Je ne remercierai jamais assez les Québécois, mes amis, qui viennent ici lire ce que je dis de ce pays qui me fait tant mal et qui est le mien, la Wallonie (et ceux qui me permettent de venir ici depuis 11 ans rappeler aux gens de Montréal et d'ailleurs qu'il y a un autre «vieux pays» en Europe, français depuis plus longtemps et à la limite plus que la France même : je crois même que je ne suis pas loin de ma 500e chronique). La Belgique n'est plus mon pays depuis longtemps : paraphrasant Jacques Brel je dirais que ce plat pays n'est pas le mien. Ce n'est pas contester la beauté de la chanson de Brel, mais simplement dire que ce dont il y parle c'est de la Flandre, non de la Wallonie.
Quand on est dominé on vous donne un autre nom et vous le prenez
En mettant en cause la fois dernière, Pierre Ansay qui considérait les Wallons présents au Canada comme des immigrants «d'origine ethnique belge», je n'ai fait que mon devoir. Même si par ailleurs les Wallons émigrés au Québec doivent souvent se définir comme cela (belges). Ils ont tort car à la petite place où ils s'expriment, renvoyant à une grande démission générale, ils accompagnent la situation malsaine où se trouve la Wallonie en Belgique.
Il est vrai que la plupart des habitants de la Wallonie se définissent d'abord comme belges. Ce n'est pas mon échec de journaliste et d'observateur wallon. Ou plutôt, oui, c'est le mien, mais c'est le leur aussi, le nôtre.
Pendant qu'émerge à grand-peine une conscience wallonne encore balbutiante malgré un siècle de combat wallon, grâce justement à ce combat, s'effectue présentement une réforme de l'Etat belge au bout de laquelle, de 60 à 70 % des anciennes compétences étatiques belges seront exercées en fait, non plus dans la capitale belge, mais dans la capitale de la Wallonie, Namur. C'est donc à Namur que se jouera le destin des Wallons comme citoyens et non pas (ou plus) à Bruxelles.
Le processus de ces transferts a commencé en 1980. On est arrivé à 50 % de transferts vingt ans plus tard en 1999. Puis les Wallons et les francophones ont décidé de refuser toute expansion supplémentaire des compétences pour des raisons qu'il faudra que les historiens analysent. Mais qui tiennent sans doute à une erreur commise en 1988 dans le financement des nouvelles compétences, notamment l'enseignement, ce qui allait dresser tout le corps enseignant wallon et bruxellois contre le gouvernement wallo-bruxellois de la Communauté française (absurdement détachée des autres compétences régionales bruxelloises ou wallonnes et confiées à une entité commune aux Wallons et aux Bruxellois). Notamment en 1990 et en 1996. En 1996, les grèves des enseignants paralysèrent tous les réseaux scolaires pendant plusieurs mois. A la fête du 1er mai (très importante pour le PS en Wallonie), aucun responsable socialiste wallon ne parvint à prendre la parole faisant du 1er mai 1996 le plus glorieux de l'histoire sociale de Wallonie. Ce sont des images que la télé ne nous remontre jamais. Dommage!
L'immobilisme wallon de 1999 à 2013
Pendant 14 ans, notamment pour la raison que je viens de dire (et aussi en raison des sentiments fort belges d'une minorité de Wallons qui font face à une autre minorité de sentiment wallon mais moins importante), la classe politique wallonne et francophone, opposa un refus catégorique aux demandes flamandes d'extension de l'autonomie des Régions. Cela n'avait pas été le cas auparavant. Il est possible aussi que le parti socialiste, ayant trouvé en Elio Di Rupo, un président influent et belgicain, ait renoncé peu à peu au combat wallon qu'il avait mené jusque là.
Les régionalistes wallons furent peu à peu éliminés : Robert Collignon (Président du Parlement wallon) en 2004, Van Cauwenbergh (Président wallon) en 2005, José Happart (Président du Parlement wallon également) en 2009. Le gouvernement wallon actuel compte encore des régionalistes (notamment Jean-Claude Marcourt et Eliane Tillieux). Mais Elio Di Rupo, devenu Premier ministre belge, est resté en titre président du PS et par là même celui qui a désigné les ministres PS (le plus important parti) du gouvernement wallon et même - de nombreux observateurs soulignent cette anomalie qui est d'ailleurs aussi le fait des autres partis - une grande partie des parlementaires wallons à la faveur du scrutin de liste qui a comme effet que le député élu l'est plus par les appareils de partis que par les citoyens, ceux-ci n'étant finalement invités qu'à ratifier un choix fait sans eux (une bonne place sur la liste vaut quasiment élection). Le monde politique wallon est ainsi complètement figé et étouffé.
