Le système de santé québécois sous-performe. Le diagnostic est évident. Cependant, le traitement que veut imposer le ministre Barrette aux omnipraticiens, par son récent projet de loi 20, aura d’énormes effets secondaires dont le plus important sera la privatisation accrue des soins de première ligne. Le citoyen devra une fois de plus sortir sa carte de crédit pour obtenir les soins qu’il a déjà financé par ses impôts.
J’ai eu la chance de travailler dans quatre provinces et deux territoires canadiens. Cette expérience me permet d’affirmer que le projet de loi 20 est une lubie à contre-courant de tout ce qui se fait dans le reste du Canada.
La lecture du projet de loi et l’écoute des propos tenus par le Dr Barrette en entrevue exposent l’intention du ministère de la Santé de forcer tous les médecins omnipraticiens à pratiquer entre 6-12 heures à l’hôpital, pour qu’ensuite ceux-ci se rendent à une clinique remplir des « quotas de prise en charge ». Ces activités en médecine de famille (AMF) seront surveillées par une structure bureaucratique nommée DRMG (Direction régionale en médecine générale).
Le temps du médecin de famille pratiquant en solo dans son cabinet, ou traitant ses patients du « berceau au tombeau » à l’hôpital comme en clinique est révolu. La pratique en médecine générale a naturellement évolué vers une spécialisation des pratiques, et les omnipraticiens canadiens actuels choisissent majoritairement d’orienter leur profil de pratique soit vers la médecine d’urgence, d’hospitalisation, d’obstétrique, de prise en charge ou vers une médecine polyvalente en région rurale. Nous sommes tous guidés par l’esprit de la médecine familiale, mais chacune de ces orientations exige néanmoins des habiletés et des connaissances très différentes. Exiger aux médecins en cabinet de faire de la médecine d’urgence pour ensuite remplacer les médecins d’urgence qui devront faire du cabinet est loufoque.
Le Québec est déjà la seule province à utiliser une telle méthode coercitive sur ses jeunes médecins depuis 2004. Et c’est un échec retentissant. En effet, les PREM (plans régionaux d’effectifs médicaux) et les AMP (Activités médicales particulières) ont mené à la création de la structure bureaucratique régionale qu’est la DRMG afin de policer les jeunes médecins vers une région et une pratique désignées par les bureaucrates du ministère. Cette structure régionale, qui applique des décisions opaques prises à Québec, entraîne des coûts de gestion considérables et empêche les hôpitaux et cliniques de s’organiser eux-mêmes en fonction de leurs besoins locaux changeants. Ces mesures ont causé des ingérences politiques favorisant des départements, au détriment d’autres, et ont accéléré le départ vers le privé de jeunes médecins voulant se soustraire à des décisions gouvernementales souvent inflexibles. Les mères de jeunes enfants, les jeunes diplômés, ainsi que les médecins en préretraite travaillant à temps partiel, seront cette fois les premiers à quitter en masse le régime d’assurance maladie.
Les omnipraticiens souhaitent une amélioration du système de santé bien avant une amélioration de leur rémunération. De bonnes idées, comme l’augmentation d’étudiants choisissant la médecine familiale ou l’utilisation d’infirmières praticiennes pour le suivi de maladies chroniques, permettraient d’améliorer l’accès à la prise en charge. Malheureusement, les AMF, ces PREM-AMP sur stéroïdes du ministre Barrette, pousseront encore plus de médecins de famille vers le privé, tout en diminuant l’attrait de la médecine familiale pour les étudiants en médecine. Le citoyen demeure une fois de plus l’otage des technocrates québécois.
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