M. COUILLARD ET L’HISTOIRE

Ni noir ni rose

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Les gros sabots de Philippe Couillard dans notre histoire

Devant ses militants, le 13 juin, le premier ministre Philippe Couillard n’a pas hésité à parler d’histoire. Si le geste, pour un politicien québécois, a quelque chose d’intéressant en soi, les propos comportaient plusieurs motifs d’inquiétude.

Qu’un premier ministre aborde la question de l’enseignement de l’histoire, dans un discours, au Québec, en remontant plus loin que la sacro-sainte « Révolution tranquille », est un fait assez rare et intéressant. M. Couillard a parlé de la fédération canadienne née « d’une coopération entre Louis-Hippolyte La Fontaine et Robert Baldwin ». Il s’est dit fier de « l’alliance entre George-Étienne Cartier et John A. Macdonald ».

À notre époque, trop souvent, parler du passé, pour les politiques, est à proscrire. Les nouveaux politiciens expliqueront qu’ils s’engagent pour « changer le monde » et « pour l’avenir de leurs enfants » ; très rarement pour perpétuer un héritage, pour se situer dans une tradition. Afin d’éviter qu’une évocation du passé soit taxée de passéiste, on adjoint à celle-ci, la plupart du temps, le « chaperon » rhétorique suivant : « tourné vers l’avenir ». Dans son discours de juin d’ailleurs, M. Couillard, après avoir clamé « Nous ne renoncerons pas à notre histoire », s’est cru obligé d’ajouter « à notre avenir ».

(L’esprit anti-passé a été illustré de cocasse manière la semaine dernière, à Québec : on y a démoli sans vergogne une oeuvre d’art, une sculpture — certes controversée et mal-aimée —, cadeau de la ville de Paris dans les années 1980, qui s’intitulait… Dialogue avec l’histoire !)

M. Couillard a ensuite ajouté, à propos de l’histoire du Canada : « Une histoire qui a des moments si beaux qu’il faudrait mieux les enseigner à nos enfants. » L’affirmation n’est pas anodine. Comment devrait-on « mieux enseigner » ces beaux moments ? Mystère. Le premier ministre a refusé de répondre aux questions à ce sujet. Rediffuser Les minutes du patrimoine ?

Des tentatives réelles ou imaginaires de manipulations de l’enseignement de l’histoire à des fins politiques ont été très souvent condamnées au Québec. Les gouvernements souverainistes sont toujours soupçonnés de vouloir machiavéliquement imposer un récit « noir », composé uniquement des griefs des nationalistes ; lequel récit conduirait logiquement à dire « oui » au projet de pays.

Dans les propos de M. Couillard, on ne peut pas ne pas voir une tentation similaire, mais inverse, celle du récit « rose », bon-ententiste, glorifiant l’appartenance du Québec à la fédération canadienne. D’autant qu’il reprend certains des thèmes forts privilégiés par le gouvernement Harper dans sa lourde offensive de commémoration 2012-2017.

Plusieurs questions se posent. M. Couillard souhaite-t-il que l’on enseigne désormais, dans les écoles du Québec, une histoire unifiée du Canada ? Chaque nation n’a-t-elle pas son histoire (avec ses tensions internes propres, ses interprétations divergentes)? Or, le Québec est une nation, même le Parlement fédéral lui-même l’a reconnu en 2006 (ce vocable semble rebuter à M. Couillard, qui préfère systématiquement les mots « société distincte »).

Au moment où l’enseignement de l’histoire au secondaire sort d’une décennie d’essais-erreurs, de bouleversements inutiles, il est inquiétant d’entendre de tels propos de la part du chef du gouvernement. Des projets pilotes d’un nouveau cours d’histoire, d’un récit « ni noir ni rose », sont en préparation pour l’automne. Or, nous avons besoin de cette synthèse qui vise, en plus, à « réconcilier l’histoire politique et l’histoire sociale en les articulant dans une trame nationale plus suivie », comme le préconisait le rapport Beauchemin-Fahmy-Eid. Le gouvernement ne doit surtout pas bloquer cette tentative qui permettrait à l’histoire d’être « mieux enseignée » dans nos écoles.


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