Ce sont les mêmes partis au pouvoir tant en Wallonie qu'à l'Etat fédéral et la solidarité partisane l'emporte sur toute autre considération, surtout avec un Di Rupo. A cela s'ajoute (j'en ai déjà parlé), que toujours à cause du scrutin de liste, le personnel politique ne se renouvelle plus qu'avec le vieillissement naturel des personnes. Plusieurs gens au pouvoir (comme présidents de partis ou comme ministres), sont parfois là depuis plus de vingt ans. Je comparais l'autre jour la cote de popularité (en fait une cote de notoriété vu la façon dont le sondage est fait), en décembre 2001 et 12 ans plus tard au printemps 2013.
Pour prendre un repère éloigné dans le temps, au baromètre du 17 décembre 2001 de la popularité de La Libre Belgique, Elio Di Rupo (PS, 62 ans) était déjà numéro 1 en 2001 et numéro 1 également au baromètre du journal Le Soir du 25 mars 2013 (1er aussi à Bruxelles en 2013), Laurette Onkelinx (PS, 55 ans) était 4e en 2001 et elle est toujours 7e en 2013 (mais 9e à Bruxelles où elle a « émigré »), Didier Reynders (MR, 55 ans) était 4e en Wallonie en 2001 et 9e en 2013 (mais 4e à Bruxelles en 2013 où il a émigré aussi), Joëlle Milquet (CDH, 52 ans) 6e en Wallonie en 2001 y est maintenant 3e (de même qu’à Bruxelles). Il est certes triste de vieillir et mourir, mais avec de tels dirigeants inamovibles, c'est la Wallonie qui vieillit, se dessèche et meurt. Quand on est dans les rouages de la politique comme un fonctionnaire (sans dire du mal de ceux-ci), si longtemps, on finit par ne plus avoir de véritable programme politique autre que d'y demeurer. Indépendamment du fait que les conditions concrètes de vie qui sont celles de quelqu'un au pouvoir, éloignent complètement de la réalité et du reste de la société à laquelle les médias, on le sait, ne donnent pas accès (mais auxquels ont accès tous les jours les dirigeants que je viens de nommer et dont les sondages mesurent surtout la présence au petit écran, on le sait). Même à la tête des villes, la permanence se prolonge. Ainsi, nouveau bourgmestre de Charleroi depuis le début de cette année, Paul Magnette (PS: 42 ans, ministre wallon ou fédéral depuis ses 36 ans) a calculé (tout haut) qu'il y serait jusqu'à sa pension (quatre mandatures de six ans encore).
Plus belge que jamais
Prenons quelqu'un comme Elio Di Rupo. Quand il est arrivé la première fois à un poste politique important (ministre de la Communauté) en 1992, la Wallonie était bien loin d'exercer 51 % des compétences étatiques. Aujourd'hui, elle va en exercer de 60 à 70%. Mais toutes ces évolutions, il les aura vécues sans que cela n'affecte en rien d'une certaine façon sa carrière politique, sautant comme un cabri - à la manière de ses collègues en politique - de la direction d'une grande ville à tel ministère wallon, communautaire ou belge (et avec un poste européen comme couronnement de sa carrière : on le dit, les néolibéraux méritent leur récompense et ce socialiste a privatisé ce qu'on lui demandait). Mais un cabri très habile, car souvent toutes ces chaises musicales entre lesquelles il se partage sont en réalité des morceaux de pouvoirs qu'il assume pleinement, parfois au travers d'un homme de paille.
Il est souvent fait état dans le vocabulaire nationaliste belge comme canadien du multiculturalisme, de la profusion des identités qui sont celles de tout être humain venant en ce monde.
Pourtant, malgré cette multiplicité, nous avons tous comme femme, comme homme, une responsabilité centrale, le métier et la famille. Et comme citoyens nous n'appartenons qu'à un seul groupe. Je dirais même que nous n'avons qu'un seul nom! Comment faire autrement si l'on veut exprimer un Nous constitutionnel vraiment valable? «Rien de grand ne se fait sans la limite» disait Hegel. Mais voilà, en Wallonie des hommes et des femmes (une bonne dizaine) semblent pourvus du don d'ubiquité. Ils sont à la fois montois, wallons, belges, bruxellois et européens à de hauts niveaux de responsabilités. Ils jonglent avec cela et en sont même très fiers, car cela suppose - je ne leur dénie pas - une vraie intelligence politique. Mais.
Mais ce que ne voient pas ces voltigeurs virtuoses, c'est le désarroi profond des citoyens accompagné d'un dégoût tout aussi radical, car les responsabilités qu'exercent ces équilibristes de la politique, sont des responsabilités qu'ils exercent «à droite et à gauche» au sens de l'expression française qui veut dire aussi «partout» mais aussi «n'importe où» et pour faire en un sens «n'importe quoi» en tout cas une multitude de choses où il se retrouvent sans doute et où nous, nous ne retrouvons que leurs visages omniprésents. Mais pas la Cité humaine.
Des responsables wallons
Ce sont aussi des responsables wallons. Qu'ils vivent ou non cette responsabilité comme primordiale (ce qu'ils devraient faire mais ne font pas), ces hommes et ces femmes sont les enfants de la terrible crise qu'a subie le pays wallon avec le déclin de son industrie, l'excessive centralisation belge et la domination sur la longue durée de la Flandre.
