La bataille du Code civil

Valeurs mobilières, rapatriement et intérêt public

Encore la Cour penchée...

On s'fait systématiquement manger la laine sur le dos par une Cour suprême à la solde du pouvoir

Il y a parfois une justice immanente. Le 26 avril dernier, en page A-9 du Devoir, le professeur Georges Lebel faisait état de ses craintes à propos d'une éventuelle dilution de notre Code civil au profit de la common law, en raison du fait, entre autres, que le Barreau du Québec avait donné son assentiment à l'Accord de libre circulation nationale des avocats. Me Lebel redoute que les grands cabinets nationaux réussissent à imposer le droit anglais à l'échelle nationale.
Ce matin, le 29 avril, en page A-7 du Devoir, le bâtonnier du Québec, Me Nicolas Plourde, nous informe du fait qu'il n'y a absolument rien à craindre. C'est avant tout le Québec qui bénéficiera de l'accord, en raison du fait que c'est chez nous que l'on retrouve le plus grand nombre d'avocats bilingues. Et, surtout, et surtout, il ne faut pas oublier que le Barreau est là qui veille au grain. À preuve, le bâtonnier rappelle l'intervention du Barreau dans...l'Affaire des valeurs mobilières. «Moudit» qu'à l'est bonne.
Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a attribué au Parlement fédéral une compétence nouvelle en matière de risque systémique et de produits dérivés, domaines qui faisaient jusque-là partie des pouvoirs confiés aux provinces par le British North America Act, 1867 (toujours pas de traduction officielle). Ces dernières ont toutefois conservé leur compétence concernant les rapports entre l'industrie et les investisseurs. Autrement dit, Ottawa s'est sauvé avec la Bourse de Montréal, laissant derrière Vincent Lacroix et Earl Jones. Non, il ne s'agit pas d'une caricature.
Et comment le fédéral a-t-il mis la main sur le gros lot?
En 1979, Consommation et corporations Canada publiait un rapport à l'effet que les valeurs mobilières étaient de compétence fédérale. Parmi les auteurs du rapport, on comptait Frank Iacobucci et Peter Hogg. En 1982, le juge Brian Dickson de la Cour suprême se servait du rapport de 1979 pour conclure à une compétence fédérale dans le domaine des valeurs (Multiple Access, 1982 (2) RCS 161). En d'autres mots, le fédéral a juridiction parce qu'il affirme l'avoir. Plus logique que ça, tu meurs, comme ils disent.
En 1985, Frank Iacobucci deviendra sous-ministre fédéral de la Justice. Dans le cadre de ses fonctions, il discutera d'un projet de loi lié au cas des valeurs mobilières avec le juge en chef Brian Dickson, le type de Multiple Access. Vous ne trouvez pas, vous autres, que ça sent le rapatriement, cette affaire-là. Pour plus de détail, on consultera le Devoir du 6 mars 1991, en page B-8. Le Barreau a été informé de cette situation. Pour l'intérêt public, donc, on repassera.
En 1991, Frank Iacobucci a une belle promotion...Il est nommé à la Cour suprême. En 2000, dans B.C. Securities Commission, il utilise son rapport de 1979 pour attribuer une compétence au fédéral dans le secteur des valeurs mobilières. On pourrait presque parler de la quadrature du cercle...À la retraite, on lui confiera des mandats fédéraux, à titre d'avocat.
Nous connaissons la suite. Le gouvernement fédéral a finalement demandé un avis à la Cour sur la question des valeurs mobilières. Peter Hogg faisait partie de l'équipe des plaideurs fédéraux. Le gouvernement central est parti avec une compétence nouvelle sur le fonctionnement du marché (risque systémique), les produits dérivés (options, contrats à terme, contrats à terme sur indice, dérivés de gré à gré, etc,) et la Bourse de Montréal. Mais, il a oublié Vincent Lacroix et Earl Jones. Il viendra probablement les récupérer avec le droit criminel...Au Québec, on a décrit cela comme une victoire sans compromis. Il fallait entendre Françoise Bertrand crier victoire. Un tit-peupe, c'est un tit-peupe, faut croire.
Alors, non, les craintes de Me Lebel ne sont pas exagérées. Les grands cabinets de comptabilité ont utilisé le même processus pour internationaliser les normes comptables. Cela leur permet d'offrir des services uniformisés et de diminuer leurs coûts. Mais, cela aura éventuellement pour effet secondaire de diluer la portée de ces normes. Des Enron et des «subprimes» en latence, quoi.
Alors le moment est venu d'attribuer la victoire à quelqu'un dans la bataille du Code civil. Et, elle va à Me Lebel par KO...sans compromis.


