la formation de la commission Bouchard-Taylor un reflet patent de ce contrecoup, de la contre-révolution en marche dans les sociétés occidentales et au Québec en particulier.
«Pour certains commentateurs, la commission gère maintenant les excès. La confusion autour de la notion de multiculturalisme en témoigne. Que dénonce-t-on au juste? La politique officielle canadienne et australienne ou la prise en compte de la diversité qui engloberait toutes les diversités? Beaucoup d'intellectuels disent que nos problèmes viennent de la Charte canadienne des droits. C'est faux. Oui, il y a un élargissement des revendications démocratiques, mais cet élargissement est d'abord et avant tout menacé par le nouveau contexte sécuritaire planétaire.»
Voilà donc l'écueil. Là encore la commission concentre le contexte au pur jus. Le Québec a franchement choisi de procéder à un vaste examen de conscience sur la question des «accommodements reliés aux différences culturelles», comme le dit l'appellation contrôlée de l'exercice. Cette affirmation, comme toute autre, s'avère en même temps une négation. «On ne tiendra pas d'audiences sur les revendications des femmes ou en milieu de travail, note la professeure. On s'interroge sur l'immigration. Ce ne sont pas les témoins de Jéhovah qui sont ciblés. Le retour du refoulé porte un peu sur les juifs ou les sikhs, mais essentiellement sur les musulmans, même si la très, très grande majorité des accommodements raisonnables ne les concernent pas. Le contexte international influence donc fortement les débats et il faut bien se poser la question: en quoi le climat sécuritaire planétaire et la montée du néoconservatisme, voire d'un nouveau racisme, doivent-ils être pris en compte dans l'analyse de la question des accommodements raisonnables?»
Une autre question fondamentale s'arrime à celle-ci: une politique publique de gestion de la diversité peut-elle s'analyser indépendamment d'une politique de lutte contre le racisme et les discriminations? Mme Labelle note alors qu'une commission parlementaire a accouché d'une proposition d'une telle politique (Vers une politique de lutte contre le racisme) à l'automne 2006. «Elle a moins attiré l'attention des médias et n'a pas suscité de position publique de la part des représentants de l'État. Dommage. Mais il faudra y arriver et l'arrimer à la politique de gestion de la diversité.»
Un socle de valeurs
Fallait-il même tenir ce débat, former la commission? «Je suis d'accord avec la formation de la commission tout en déplorant ce qui l'a entraînée, c'est-à-dire le rôle pervers des médias et le manque de courage des représentants de l'État et des partis politiques, répond la spécialiste interrogée avant le début des travaux à Montréal, mais qui se disait déjà impressionnée par la qualité des échanges. «Il était possible d'intervenir auparavant, pour rassurer la population, quand la crise a commencé, en évoquant ce que j'appelle le socle de principes et de valeurs politiques fondamentales du Québec.»
Ce socle comprend notamment la reconnaissance du français comme langue publique commune, la démocratie et l'égalité entre les hommes et les femmes. Seulement, au bout du compte, ces principes et ces valeurs aident certainement à définir le Québec, mais sans pour autant régler les problème d'identité des Québécois. «L'identité demeure un questionnement profond, commente la professeur. Aux crises proprement québécoises découlant de notre situation minoritaire, il faut ajouter les flux de communications mondialisés, les liens transnationaux, le multilinguisme, les unions mixtes, etc. Malgré tout, je ne parle pas d'un éclatement arbitraire des identités. Je pense plutôt que la construction politique des identités demeure un fait important. La preuve vient des autochtones, qui réclament partout dans le monde d'être appelés par leur nom: les Inuits, les Montagnais, etc.»
Parlons-en, en terminant. Jeudi soir, au forum en anglais, une Mohawk a pris la parole pour dénoncer le génocide post-colombien des Amérindiens de tous noms, d'un bout à l'autre du continent. Elle a rappelé que Louis le quatorzième, Roi-Soleil, avait donné l'île de Montréal aux sulpiciens, comme si ce territoire lui appartenait. Les ancêtres de la dame vivaient ici alors que la dynastie capétienne et la maison de Bourbon n'existaient même pas. D'autres intervenants ont dénoncé l'exclusion du rapport aux Premières Nations dans les travaux de la commission, une décision du gouvernement.
«On peut s'étonner de l'autorisation de parler des néo-Québécois installés ici depuis quelques mois et de l'interdit concernant les Premières Nations, conclut Micheline Labelle. C'est une autre question fondamentale qu'il faut adresser à cette commission: une politique publique de la diversité peut-elle faire l'économie de la question autochtone afin de contrer l'exclusion systématique dont les autochtones sont l'objet?»
Plusieurs revendications identitaires peuvent donc en cacher une seule...
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