Éthique et culture religieuse

Pagaille en éducation, la neutralité religieuse s’impose

ECR - Éthique et culture religieuse

Une crise juridique imminente ?
Texte paru dans la revue Cité laïque, Revue humaniste du MLQ, numéro 15, automne
***
Lors d’une conférence de presse qui avait lieu le 24 avril 2008,
le MLQ avait anticipé que le nouveau cours d’Éthique et de culture
religieuse (ÉCR) serait au coeur d’une crise juridique. Des
membres du conseil national sont même allés rencontrer la ministre
Courchesne pour lui demander d’avoir la sagesse de retirer
le volet de formation en Culture Religieuse, seul volet litigieux du
nouveau programme, afin d’éviter cette crise et les frais juridiques
faramineux éventuellement encourus par le ministère pour défendre
le cours. Cette solution élégante aurait été conforme aux voeux
de 29% de la population préférant que les jeunes ne soient pas exposés
du tout à la religion à l’école[1]. Malheureusement, la ministre
a fait la sourde oreille et n’a pas écouté nos conseils.
Comme prévu, l’implantation du cours obligatoire d’ÉCR a donné
lieu à trois procès intentés par des parents catholiques qui auraient
souhaité préserver les anciens cours d’enseignement moral et religieux
catholiques tout en évitant d’exposer leurs enfants à un
nouveau cours multi-confessionnel qu’ils jugent trop relativiste.
Un premier procès s’est tenu à Drummundville et un deuxième à
Granby. Dans ces deux cas l’exemption du cours ÉCR a été réclamée.
Un troisième procès a eu lieu à Montréal. On y a examiné la
possibilité, pour un collège privé confessionnel, en l’occurrence
le collège Loyola, d’offrir un cours d’enseignement religieux confessionnel équivalent au cours ÉCR. Ces procès ont été entendus
au printemps 2009 et nous sommes en attente des décisions qui
devraient être rendues cet automne. Ces décisions mettront sans
doute le ministère de l’éducation sur la sellette et permettront peut-être de relancer de débat de fond sur la pertinence réelle du cours
ÉCR. Plusieurs scénarios sont possibles. Essayons de les anticiper
afin que nous soyons un tant soit peu préparés à affronter la pagaille
qui s’annonce.
Une bourde administrative?
Les procès intentés contre le ministère risquent d’être remportés
par les plaignants non sur le fond mais sur de simples
technicalités. En effet, dans tous les cas, la ministre Courchesne a
eu la maladresse d’exprimer publiquement des refus catégoriques
intempestifs avant même que les instances administratives dont
relèvent les décisions ne puissent être saisies des dossiers. Cela
risque tout bêtement d’invalider le refus d’exemption et le refus
d’accorder une équivalence qui sont à l’origine des poursuites.
Advenant de telles décisions, nous ne pensons pas que la ministre
puisse encore sévir longtemps. Sa démission sera vite réclamée
pour cause d’incurie administrative due à son intransigeance.
Cette quasi victoire des plaignants leur apportera peu de gain
politique puisqu’ils pourraient éventuellement faire face à de
nouveaux refus, cette fois conformes aux procédures administratives.
Le retour du régime d’option?
Si l’exemption est accordée par le juge, elle fera jurisprudence,
et nous assisterons probablement à une débâcle de demandes
d’exemption dans toutes les écoles du Québec. L’ironie de la
situation sera alors manifeste. Le cours ÉCR, qui devait assurer
le « vivre-ensemble » des élèves, n’aura servi qu’à diviser les
classes en sous-groupes.
Que fera la ministre? Acceptera-t-elle tout bonnement de laisser
les parents choisir entre le cours ÉCR et l’exemption? L’ancien
régime d’option avait été rejeté par les milieux de l’enseignement.
Seront-ils obligés d’y revenir? Cela n’est certes pas souhaitable.
La ministre décidera-t-elle d’aller en appel, et ce aux frais des
contribuables, afi n d’imposer le programme ÉCR à tous, coûte
que coûte ? Cela n’est pas souhaitable non plus.
La seule issue à cette impasse, nous l’avons toujours dit, c’est
de retirer le volet litigieux de culture religieuse. Un même cours
d’éthique civique et laïque serait offert à tous les enfants. Les
frais juridiques seraient évités car nous avons la conviction qu’un
cours d’éthique neutre sur le plan religieux ne susciterait pas de
recours devant les tribunaux.
Le financement public des écoles confessionnelles privées?
Si l’équivalence est accordée au collège Loyola, cela aussi ferait jurisprudence
et nous assisterions à une multiplication de demandes
similaires en provenance de toutes les institutions d’enseignement
