À quand une véritable commission d’enquête indépendante sur la police ?

La police elle aussi doit rendre des comptes

À la fois militant à mes heures et universitaire qui étudie la répression policière, j’ai participé au printemps érable qui a été la cible de la police un peu partout au Québec : plus de 3500 arrestations et des dizaines de blessures graves. Depuis, la police de Montréal sévit contre toute tentative de relancer la contestation, empêchant des manifestations sous prétexte que le trajet n’a pas été fourni.
Résultat : environ 1500 arrestations supplémentaires depuis février 2013. La même police n’est pas pourtant pas intervenue lors de la manifestation pour la légalisation de la marijuana où l’on fumait des pétards en pleine rue, ni lorsque le FRAPRU a bloqué l’accès ou occupé des bureaux de députés ou de ministres. Cette manière de tolérer ou de réprimer, selon qui manifeste, a un nom : le profilage politique.
Il est temps pour l’État et la société du Québec de réfléchir collectivement à l’agissement de la police. Cela n’est cependant pas l’avis du gouvernement du Parti Québécois, qui refuse d’instaurer une commission d’enquête publique indépendante sur l’ensemble des opérations policières pendant le printemps de la matraque. Il propose plutôt une simple commission spéciale d’examen qui étudiera, à huis clos, aussi bien le mouvement étudiant que la police, et des questions comme l’impact des médias sociaux. Cette commission n’aura pas le pouvoir de contraindre quiconque à témoigner.
Alors que les stratèges du PQ ont conclu que l’appui à la grève étudiante avait couté cher lors des élections, le gouvernement péquiste préfère aujourd’hui protéger la police pour éviter d’apparaître comme le parti de la rue. Mais ce choix du gouvernement ne répond pas aux attentes légitimes d’une société inquiète d’une police dont la tendance répressive se radicalise.
D’autres exemples inspirants
Les élites politiques québécoises refusent toujours d’organiser des réflexions indépendantes sur la police lorsqu’il est question de répression de mouvements sociaux. Des enquêtes ont été demandées, en vain, après le Sommet des Amériques en 2001 et le Sommet de Montebello en 2007. En 2005, le Comité des droits de l’homme de l’ONU avait demandé qu’une commission se penche sur la police de Montréal et sa pratique des arrestations de masse : on attend encore, et il semble qu’on attendra toujours...
Depuis le printemps 2012 les demandes d’une commission d’enquête sur la police ont été répétées avec insistance par près d’une centaine d’organismes, associations et groupes, sans oublier deux pétitions (11 000 et 14 000 signatures). Même l’ONU a déclaré à deux reprises s’inquiéter de la répression sévissant au Québec. Un rapport publié il y a quelques jours, «Répression, discrimination et grève étudiante», fondé sur près de 300 témoignages, a confirmé les abus policiers répétés et a été l’occasion de redemander une commission sur la police. D’ailleurs, depuis la naissance de l’altermondialisme, plusieurs enquêtes ont été tenues sur la police quand la répression semblait avoir dépassé des limites qu’on pouvait croire acceptables, soit après le Sommet du G20 à Toronto en 2010 et à Gênes après le Sommet du G8 en 2001. À chaque fois, ces enquêtes ont permis de proposer des solutions pour améliorer la police.
Voie d’évitement
Certes, plusieurs déclaraient ne pas vouloir une commission d’enquête sur la police, prétextant qu’on ne vit pas en Corée du Nord (et alors ?), ou suggéraient qu’il fallait aussi se pencher sur le mouvement étudiant et ses alliés. Mais le mouvement étudiant n’est pas au service de l’État, comme la police. Et le mouvement étudiant est déjà en procès. Des milliers de participantes et participants au printemps érable vont devoir répondre de leurs actions devant des juges.
Le ministre de la sécurité publique, Stéphane Bergeron, a pour sa part précisé qu’il ne voulait pas qu’une commission d’enquête sur la police nuise aux plaintes déposées à la commission de déontologie. La première ministre Pauline Marois et le ministre Jean-François Lisée ne semblaient pas avoir le même respect pour l’indépendance du processus judiciaire lorsqu’ils s’exprimaient publiquement, en mars, pour défendre le règlement P6 et justifier l’arrestation de centaines de personnes, dont le procès n’a pas commencé… Quant au ministre Bergeron, pourquoi ne s’inquiète-t-il pas alors que son comité qui scrutera le mouvement étudiant puisse interférer avec les milliers de procès à venir ? Enfin, les plaintes en déontologie ne visent qu’un acte d’un policier r isolé, et non des protocoles d’intervention problématiques, des abus systématiques ou des commandements malheureux.
Le comité sera présidé par Serge Ménard, ministre de la sécurité publique lors du Sommet des Amériques en 2001. En plus de féliciter ses policiers, il avait expliqué, au sujet d’une catapulte utilisée pour lancer des ours en peluche vers la clôture de sécurité: «Je sais bien qu’à long terme, ça fait partie d’un plan. Parce que la prochaine manifestation qu’ils vont faire n’importe où dans le monde, quelque chose sera caché dans le toutou. Il peut y avoir de l’acide, un cocktail Molotov, des briques.» Un toutou sur l’acide ! On attend encore… On attendra toujours...
Pendant la grève étudiante de 2012, Serge Ménard n’a rien trouvé de mieux à dire à la radio que «notre police est la meilleure au monde». Même si c’était vrai, est-elle pour autant infaillible ou imperfectible ? Espérons que M. Ménard se rappelle de l’éditorial qu’il a signé en 1964 au sujet du «samedi de la matraque». À l’époque étudiant à l’Université de Montréal, il comprenait que les policiers «n’étaient pas là pour protéger la reine. […] Cette manifestation ne devait pas avoir lieu. À cinq contre un, la police vint rapidement à bout de ceux qui n’exprimaient pas l’opinion des hommes au pouvoir. […] Et il y en aura d’autres “samedi de la matraque”! Des beaux bâtons comme ça puis des beaux casques comme ça, c’est fait pour durer!». En effet, la meilleure police au monde nous le prouve régulièrement…


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