Victimes et miraculés politiques de l’attentat de Tucson

Tucson - déliquescence démocratique US



La balle qui a traversé, samedi, le cerveau de la démocrate Gabrielle Giffords s’est ensuite logée au cœur du débat idéologique américain provoquant, non un arrêt cardiaque, mais une forte chute de tension à droite.

Voyons la liste des blessés, et des miraculés:
1. Victime, Sarah Palin
L’utilisation par cette star de la droite américaine de vocabulaire tiré du monde des armes — son appel à “recharger”, émis à ses fans après que plusieurs élus démocrates, dont Giffords, aient été victimes de vandalisme après leur vote pour la réforme de la santé — et son choix de mettre l’image de cibles pour pointer les circonscriptions démocrates, donc celle de Giffords, l’a mise, elle, dans la mire de toutes les critiques.
Elle est devenue le symbole du discours politique pousse-au-crime.
Cette affaire survient alors qu’un sondage indique qu’elle traîne de l’arrière dans les intentions de vote pour la première étape du parcours des présidentielles, les Républicains du petit État de l’Iowa ne la mettant que troisième dans la course qui aura lieu dans un an. C’était prévu, mais son rôle symbolique dans le climat créé avant l’attentat la rend encore moins vendable pour les républicains modérés d’Iowa.
La façon dont elle réussira (ou non) à se tirer de ce pétrin pèsera dans l’appréciation que les Républicains modérés auront d’elle, donc dans ses succès, ou échecs, à venir dans les primaires de 2012. David Frum, républicain modéré, lui offre plusieurs suggestions, dont celle-ci:

Posez l’hypothèse que vous êtes présidente en ce moment. Le pays voudrait que vous disiez quelque chose au sujet de ce crime terrible. Que diriez-vous ? Dites-le maintenant.

