En ajoutant le saumon atlantique sur la liste des espèces en péril, Ottawa ouvre la porte à une nouvelle guerre de pouvoir avec le Québec dont relèvent les eaux douces et qui dispose d’un cadre de gestion distinct par rapport aux autres provinces canadiennes.
« Ce dossier pourrait devenir l’occasion pour le gouvernement fédéral de s’introduire dans la gestion du saumon au Québec et d’y imposer son mode de gestion par grande zone géographique, comme il le fait dans les provinces de l’Atlantique plutôt que sur la base de chacune des rivières, comme cela se fait au Québec », écrit la Fédération québécoise pour le saumon atlantique dans un mémoire signé conjointement avec la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs et la Fédération des pourvoiries du Québec.
Constatant une diminution des populations de saumon atlantique depuis une vingtaine d’années, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a recommandé d’ajouter cinq populations de saumons québécois sur la liste des espèces en péril.
Au cours des derniers mois, Pêches et Océans Canada a conduit une consultation au Québec et a rencontré à quelques reprises les représentants des fédérations québécoises.
Devant cette nouvelle incursion du fédéral, le milieu québécois s’est mobilisé pour conserver la responsabilité de la protection du saumon, qui est de compétence provinciale. « En inscrivant le saumon atlantique comme espèce protégée, ça fait en sorte que le fédéral va venir remettre une couche par-dessus ce que le gouvernement du Québec fait déjà», dénonce Michel Jean, directeur général de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique.
La bataille de 1980
Selon l’avocat François Chapados, l’un des trois signataires du mémoire commun des différentes fédérations québécoises, « les dispositions de la Loi sur les espèces à protéger auraient préséance sur celles de la Loi sur les pêches du Canada puisqu’il s’agira d’un cas impératif de conservation de la ressource piscicole ». Or, c’est cette même Loi sur les pêches qui, depuis 1922, reconnaît au Québec la responsabilité de la gestion des poissons d’eau douce.
Les accords de 1922 reconnaissaient également la compétence du Québec sur la gestion des pêches maritimes. Mais au tournant des années 1980, le gouvernement fédéral a repris cette compétence dans une guerre avec Québec qui accusait le gouvernement fédéral d’incompétence dans ce domaine.
Le même scénario se dessine aujourd’hui sur la gestion des eaux douces, alors que les principaux responsables de la gestion du saumon au Québec tentent de convaincre Ottawa de les laisser continuer à gérer la ressource comme bon leur semble, dénonçant le manque de compétence du fédéral qui « ne dresse pas un portrait satisfaisant ni réaliste de la situation du saumon au Québec ».
Effets négatifs
Selon Michel Jean, Québec est « reconnu comme exemplaire à l’échelle internationale » pour sa gestion du saumon rivière par rivière qui permet de connaître les caractéristiques du poisson dans ses moindres détails. « Le gouvernement fédéral a admis qu’ils n’ont aucun spécialiste et qu’ils vont venir voir les spécialistes du Québec pour faire des plans de gestion, s’étonne Michel Jean. Le Québec fait déjà des plans de gestion. »
Dans leur mémoire, les représentants des fédérations de saumon expliquent que « le cadre de gestion est suffisamment distinct de ce qui se fait ailleurs au Canada pour justifier que ces particularités soient prises en compte avant d’inscrire le saumon du Québec sur la liste des espèces en péril ».
Ils reconnaissent que les populations de saumon sont « à leur plus bas niveau historique », mais estiment qu’en raison de la « saine gestion » pratiquée par Québec, « il n’y a pas de menace imminente » pour la conservation du saumon.
Ce qu’ils craignent surtout, c’est que les pêcheurs locaux et internationaux abandonnent les rivières à saumons québécoises à la suite du « signal négatif » que donnerait l’ajout du saumon québécois sur la liste des espèces en péril.
« La désaffectation, même partielle, des rivières à saumons de la part des pêcheurs entraînerait une réduction de revenus qui, par répercussion, contribuerait à la diminution des budgets attribués à la protection de la ressource, écrivent les signataires du mémoire. Donc indirectement, l’inscription du saumon sur la liste des espèces en péril pourrait produire un effet contraire à celui recherché. »
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