«René Lévesque - Mythes et réalités - L'état actuel des recherches»

Un Nord-Américain réaliste

« René Lévesque » — 20e anniversaire

Évoquant les États-Unis et les Américains, René Lévesque écrit dans ses mémoires: «Rien de plus proche [...] que cette démocratie en quelque sorte innée, émanant comme chez nous de gens simples et frustes qu'aucune cloison de classe ne divisait et qui, à leur tour, profitèrent également des espaces illimités d'un continent neuf et presque vide.» (Attendez que je me rappelle, Québec-Amérique, page 167.) Notre ancien premier ministre se sentait chez lui aux États-Unis. Nul n'a aussi bien caractérisé l'américanité profonde des Québécois et la valorisation de l'axe nord-sud de notre géographie.

Franklin D. Roosevelt est toujours demeuré son grand modèle de gouvernement, de stratégie et de communication. Il a applaudi à l'avènement de John F. Kennedy. Même après sa terrible déconvenue à l'Economic Club de New York en janvier 1977, alors qu'il avait osé comparer le mouvement souverainiste québécois à la quête d'indépendance des Américains deux siècles plus tôt, il a prôné une nette ouverture au voisin du Sud tout au long de ses mandats.
Une attitude critique
Il n'en était pas moins conscient de tout ce qui nous distingue des États-Unis, notamment le refus de cette propension à la violence qui a accompagné les Américains tout au long de leur histoire. Dès ses premières années de reportages radiophoniques dans l'armée américaine, il avait constaté l'arrogance des Yankees au moment de la libération de l'Europe.
Par la suite, au cours des années 50, alors qu'il se faisait éveilleur de la conscience internationale des Québécois, il a mis en lumière la cause de ceux qui défiaient l'empire américain. Grands reportages sur la nationalisation du canal de Suez, sur la révolution cubaine. Le maccarthysme lui répugnait profondément, de même que le racisme et la ségrégation raciale. La guerre du Vietnam et combien d'autres politiques américaines, jusqu'au renchérissement de Ronald Reagan devant une Union soviétique croulante, n'ont pas trouvé grâce à ses yeux.
Quand il déclarait à ce même Reagan en visite à Québec en mars 1985: «Il n'y a pas plus nord-américains que nous», Lévesque voulait donc signifier bien autre chose qu'une acceptation sans réserve du mode de vie américain et sûrement pas une adhésion aux politiques de droite d'un président républicain.
Il se présentait comme façonné par une vision à la fois toute québécoise et toute imprégnée de l'appartenance au grand continent. Il présentait une nation québécoise profondément imbriquée, pour le meilleur ou pour le pire, dans cet espace nord-américain. Dieu sait si le fondateur du Parti québécois n'a jamais renoncé, quels que soient les reproches qu'on lui adresse, à un Québec français, proprement distinct et démarqué de son entourage nord-américain! Cela ne l'empêchait pas de se sentir, à certains égards, comme appartenant à une sorte d'ethos américain.
Pragmatisme américain
Parmi les traits qui caractérisent la culture américaine, on note une forte prépondérance de la philosophie du pragmatisme. Cela se traduit par une forte valorisation de l'action, par un goût prononcé pour «ce qui fonctionne», ce qui donne des résultats. Cela se traduit encore par une conception de la politique comme étant l'art du possible.
Aux États-Unis, l'éventail de l'opinion publique demeure plutôt restreint par rapport à d'autres pays. Tout tourne, du moins à l'époque actuelle, autour du centre-droite. Les opinions critiques trouvent beaucoup moins de canaux d'expression qu'en Europe. Il arrive souvent cependant que des oppositions bien organisées aient raison du pouvoir. Il n'y a pas si longtemps, l'opinion publique a eu raison de deux présidents américains: Lyndon Johnson en 1968 et Richard Nixon en 1974. Il existe peu d'exemples semblables dans les démocraties européennes.
René Lévesque a été porteur de ce pragmatisme. Il n'a pas manqué d'idéalisme et d'un talent certain pour le discours, mais il s'est amplement révélé comme un homme d'action, comme un bâtisseur, un réalisateur d'oeuvres concrètes. Ce grand nationaliste s'est doublé d'un réaliste.
C'est ce qui lui a permis d'oeuvrer à deux révolutions tranquilles. Deux ensembles de réformes qui n'ont pas été parfaites, il s'en faut, mais qui ont donné lieu à une quantité impressionnante de politiques à la fois concrètes, bienfaisantes et progressistes. Alors que d'autres, et combien d'autres, en sont demeurés au discours, René Lévesque a voulu agir et opérer des transformations qui demeurent dans l'ensemble remarquables.
Une expression qui lui revenait souvent -- «Il faudrait pas charrier!» -- illustre bien à la fois son sens profond de l'équité et de la mesure et son orientation vers ce qui était réalisable dans un contexte donné. Plusieurs lui ont reproché son manque d'audace, mais personne n'a démontré que les politiques fracassantes qu'il proposait auraient donné des résultats durables. En bon «Américain», Lévesque a choisi de rallier une majorité de Québécois, parfois à l'encontre de son parti ou, du moins, des têtes fortes du Parti québécois. Ses réussites sont demeurées partielles mais combien plus positives que celles de ses contempteurs!!
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Louis Balthazar, Professeur émérite à l'Université Laval et président de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand, l'UQAM
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