Après avoir consacré une grande partie de sa carrière à faire arrêter les trafiquants de drogue, l’ancien directeur de la police de Montréal Yvan Delorme veut aujourd’hui vendre du cannabis.
M. Delorme, qui a quitté le Servive de police de la Ville de Montréal (SPVM) en 2010, est maintenant président et actionnaire de l’entreprise QC Gold Tech.
Le nom de la compagnie est un clin d’œil à la variété de pot « Québec Gold » très connue dans la province.
« C’était important que le nom fasse référence au Québec parce que notre entreprise et notre produit sont québécois », dit l’ancien chef de police dans une entrevue accordée à notre Bureau d’enquête après avoir été contacté par notre équipe.
La compagnie enregistrée à Montréal fait partie des 14 producteurs qui ont récemment signé des lettres d’intention avec la Société québécoise du cannabis (SQDC).
« [Ces lettres], c’est pour souligner notre intérêt et notre intention d’acheter leurs produits lorsqu’ils seront autorisés par le fédéral [Santé Canada] et l’Autorité des marchés publics », avait expliqué le PDG de la SQDC, Jean-François Bergeron, en octobre.
- Le journaliste Jean-Louis Fortin était à l'émission Les Effrontées sur QUB radio pour en parler :
Ancien agent double
QC Gold Tech est en attente pour obtenir sa licence de Santé Canada.
Il faut dire que son président connaît très bien le marché des drogues pour l’avoir côtoyé dans son ancienne carrière.
- À la fin des années 1980 et au début des années 1990, il a été agent double pour traquer les trafiquants. Il portait alors les cheveux longs et infiltrait les motards ou encore le crime organisé italien.
- Il a ensuite été promu chef d’équipe à la Division du crime organisé, travaillant notamment à l’Escouade Carcajou pour mettre fin à la guerre des motards.
- M. Delorme est par la suite devenu lieutenant-détective, puis commandant de la Division des stupéfiants et des produits de la criminalité.
- De 2005 à 2010, il a été chef du SPVM.
En entrevue, il n’a pas souhaité révéler trop de détails sur son entreprise tant qu’il n’aura pas obtenu sa licence.
Il a toutefois expliqué qu’il ne voyait pas de contradiction dans son nouveau choix de carrière. En tant que policier, il dit avoir lutté contre les trafiquants et non les consommateurs.
« Ça fait longtemps que je me suis distancé de la lutte aux stupéfiants, il faut plutôt faire en sorte que les gens aient une consommation responsable, pareil comme l’alcool », affirme-t-il.
Inspiré par son père
Il précise que son entreprise se veut socialement responsable.
« On veut faire de la recherche pour aider les personnes qui souffrent d’angoisse, de stress, de maladie », explique-t-il.
C’est d’ailleurs en s’occupant de son père qui souffrait du Parkinson qu’il a commencé à lire sur le cannabis.
« Si je m’étais intéressé au sujet de cette façon au lieu de m’intéresser à l’aspect criminel, j’aurais probablement fait essayer ça à mon père. »
Après le décès de ce dernier, il y a un peu plus de deux ans, Yvan Delorme s’est lancé dans ce nouveau projet.
« On veut aussi investir dans la prévention en essayant de protéger les personnes vulnérables et de prévenir la consommation excessive qui peut causer des problèmes. »
Deux partenaires
M. Delorme compte deux partenaires d’affaires dans sa compagnie. Le premier est Jean-Louis Legault, le président de Lidlum, une entreprise de fabrication d’éclairage DEL qui fournit le système de lumières du Centre Bell à Montréal.
Ils se sont rencontrés il y a une dizaine d’années. Les connaissances de M. Legault serviront à la culture de cannabis en serre qui nécessite de bons systèmes d’éclairage.
- Écoutez Félix Séguin du Bureau d'enquête à QUB Radio :
Le troisième actionnaire est le Groupe Jafaco, une société de portefeuille de la famille Fontaine qui possède plusieurs entreprises et terres agricoles partout au Québec. Donald Fontaine est trésorier de QC Gold Tech.
