Un philosophe contre Harper

L’essai de Christian Nadeau n’oppose pas «la» philosophie au gouvernement Harper qui en serait dépourvu; il oppose une philosophie politique à une autre.

Ottawa — tendance fascisante





Les conservateurs de Stephen Harper ont une attitude contradictoire quant au rôle de l'État. Ils s'opposent à son omnipotence, mais, dans les faits, ils le rendent de plus en plus puissant. «Ils le souhaitent moins présent dans l'économie, certes, écrit Christian Nadeau, mais plus actif dans le domaine des mœurs.»
Dans Contre Harper. Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice, le philosophe de l'Université de Montréal démontre que, «si les conservateurs d'autrefois pensaient en termes de stabilité», ceux «d'aujourd'hui sont en réalité des réformistes, voire des révolutionnaires » qui souhaitent «changer la face des institutions canadiennes», en agissant sur les «valeurs de base de la société».
Partisan de la social-démocratie, Nadeau avance qu'une société juste doit combiner la protection de la liberté individuelle «avec les devoirs que nous avons les uns envers les autres en matière d'équité sociale» et respecter le pluralisme des valeurs grâce à un équilibre entre le pouvoir et les contre-pouvoirs. C'est précisément à cette conception de la société juste que s'attaquent les conservateurs de Stephen Harper.
Ils réduisent les contre-pouvoirs à néant par certaines de leurs décisions (prorogation du Parlement pour ne pas avoir à rendre de comptes, abolition du recensement pour empêcher un débat informé, nomination non seulement partisane mais idéologique des juges), pratiquent un contrôle plus que serré de l'information et tentent d'imposer leurs valeurs de base (contre l'avortement, les gais et les féministes, répression plutôt que prévention en matière de criminalité) en multipliant les projets de loi dans le but d'épuiser leurs opposants.
Sur la scène internationale, ils trahissent les valeurs canadiennes en militarisant la politique étrangère du pays, en réduisant l'aide internationale (moins de 0,3 % du PIB), en appuyant aveuglément Israël, en fermant les yeux sur la torture des prisonniers afghans sous la responsabilité de l'armée canadienne et en nuisant à la lutte contre les changements climatiques. «Ce qui les intéresse, conclut Nadeau, est de faire de l'État un organe du conservatisme, indépendamment de qui sera au pouvoir.» Ils ne veulent pas simplement exercer le pouvoir à leur façon; ils souhaitent le transformer pour imposer la façon de faire conservatrice, même à leurs successeurs.
Traité anticonservateur d'inspiration social-démocrate, l'essai de Christian Nadeau n'oppose pas «la» philosophie au gouvernement Harper qui en serait dépourvu; il oppose une philosophie politique à une autre. Il sonne aussi le réveil en rappelant la gravité de la situation et en nous mettant en garde contre l'indifférence. «Plus nos valeurs de base sont battues en brèche par nos gouvernements, conclut-il avec raison, plus nous avons le devoir de nous y intéresser, ce qui est le premier pas vers l'action. Il s'agit là de notre contrat social.» Ce contrat social, précisément, que les conservateurs souhaitent anéantir. On peut souhaiter que l'essai de Nadeau soit lu dans la région de Québec et dans le reste du Canada.
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Collaborateur du Devoir
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Contre Harper

[Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice->31853]

Christian Nadeau

Boréal

Montréal, 2010, 168 pages


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