Laissez un commentaire



5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2013

    Me LeBel,
    Je ne suis plus avocat depuis 1998--Je ne voudrais quand même pas que ces gens-là m'accusent de pratique illégale--, mais cela ne m'empêchera pas de vous donner des munitions vis-à-vis du Barreau avec un texte sur l'Affaire des conventions de travail dans les prochains jours...Moi, le Barreau ne répond plus à mes lettres depuis des lustres...
    Faut dire que je ne les flatte pas sur le sens du poil. Malheureusement, moi, que voulez-vous, je ne suis pas à l'aise avec ça, un juge en chef (feu Antonio Lamer) marié avec une juge de la Cour fédérale (Danièle Tremblay). Imaginez, il aurait théoriquement pu siéger en appel des décisions de sa femme. C'est pas une république de bananes, ça? De retour à la pratique, le juge Lamer a eu droit à de très généreux mandats du fédéral...
    J'ai également de la difficulté avec le fait que le gouvernement fédéral paie les intérêts sur l'hypothèque d'un juge de la Cour suprême (feu John Sopinka) sur une base discrétionnaire.
    Et, je trouve tout aussi inquiétant le fait que des rumeurs circulent à l'effet que les décisions des juges de la Cour suprême soient en grande partie écrites par leurs attachés de recherche...des jeunes génies dans la vingtaine qui pourraient être tellement réceptifs aux généreux conseils du ministère de la Justice. Il sait être serviable, le ministère de la Justice, vous savez. À l'époque où j'y étais, il aimait tellement organiser des petites surboums pour le Barreau du Québec. Je me demandais s'il fallait rire ou brailler de voir ces gens-là se laisser ridiculiser de la sorte. Mais je m'arrête. Me voilà reparti...
    Salutations,
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2013

    Me Louis Côté me fait l'honneur de commenter l'article que je publiais dans le Devoir du 26 avril dernier.
    Pour son information, voici la réponse que je destinais au Bâtonnier:
    "Sur la spécificité civiliste du droit québécois, je vous suis reconnaissant M. le Bâtonnier de confirmer en tout point le fond de mon intervention. La confusion avec le Common law est déjà une réalité de tous les jours « bien ancrée » pour les avocats, l’économie du libre-échange nous oblige à nous ouvrir, autant en profiter pour faire des sous, et on se fiera à l’éthique individuelle des avocats pour ne faire des sous que dans les domaines où ils s’estiment compétents.
    Vous avez le droit, m. le Bâtonnier de constater que la bataille est perdue ; ma conception passéiste du Barreau vous attribuait un autre rôle."
    Georges leBel

  • Archives de Vigile Répondre

    30 avril 2013

    Correction: Les livres de M. Le HIR ne sont pas des romans, mais des essais. J'ai confondu les genres. Il y a une liste de best-seller pour les romans et une autre pour les essais. Je l'avais oublié.
    Mes excuses,
    Louis Côté.

  • Archives de Vigile Répondre

    30 avril 2013

    Monsieur Lapointe,
    Je viens de prendre connaissance de votre texte «Le vice-président». On ne sait jamais, votre roman ira peut-être, à retardement, rejoindre ceux de M. Le HIR dans la liste des best-seller. La «bataille du Code civil» n'est pas nécessairement finie...Quoiqu'au Québec....Vous faites un peu figure de...Nostradamus du roman québécois.
    Si la Cour suprême fait sauter l'Affaire des conventions de travail, comme je le crains, le Code civil va suivre dans la foulée. Le Très honorable Laskin a fait un beau travail de déblayage à cet effet-là dans Vapor, en 1977. Mais, ça, ça n'a pas l'air de déranger grand monde.
    Vous savez, quand on voit le Barreau du Québec parler de «victoire» dans l'Affaire des valeurs mobilières... Vous avez raison. Le Barreau ne protège pas l'intérêt public. J'en ai fait l'expérience personnelle.
    Salutations,
    Louis Côté.

  • Louis Lapointe Répondre

    29 avril 2013

    Bonjour M. Côté,
    En fait, tout a commencé avec le scénario Singapour, puis ce fût l’incorporation des cabinets professionnels et enfin la multidisciplinarité.
    Le modèle que le Barreau du Québec souhaitait pour tous les grands cabinets de Montréal était celui de la firme de comptable Arthur Andersen - jadis le plus grand employeur d’avocats au monde - celle-là même qui a organisé le scandale d’ENRON.
    Cela m’a inspiré un passage de mon roman que j’ai écrit en 2005, Bâtonnier. À l’époque c’était de la fiction, c’est devenu de l’anticipation. Voici un court extrait:

    «Dans la foulée du scandale d’ENRON, la déconfiture d’Arthur Andersen, ancien plus grand cabinet d’experts comptables et plus gros employeur d’avocats au monde, ne les avait pas refroidis. Il fallait une plus grande intégration continentale ; il fallait que non seulement il y ait le libre-échange, mais également la libre circulation des avocats (…)
    Notre droit civil et notre Code civil ne devaient plus être des limites aux affaires. À défaut de pouvoir les abolir, nous devions entreprendre une vaste réforme pour en limiter la portée afin que leurs rôles deviennent mineurs et ne soient plus des empêchements à l’ouverture des marchés juridiques. Les avocats québécois ne pouvaient continuer à pratiquer un droit qui les isolait, une vaste réforme s’imposait donc.(…)»
    http://www.vigile.net/Le-vice-president-1