Nuages sur la révolution

Géopolitique — Proche-Orient



La révolution égyptienne traverse une zone de tempêtes. Est-ce Thermidor? Le Directoire? Ou la Terreur? Comme il y a plus de deux siècles en France, la prise d'une Bastille — tout comme la chute d'un tyran —, ça n'accouche pas d'un nouveau régime en criant «ciseaux».
Le sanglant épisode de dimanche soir au Caire, qui avait d'abord été présenté comme un affrontement interconfessionnel entre chrétiens et musulmans... semble beaucoup plus compliqué que cela. À l'examen, on y retrouve — dans une remarquable unité de lieu et de temps, en quelques heures autour de la place Tahrir — tous les acteurs du troublant théâtre d'ombres qui se déroule depuis quelques mois sur les rives du Nil.
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Au lendemain de ces événements qui ont fait au moins 25 morts et 300 blessés dans les rues de la capitale, l'armée égyptienne, acteur central de la transition politique, se retrouve en accusation. Auréolée, en février, de la légitimité populaire, elle tire maintenant sur la foule. Le régime «intérimaire» qu'elle prétend incarner laisse aller le harcèlement des minorités; il temporise sur les réformes politiques et n'allège pas les difficultés économiques du peuple.
Mais tout a-t-il vraiment commencé, ce 9 octobre en fin de journée, par une manifestation de coptes contre la discrimination en général et contre le dernier attentat antichrétien en Haute-Égypte, début octobre? Oui et non. Parce qu'il n'y avait pas que des coptes à cette manifestation. Il y avait aussi, à leurs côtés, des citoyens musulmans, venus non seulement exiger un traitement égal de la minorité chrétienne — victime de vexations légalistes et de harcèlements islamistes —, mais aussi protester contre le régime militaire, aux cris d'«À bas le maréchal!» (le mystérieux maréchal Tantaoui, homme fort de l'armée).
Manif pro-démocratie, manif de minorité persécutée, manif d'exaspération devant une révolution dont on attend encore les fruits...
Image troublante que celle de blindés qui semblent pourchasser des manifestants désarmés... Désarmés? Oui, pour la plupart. Oui, dans un premier temps. Mais, plus tard, on voit également des manifestants avec des bâtons. Des témoignages font état de machettes... On rapporte des tirs à balles réelles contre la foule.
La première manifestation, au départ, est pacifique. Mais au fur et à mesure que le temps passe et que la nuit s'installe, d'autres acteurs — outre l'armée — entrent en scène: des «civils» qui rappellent étrangement ceux que l'on avait vus — place Tahrir, début février, parfois à dos de chameau — attaquer les manifestants. Revoici les fiers-à-bras, les provocateurs... les sinistres baltagias. Et puis on aperçoit également des militants islamistes radicaux — ne pas confondre avec les Frères musulmans — venus en profiter pour «casser du chrétien».
N'oublions pas le rôle étrange de la télévision d'État, avec un commentateur qui, à certains moments, appelle les «honnêtes Égyptiens» (c'est l'expression utilisée) à descendre dans la rue pour «protéger l'armée»... sur un ton qui dénigre les manifestants coptes.
Le lendemain — c'est-à-dire hier — le premier ministre Essam Charaf parlera lui-même de «conspiration». Issu du sérail, mais aussi des manifestations de février, cet homme serait resté assez fidèle, justement, à «l'esprit de février»... mais il se sent peut-être un peu seul, ces temps-ci, dans les cénacles du pouvoir.
Récapitulons la distribution de ce drame éclair, en un acte, épisode tragique d'une longue épopée encore à écrire:

- des chrétiens coptes qui manifestent contre la discrimination, appuyés par des musulmans non sectaires;
- des manifestants — toutes confessions confondues — qui accusent l'armée de freiner les réformes;
- quelques intégristes violents, venus poursuivre leur guerre éternelle;
- des détachements de l'armée qui chargent la foule;
- des agents provocateurs en civil.

Il se dégage du Caire une impression de chaos potentiel et de sourde lutte de pouvoir. Certains acteurs de la transition politique en Égypte pêchent manifestement en eaux troubles.
Pas besoin d'être un paranoïaque abonné aux théories de la conspiration pour sentir qu'un jeu assez complexe se joue en ce moment, dans les zones d'ombre de la révolution égyptienne, avec des ficelles qu'on a beaucoup de mal à distinguer dans le noir.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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