privées à caractère confessionnel qui s’empresseront de remplacer
le cours ÉCR par un cours d’enseignement religieux conforme à
leurs dogmes.
Ces écoles privées ne seraient alors pas tenues de respecter le
programme national d’enseignement dans son intégralité. Mais
pourraient-elles continuer de réclamer l’intégralité du financement
accordé par le ministère de l’éducation? Telle est la question qui
sera inévitablement soulevée.
Au nom de quoi des contribuables favorables à la laïcité
accepteraient-ils de financer l’enseignement religieux de petits
catholiques, de petits juifs ou de petits musulmans? Il faut ici se
souvenir du tollé général suscité par l’annonce faite par le gouvernement
Charest de financer à 100% les écoles de « culture »
juive pour comprendre à quel point ces questions touchent une
corde sensible de l’opinion publique.
La ministre aura-t-elle le courage politique de couper, comme il
se doit, une partie du financement des écoles privées confessionnelles?
Le parti Libéral n’osera jamais s’aliéner le soutien financier
de certains groupes religieux particulièrement chatouilleux
sur ces questions. Pour ne pas déplaire à l’électorat de son parti
la ministre ne pourra pas non plus envisager d’aller en appel, elle
sera donc coincée de tous côtés.
Encore une fois, la seule solution consiste à retirer le volet de culture
religieuse. Les écoles privées confessionnelles seraient tenues
de respecter le programme d’éthique qui, par sa conformité aux
chartes des droits et aux lois en vigueur dans la société, serait extrêmement
difficile à contester. Le débat essentiel sur le financement
des écoles privées, confessionnelles ou non, demeurerait entier mais au moins le retrait du volet de culture religieuse permettrait
à la classe politique d’échapper, du moins sur cette question,
à l’emprise de certains groupes religieux influents.
Une crise constitutionnelle?
Dans les deux causes en litige, les parents, appuyés par leur communauté, se disent prêts à aller jusqu’en cour suprême pour obtenir
gain de cause et ce au nom de la liberté de conscience et
de religion. Ils se disent convaincus que la plus haute instance
canadienne, au vu de jugements antérieurs, sera plus sensible que
les cours québécoises à la sincérité de leurs convictions religieuses.
Ce calcul est probablement juste. Nous savons tous, depuis
« l’affaire du kirpan », que la Cour suprême peut renverser sans
trop d’état d’âme une décision de la cour supérieure du Québec.
Nous savons aussi que lorsque les choses se rendent jusqu’à cette
extrémité, nous avons droit à une nouvelle crise constitutionnelle.
Rien de moins.
Est-ce que le maintien du volet de culture religieuse est un enjeu si
essentiel qu’on doive envisager de coûteuses démarches juridiques
et nous résigner à revivre des débats déchirants ?
Qui a besoin de religion à l’école?
Ce cours qui aurait dû plaire aux quelques personnes encore soucieuses
de préserver une place à la religion dans la vie quotidienne
de nos sociétés modernes trépidantes a déplu… aux religieux. Une
vaste majorité de la population québécoise, immigrants y compris,
n’accorde aucun intérêt à la religion, ne pratiquent plus et ne décident plus rien en fonction des dictats religieux. Il est à parier que le retrait total et définitif de l’enseignement religieux ne susciterait aucune protestation.
L’abolition du service d’animation à la vie spirituelle, du secrétariat aux affaires religieuses et du comité aux affaires religieuses se feraient aussi dans l’indifférence générale puisqu’à peu près personne ne connaît l’existence et encore moins l’utilité de ces entités fantomatiques d’un âge révolu.
L’entêtement de la ministre à maintenir l’enseignement de la
« culture religieuse » quel qu’en soit le prix serait incompréhensible
pour bien des gens. Politiquement injustifiable voire irresponsable,
l’obstination de la ministre engagerait notre société sur un terrain
miné de toute part. La neutralité religieuse devient nécessaire lorsque l’espace public institutionnel se trouve paralysé par des querelles stériles. Le monde scolaire doit retrouver sa sérénité et pour ce faire il y a plus que jamais urgence de laïcité.
Espérons cette fois que le message pourtant si simple et si pratique
du Mouvement laïque québécois sera enfin entendu.
[1] Seulement 16% des Québécois préfèrent un enseignement religieux
à l’école, Alexandre Shields, Clairandrée Cauchy, Le Devoir,
16 septembre 2008.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    20 octobre 2009

