Pour une politique de revitalisation de Montréal : l'exemple de la rue Sainte-Catherine

Tribune libre - 2007

« La croyance que rien ne change

provient soit d’une mauvaise vue,

soit d’une mauvaise foi. La première

se corrige, la seconde se combat »

Nietzsche



Je marche souvent sur la rue Sainte-Catherine. Par beau temps, je
l’arpente d’est en ouest, de Frontenac jusqu’à Peel environ. Je fais du
slalom entre les « squeegee », les mendiants, les prostituées et les jeunes
marginaux qui l’ont choisi comme lieu de résidence. Si la marche est bonne
pour le corps, la vue de la rue, entre St-Hubert et Saint-Laurent tout
particulièrement, fait mal aux yeux, sinon à l’âme.
En effet, la rue Sainte-Catherine, jadis l’une des plus belles rues de la
métropole - je fais référence à l’époque où Montréal ne souffrait d’aucune
comparaison avec Toronto -, a été littéralement abandonnée par nos élus. La
rue Sainte-Catherine, ce n’est pas la rue Saint-Denis, la rue St-Urbain ou
le boulevard Saint-Joseph, c’est la rue commerciale qui traverse tout le
bas de la ville. Aujourd’hui, emprunter certaines sections de cette
importante rue nous rappelle la guerre et nous fait honte. Pourquoi ?
Quelques réserves sur le développement de la rue
C’est trop simple : la rue n’offre plus d’édifices neufs, rénovés et
actuels. Au contraire, elle donne des adresses à des restaurants mal famés
aux noms rares et imprononçables, des restaurants de bouffe rapide, des
bars à l’historique douteux, de clubs de danseuses dont les artistes n’ont
pas réussi l’audition des Grands Ballets Canadiens, des cinémas souterains
parainés par des compagnies de papiers-mouchoirs, des magasins à 5 cents,
etc. Pis encore, faute d’avoir retrouvé sa véritable vocation commerciale,
elle est devenue le symbole par excellence des rues pauvres n’offrant que
des stationnements vacants et des locaux à louer. Dans pareil contexte,
elle il n’est pas surprenant qu’elle assure la survie à des quêteux de plus
en plus jeunes et à des femmes et à des hommes qui négocient pour obtenir
le droit de vendre leurs corps aux prix le plus bas. Les Églises de la rue,
comme partout à Montréal, sont vides et laissées à elles-mêmes.
Sainte-Catherine pourtant mérite beaucoup mieux.
Cependant, il est vrai de dire que ce n’est pas toute la rue qui se meurt
: l’ouest, plus anglais, se porte toujours mieux que l’est, exception faite
pour la partie de la rue qui traverse le Village et qui profite d’une
communauté vivante et dynamique. Autre exemple troublant : quand on passe
devant le chapelier Henri-Henri, par exemple, on se dit que la rue a déjà
été témoin d’une époque glorieuse.
L’autre jour, lors d’une promenade, j’ai avoué à un ami que je voterais
sans hésister pour le premier politicien qui promet de s’intéresser
réellement à cette rue bombardée. Non pas s’intéresser pour être élu, mais
pour faire le ménage et lui redonner sa fierté. Hélas, aucun politicien,
même en campagne électorale, n’accepte de voir la réalité en face : la rue
Sainte-Catherine est à l’image d’une partie du Québec : elle est l’abandon.
Pour ma part, je suis venu, j’ai vu et je l’écris noir sur blanc, sans que
cela ne change quelque chose évidemment : il faut impérativement investir
du temps et de l’argent pour sauver l’artère mal aimée des Montréalais. Car
les touristes ne visitent pas des villes de stationnements et d’espaces
commerciaux à louer…
Une comparaison
Pour illustrer mon propos, je proposerai une comparaison. Quand je
séjournais à Berlin, la nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée, je
marchais souvent dans Berlin Ouest sur une rue qui témoignait de l’histoire
de la ville. Très célèbre, aménagée sous Bismarck en 1886, elle se nomme
Kurfürstendamm ou Ku' Damm, un nom qui rappelle toute l’importance de la
rue puisque le mot signifie littéralement « allée des Princes Électeurs ».
Le majestueux Kurfürstendamm, large de 53 m et long de 3,5 km, s’est vu
abandonné par les commerçants et les politiciens après la seconde guerre en
raison des dégâts causés par les bombes et les nouvelles priorités
financières. La rue perdit alors son attrait et ressembla à l’actuelle
Sainte-Catherine. Cela blessa l’orgueil des Berlinois. Or, après la
réunification, la Ville-État débloqua des fonds et, à coup de législations,
elle décida de faire le ménage sur le Ku'Damm afin de le redonner à ses
citoyens et ses touristes, c’est-à-dire à ceux qui voulaient en profiter.
Aujourd’hui, il s’agit toujours d’une des plus belles rues de Berlin et
certes l’une des plus fréquentées par les touristes. L’on retourne avec
joie au Café Moering, au Kranzler Café, on mange au Copenhagen et l’on
achète dans les plus belles boutiques. Le touriste, dont l’appareil-photo
immortalise l’Église du souvenir et l’Europa Center, « voit » bien que
Berlin est une grande ville du monde.
Pourquoi la ville de Montréal et le gouvernement du Québec n’imitent-ils
pas l’initiative berlinoise ? Il ne faut pas rester insensible, inactif,
immobile face aux problèmes énormes de cette rue, car cela pourrait être
interprété comme de la mauvaise foi. Sommes-nous aveugles ou menteurs ? À
moins que nous devenions lentement aussi pauvres que nos dénigreurs le
disent ? Demain, quand nous marcherons sur Sainte Catherine, serons-nous
fiers ou aurons-nous honte ?
Dominic DESROCHES

L'auteur a fait une partie de ses études doctorales à Berlin, en
Allemagne.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/spip/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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