Qu'ils le veuillent ou non, depuis le début de leur carrière politique, l'Etat dans lequel ils exercent leurs fonctions (le mot «fonction» n'a jamais été aussi bien utilisé pour désigner ce type de carrière), s'est radicalement modifié. Au cours de leur brève existence terrestre (ils sont tous nés dans les années 50 pour les plus âgés, 60 et 70 pour les plus jeunes), la Wallonie aura acquis en trente-trois ans (ce qui est peu), pas loin de 70% des anciennes compétences étatiques belges. Mais cela ne change rien pour eux. Ils sont au pouvoir et ils entendent d'ailleurs y rester pour longtemps. Les endroits où exercer le pouvoir se sont modifiés, ont circulé, se sont transférés, ne s'assument plus devant les mêmes espaces publics qu'auparavant. Mais cela compte-t-il pour eux? Non.
Septante pour cent des compétences étatiques ex-belges sont passés à la Wallonie en moins de 35 ans. Or c'est précisément cette dimension-là des choses à laquelle ils s'identifient en réalité le moins. Ils ont beau devoir tout à la Wallonie, l'idée ne semble pas leur venir qu'ils devraient le lui rendre quelque chose comme un hommage, une manière de la célébrer, même pas de la remercier, mais : la prendre en compte, l'assumer. Comment le feraients-ils? Ils sont partout. Pas seulement au four et au moulin mais aussi au four' et au moulin', voire même encore à un four'' et à un moulin'' etc. Partout donc nulle part. C'est grâce à eux que la Wallonie n'est nulle part non plus. En disant cela je ne conteste pas la manière dont ils l'ont gérée techniquement. Mais la façon dont ils l'ont gérée symboliquement.
La Wallonie symboliquement à l'abandon perd jusqu'à son nom
La Wallonie laissée à l'abandon sur ce plan fondamental du symbolique continue à voir passer l'eau en-dessous des ponts et les nuages dans le ciel. Il semble ne rien s'y passer. La Flandre a une toute autre façon (bien moins figée), de s'organiser politiquement. Et en Belgique LA capitale (pas Namur, Bruxelles), continue à attirer les regards du monde entier (en fait seulement le monde belge, mais rien de tel que de faire croire que le monde tout court a également les yeux fixés sur la capitale de l'Europe qui en réalité ne l'est pas). J'en donne un exemple saisissant. Depuis deux ou trois ans, plusieurs fois par mois, via les médias ou autrement, un cri d'alarme est lancé : la démographie bruxelloise explose. On a vu pendant des semaines et des semaines - ces trois ou quatre dernières années - des responsables régionaux, qui, la tête grave et les mâchoires responsables, décrivaient la chose comme un défi titanesque à Bruxelles, défi auquel s'ajoute la nécessité dramatique (et dramatisée), que tous les jeunes y apprennent le néerlandais (soit).
Et puis, cette semaine, hier très exactement, certains doivent avoir appris par le journal bruxellois Le Soir que le défi démographique en Wallonie y est presque aussi grave qu'à Bruxelles. Il ne peut pas l'être autant, comprenons-nous. Certes en quarante ans la population de la Wallonie (3,5 millions), va gagner un million d'habitants et les responsables de la construction le rappellent depuis trois ou quatre ans car cela implique un accroissement de 50 % des constructions neuves (200.000 de plus d'ici 2026, 350.000 d'ici 2040). Mais un grave défi en Wallonie ne pourra jamais être aussi important qu'à Bruxelles. Ce ne serait pas «légitime» comme le disent les sociologues. Après tout, la Wallonie est-elle même un pays? Non, à nouveau, le terme n'est pas « légitime».
Pour sauver la Belgique, beaucoup, y compris des Wallons préfèrent d'ailleurs utiliser le moins possible le terme et lui substituent l'expression le-sud-du-pays, façon de parler dénoncée avec un vrai humour. De sorte que le défi démographique en Wallonie ne peut pas être effectivement aussi grave qu'au Centre-du-pays (il faut laisser à Bruxelles sa légitime primauté), il ne peut l'être que presque. Et de toute façon il est probable qu'on n'en parlera pas pour autant : on n'en parlera même pas «presque pas». Mais même pas.
Il y aura certes un défi démographique, mais seulement - puisque ce n'est pas un pays - au sud-du-pays.
Un million de Wallons en plus
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
12 mai 2013Si la Wallonie est bel et bien nommée "sud-du-pays" par les médias bruxellois, jamais ils n'utilisent le terme "centre-du-pays", mais "la capitale" (sans jamais préciser qu'elle est fédérale, ils ne connaissent pas Namur je crois). Quelques audacieux associent même Bruxelles au "sud-du-pays", ce qui est assez bizarre, vu que Bruxelles est au nord d'une partie du "nord-du-pays".