Le parti Libéral, lequel aime bien se désigner comme une communauté d’intérêts, vient d’appuyer à 97,2% son chef Jean Charest. Sur le plancher des congrès, les militants se sont livrés à une critique sans concession contre l’intérêt trop particulier au nom de la communauté des intérêts. Donc, on n'a pas parlé de la langue et on a préféré parler de thèmes qui touchent plus largement la coalition pour le plus grand bonheur des militants qui veulent favoriser l’émergence du social québécois dans le grand tout canadien. Les militants invités au micro assuraient même qu’il n’y avait ni problème linguistique ni problème identitaire au Québec.
Jean Charest a eu 97,2% d’appuis après un congrès qui a décidé que la langue ne sera pas sa “première priorité” pour reprendre l’expression qu’il affectionne tant. On comprend mieux dans quel sens ce parti est une “coalition d’intérêts”. Il rassemble tous ceux pour qui la nation québécoise est un “intérêt” parmi d’autres. Jean Charest a eu 97,2 % après en avoir eu 95% à l’avant-dernier congrès devant des militants réassurés, s’ils en avaient besoin, quant à sa pureté dogmatique libérale.
On a heureusement parlé de la politique de l’eau que André Boisclair avait déposée alors qu’il était ministre. On veut désormais en faire une loi. C’est John Parisella comme conseiller qui insiste sur le fait que la coalition des intérêts doit se présenter comme les gardiens du patrimoine collectif. Et l’eau est un bienfait collectif qui ralliera le consentement de la communauté des intérêts dans la belle province qui doit le rester.
Cet intérêt sur le fonds nécessaire et justifiée pour l’eau emporte dans son flot l’intérêt pour la langue et le statut du Québec. Ledit patrimoine collectif défendu par le parti Libéral se veut délivré des vieilles angoisses relatives au statut du Quebec et à ses possibilités d’autodétermination.
Alors donc, les francophones font partie de la coalition des intérêts? Oui, répond Jean Charest car le programme concocte un volet “famille”. Le thème de la conciliation famille et travail, l’aide nataliste, de même que toutes ces séquences argumentaires déjà entendues dans les médias ont été transportés de son contexte d’origine, la “famille”, au contexte des “affaires nationales”. Faute d’avoir un dossier digne de foi sur la question nationale, le parti Libéral l’identifie au dossier famille.
Comme l’existence de la nation québécoise, aux yeux des militants libéraux, ne doit absolument pas être un problème touchant son statut politique et étatique, leur enthousiasme est à son comble devant l’apathie de leur chef actuel. À la tribune, les chefs libéraux, soucieux de ne pas brusquer la "coalition des intérêts”, font toujours valoir une analyse communautariste. Le parti Libéral se dit le seul parti capable de souder les communautés culturelles. Avec Jean Charest, les militants sont fiers de trouver la personnification ultime de cette stratégie.
La nation québécoise, assez étrangement, n’est jamais venu rompre cet effet de miroirs idéologiques qui, chez les libéraux, ne prend en compte que les individus et les communautés culturelles. De leur point de vue, la société libérale naît de leurs efforts croisés sans distinction d’origine.
Les libéraux ont longtemps répugné à l’énoncé de la nation québécoise et ils préféraient rappeler que l’idéologie libérale se forgeait autour de l’idée de l’individu souverain. Mis au défi d’élaborer une véritable politique nationaliste québécoise, ils se cramponnaient à leur angle d’attaque: êtes-vous pour ou contre l’individu et dans quel “nous” voulez-vous l’inclure contre son gré?
De Jean Lesage et de Robert Bourassa, les Libéraux aiment bien dire qu’ils furent des bâtisseurs. Sous-entendu : ces grands personnages n’ont pas hésité à affronter leurs responsabilités grandissantes et le statut de province au sein de la nation canadienne a été pour eux synonyme d’ouverture infinie des possibles. En effet, ajoutent-ils, qui auraient pu soupçonner que nous signerions tant de traités d’ententes avec nos partenaires ?
Les Libéraux en sont venus à se rallier, chaque nouveau congrès en témoigne, à cette idée que les ententes administratives attestent les fantastiques variations dont le milieu canadien est capable. Comme entité administrative, le Québec se porterait bien selon les Libéraux et on le devrait surtout à Jean Charest. Celui-ci sait réclamer sans indisposer, brusquer les ententes sans mettre à mal la fantastique flexibilité canadienne.
Dès que les libéraux tentent de parler de la nation québécoise entre eux, ils décrètent que c’est vieux jeu à moins d’en réviser les bases avec un programme de recherche sur l’individu d’aujourd’hui. Parler de conversation sur la question nationale chez les Libéraux et on répondra par le thème de l’unité nationale. Chez les Libéraux, aussitôt prononcés les mots “nation québécoise”, ils vous parleront d’une réouverture de l’enquête sur quelque chose d’autre, une intégration de principe à partir de “nouveaux intérêts”.
Sur quoi, les libéraux vous rappelleront à nouveau qu’ils sont une coalition d’intérêts. La “coalition des intérêts”, c’est le fait d’aujourd’hui et la nation québécoise c’est la préhistoire du fait social. Plus leur chef libéral est satisfait des moyens de gouvernance provinciale, plus les libéraux applaudissent car, pour eux, il n’y a pas de plus authentique manière d’être actuel.
Il n’empêche que les équipements de la nation québécoise sont sommaires. Il n’empêche que le Québec est condamné à emprunter des voies indirectes. Jean Charest ne cesse d’évoquer son lobby des provinces comme un outil, le matériau essentiel qui fera entrer le Canada dans l’Union Européenne. On ne sait pas trop ce qu’en pensent le Manitoba et les provinces maritimes mais quel tremplin formidable que de pouvoir travailler sur ce qu’ils en penseront éventuellement, ces formidables indices partiels qui vont énormément influer sur le gouvernement canadien
Quand Pauline Marois a évoqué la conversation nationale, Jean Charest a dénoncé les parlotes inutiles. Pour Charest et compagnie, plus le Québec est une province médiatisée et agissante dans les rouages de contrôle, plus il accroît l’importance fonctionnelle provinciale. Plus il y a des ententes administratives, plus cela attesterait que le rôle provincial se trouve multiplier par les fonctions supérieures de l’Etat national canadien.
Entre bons Libéraux, pas un doigt ne se lève dans l’assistance. C’est la grille de lecture incontestée lors de leurs congrès. Les analystes de la presse disent qu’ils sont respectueux et disciplinés.
Les analystes ont tout autant manqué de clairvoyance lors de l’annonce du projet Marois. Ils ont été bien peu nombreux à mesurer le glissement stratégique que proposait Pauline Marois. Il y a dans le projet de Pauline Marois la marque d’une volonté de désceller le carcan provincial et d’assortir la gouvenance nationale de quelques événements fondateurs.
Une bonne Constitution et une citoyenneté québécoise viendront un jour, espérons-le, ralentir les parlotes libérales en congrès où tous s’entraînent à se convaincre que le but de l’Etat provincial québécois est de favoriser l’interaction individu-milieu.
André Savard
Autopsie du congrès du Parti Libéral
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