2. Miraculée potentielle, Gabrielle Giffords, l’anti-Palin

Incroyable ! Les médecins affirmaient ce lundi que Giffords avait des chances de se rétablir. “Je suis optimiste” a dit l’un d’eux. “Elle a une chance de se mouvoir, de rire, pleurer et parler, peut-être même de retourner au Congrès”, ajoutait le neurochirurgien qui s’était occupé du cas, plus grave, de Jim Brady, atteint au cerveau par une balle destinée à Ronald Reagan en 1981. Brady, en chaise roulante, fut ensuite un porte-parole énergique de la réglementation des armes à feu.
S’il fallait que Giffords puisse, au minimum, donner des entrevues et faire quelques discours, elle deviendra l’anti-Sarah Palin par excellence. Une ex-républicaine, devenue démocrate modérée, perçue comme victime de l’exagération en politique et incarnant son exact contraire. Le vivant symbole qu’on peut survire à la violence politique et devenir un reproche ambulant pour le discours belliqueux de droite.
Bref, un véritable aimant symbolique pour attirer les électeurs indépendants vers les démocrates en 2012.
3. Victimes: le leadership républicain, le Tea Party, Fox News
Le nouveau Speaker du Congrès américain, le Républicain John Boehner, devait lancer cette semaine l’offensive anti-démocrate, notamment en démontrant que les élus de la chambre basse souhaitaient majoritairement l’annulation de la réforme de la santé.
Or la balle de Tucson vient de le mettre, lui, son parti, le Tea Party et les médias de droite complètement sur la défensive. Le renversement de tonalité politique est complet. Temporaire, certes, car la donne de base n’a pas changé. Mais néanmoins spectaculaire.
Le fait même que Boehner ait reporté le vote sur la santé crée une adéquation entre la violence du débat politique et la rudesse avec laquelle les Républicains traitent les réformes démocrates. La rhétorique était guerrière. Le fait de tenir ce vote — légalement futile, car le président ne signerait jamais cette loi — découle de la même logique d’affrontement pour l’affrontement. Tout à coup ce geste devient, symboliquement, inapproprié.
Les journalistes de droite sont évidemment complètement furieux que des liens soient faits entre la rhétorique guerrière républicaine et le geste d’un désaxé dont rien ne prouve, en ce moment, qu’il ait été de quelque façon influencé par Palin, Fox News et compagnie. Le fait que le lien ait été évoqué par le Shériff de Tucson en charge de l’affaire a pourtant donné de la légitimité à cette explication.
Mais même un présentateur vedette de Fox, Geraldo Rivera, a déclaré en ondes que ceux qui refusent de voir un lien entre la teneur du débat politique et l’attentat “sont en déni” !
4. Miraculé: Barack Obama
A part le déclenchement d’une guerre, rien ne profite davantage à un président qu’une tragédie nationale. Ronald Reagan s’en était fait le champion. Au delà de ce premier impact, la mise sur la défensive des Républicains justifie a posteriori le recentrage auquel s’emploie le président depuis décembre, au grand dam de son aile gauche.
Son compromis sur les baisses d’impôts et la relance économique, permettant ensuite l’adoption du droit des gais de servir ouvertement dans l’armée et de la ratification du traité de réduction des armes nucléaires avec Moscou, puis la nomination d’un chef de cabinet centriste, tout ceci dit de lui qu’il fuit les extrêmes — alors que ses opposants font le lit des extrémistes.
S’il avait, au contraire et comme le lui demandaient ses partisans, viré à gauche, il serait moins à même d’en tirer les bénéfices aujourd’hui. Jusqu’à samedi outrés par le recentrage présidentiel, l’aile gauche démocrate n’a d’autre choix que de se réjouir de la tournure des événements. Du moins temporairement.
On verra maintenant si Obama peut capitaliser sur ce renversement pour plus de quelques semaines.
Pour lui, cependant, une ombre au tableau. Il souhaite que Sarah Palin soit candidate lors des primaires républicaines, pour qu’elle tire avec elle tout le Parti vers la droite déjantée, lui laissant l’espace électoral dont il a besoin au centre.
Si la balle de Tucson amoche trop durement Palin et qu’elle ne se met pas en lice, il pourrait perdre un peu de cet avantage.
5. Blessé très léger: la banalisation du port d’armes aux USA
L’agresseur de Tucson s’est acheté parfaitement légalement l’arme de poing utilisé lors de l’attentat. Il avait d’ailleurs le droit, en Arizona, de porter cette arme sur lui, dans des lieux publics.
Selon le National Rifle Association, le puissant lobby pro-armes à feu, chaque année, les Américains deviennent propriétaire de quatre millions d’armes à feu supplémentaires. L’estimation de la NRA pour 2010 est que les Américains possèdent collectivement 300 millions d’armes à feu, dont 100 millions d’armes de poing. Plus de 40% des ménages possèdent au moins une arme.
L’histoire récente démontre que le lobby pro-armes à feu est désormais politiquement invincible. Les États ont plutôt eu tendance à élargir le droit de port d’armes, dans les lieux publics, y compris, pour certains États, dans les bars (!)
Il faut d’ailleurs voir comment les candidats à la présidence du Parti républicain se vantaient de posséder plusieurs armes à feu, dans leur débat de la semaine dernière.
Comme après chaque attentat violent, on sent une poussée de la volonté de réglementation, qui s’éteint peu après. Ce sera également le cas cette fois-ci.
6. Blessé léger: le ton des débats politiques
Quel impact durable l’attentat de Tucson aura-t-il sur le discours politique ? Probablement négligeable lorsque cette affaire sera du passé, dans deux ou trois semaines. Quelques traces, cependant, pourraient subsister. Comme l’écrit l’analyste Beth Reinhard dans le National Journal:

Il est désormais difficile d’imaginer un politicien affichant sur un site une carte montrant des cibles sur les circonscriptions de ses rivaux, ou un membre du congrès affirmant, comme l’avait fait la Républicaine Michele Bachmann, “il faut se débarasser (take out) certains de ces gars-là”. Ou une candidate comme la Républicaine Sharon Angle du Nevada blaguant: “Vous savez, je me sens un peu seule aujourd’hui. D’habitude je me fais accompagner par Smith and Wesson.”

C’est peu, mais c’est déjà ça de pris.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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