QUI EST YVAN DELORME
- 57 ans
- Policier à Montréal durant 27 ans
- Plus jeune directeur de l’histoire du SPVM (nommé à 42 ans)
- Il dirigeait le SPVM au moment des émeutes de Montréal-Nord en 2008
- Son départ en 2010, quelques mois après avoir renouvelé son mandat, avait créé la surprise
- Président et actionnaire de QC Gold Tech depuis décembre 2017
-Avec Philippe Langlois et Félix Séguin
Son opinion
Le trafic de drogue
- Durant sa carrière, Yvan Delorme a supervisé plusieurs opérations qui ont mené à l’arrestation de trafiquants et au démantèlement de réseaux de drogue. Mais il insiste sur le fait qu’il ne ciblait pas les consommateurs qu’il considérait comme les premières victimes.
- Au tournant des années 2000, il a modifié le nom de la Division des stupéfiants pour y ajouter les produits de la criminalité.
- « L’objectif était pour enquêter davantage sur le crime organisé et non pas sur le consommateur de stupéfiant. Les enquêtes nous permettaient de saisir les biens issus de l’argent fait avec les activités du crime organisé. »
Le consommateur de pot
- Lorsqu’il dirigeait la Division des stupéfiants, il a mis en place un programme de déjudiciarisation pour des infractions mineures reliées à la consommation de stupéfiant.
- « J’essayais de faire en sorte qu’une personne qui avait consommé ne soit pas stigmatisée, qu’elle puisse faire son chemin sans avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête à cause d’une erreur de jeunesse. »
Il dit n’avoir jamais consommé.
Décriminalisation
- Il est favorable à la décriminalisation de toutes les drogues comme au Portugal où les personnes arrêtées avec de petites quantités ne vont pas en prison, mais reçoivent de l’aide médicale. Les trafiquants y sont punis sévèrement.
D’anciens policiers impliqués dans le pot
Yvan Delorme n’est pas le seul policier haut gradé à avoir lutté contre les trafiquants de drogue avant de devenir un acteur de l’industrie du cannabis et de sa légalisation.
►L’ancien ministre des Anciens Combattants Julian Fantino a aussi été chef de police de Toronto. Il est aujourd’hui président du conseil d’administration d’Aleafia Total Health Network, une entreprise qui conseille des patients et les met en relation avec des producteurs de cannabis thérapeutique.√ Raf Souccar, un ex-sous-commissaire à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), siège également au C.A. d’Aleafia. Il a été membre du groupe de travail chargé de proposer un cadre de légalisation du cannabis.
►L’ancien chef de la police de Toronto Bill Blair a piloté la légalisation du pot au Parlement à Ottawa. Élu député libéral en 2015, il a été nommé à la tête du groupe de travail chargé de tracer les grandes lignes de la légalisation. Il est aujourd’hui ministre de la Sécurité publique.
►L’ex-adjoint au chef de la police de Toronto Kim Derry est maintenant à la tête de Met-Scan, une entreprise qui offre des services de sécurité pour les serres de cannabis.
►L’ancien directeur de la lutte aux drogues et au crime organisé de la GRC Derek Ogden a été président de la chaîne de cliniques National Access Cannabis. Il est désormais président de la firme de consultation pour l’industrie du cannabis Obsidian Consulting.
►L’ex-commissaire de la Gendarmerie royale du Canada Norman Inkster siège au conseil d’administration de Fire and Flowers, une chaîne de magasins de pot dans l’Ouest canadien.
►Jas Basi, ancien enquêteur à la GRC spécialisé dans le trafic du cannabis, est le PDG de GrowX Global, une firme de consultation pour l’industrie du pot.
Si vous avez de l’information sur cette affaire contactez Félix Séguin en toute confidentialité: felix.seguin@protonmail.com et 514-618-6784 (cellulaire, Signal)