    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Tel semble être le modus operandi du gouvernement Charest. Tout ce qui pourrait régler les problèmes de société au Québec sont mis de côté par ce gouvernement. Il est évident qu'il chercher la zizanie. Jamais une décision quelque peu courageuse ne sera prise. Il faut laisser le Québec s'engoncer dans des complexités administratives de toutes sortes qui déplaisent finalement à tous mais qui, petit à petit réduisent le goût de vivre ici. Mme. Poisson, votre texte est d'une clarté limpide, votre questionnement des plus structuré mais voilà, nous vivons actuellement des heures sombres où, sur tous les plans, le Québec est attaqué par ceux-là même qui devraient le défendre.
    Tout, absolument tout est fait pour aller chercher le financement en vue des prochaines élections. Les communautés juives, entre autre, participent allègrement au financement du PLQ. Elles s'attendent donc à un retour d'ascenseur, au détriment de la population québécoise dans des domaines aussi importants que l'éducation. Les ministres, dont Mme. Courchesne ne sont que de vils pions au service du capital de base électoral; il n'y a malheureusement rien à attendre de ce côté. Ce gouvernement n'a même pas le courage de décréter le Québec pays laïc. Si cela était fait, bien d'autres problèmes pourraient être réglés sans les coûteuses cours de justice, la tour de Pise d'Ottawa.
    Ivan Parent

  • Archives de Vigile Répondre

    20 octobre 2009


    L'impartialité est plus exigeante que la "neutralité"
    L'impartialité exige une éducation approfondie que ne peut
    offrir un programme fondé sur le positivisme et le
    constructivisme, comme celui qui est offert par le
    MEQ.
    J'ai été formé à la "vieille école", empreinte de religiosité
    superficielle, toute en rites, ignorante et dégradante.
    Les études de philo chez les Dominicains, beaucoup plus
    exigeants, m'ont permis de survivre. Plus tard, d'autres
    études, chez les rabbins dans une synagogue, m'ont permis
    d'aller plus loin dans l'aventure religieuse.
    Nos six enfants, dont la plus jeune a maintenant 44 ans,
    sont allés apprendre la morale à l'eau de rose dans l'ensei-
    gnement insignifiant et surchargé de prêchi prêcha qui
    suivit le jansénisme que j'ai connu au cours des années
    trente, quarante et cinquante.
    Maintenant, ce sont nos petits enfants qui vont vivre de
    telles superficialités. Une de nos filles a retiré les
    siens de l'école et leur fait la classe à la maison.
    Elle n'accepte pas le langage formatté du positivisme,
    du contructivisme ni du néo-constructivisme à la mode et moi
    non plus.
    Au moins si l'éducation enseignait Éthique à Nicomaque et
    abordait quelques thèmes universels chez les Chrétiens, les
    Juifs et les Musulmans, qui connaissent Aristote.
    Notamment : que la morale est science et art du bonheur
    humain et que le bonheur est la qualité d'une vie complète.
    Mais le positivisme n'admet ni causalité, ni sens, ni
    commencement ni fin. Aucune définition classique de
    l'existence comme relation en acte et en puissance.
    Ne vous demandez pas pourquoi nous avons tellement de
    difficultés avec nos concepts de nation et d'État.
    René Marcel Sauvé, géographe.