Agir en commun à l’heure des fractures identitaires

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Et pourtant, les années 1960 sont bien terminées...

Après l’attentat qui a coûté la vie à six de nos concitoyens de confession musulmane, le 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec, on aurait pu penser qu’on aurait droit à une trêve.


Que cette tuerie d’une brutalité insensée aurait marqué un temps d’arrêt dans la « guerre culturelle » qui ne fait que s’exacerber depuis dix ans entre conservateurs identitaires et ce qu’il est de bon ton d’appeler la gauche « diversitaire » ou « multiculturaliste ». Devant l’évidence désormais indéniable que la peur sans cesse attisée de l’étranger — cristallisé dans la figure du musulman et dans celle du réfugié — peut mener à la violence, on aurait pu croire qu’un examen de conscience collectif aurait enfin lieu. […]



Après les poignantes cérémonies en l’honneur des victimes, les déclarations contrites des politiciens et les promesses du gouvernement Couillard de lutter « sérieusement » contre le racisme, on y avait presque cru. Donnant suite à la demande d’une coalition de citoyens et de groupes antiracistes réclamant depuis 2016 la tenue d’une commission d’enquête sur le racisme systémique, le gouvernement a même annoncé la tenue d’une consultation sur ce phénomène par lequel des logiques institutionnelles et organisationnelles contribuent à perpétuer des formes d’exclusion, de discrimination et de racisme.



Quelle qu’eût été la bonne volonté du Parti libéral du Québec dans ce dossier, toutefois, elle n’a pas résisté bien longtemps aux sirènes de la partisanerie. Sitôt annoncée, la consultation fut décriée par le Parti québécois et la Coalition avenir Québec comme étant une tentative de faire le procès des Québécois — dont ne feraient visiblement pas partie ceux et celles qui s’inquiètent de la montée du racisme au Québec. Par ailleurs, immédiatement après sa défaite électorale dans la circonscription de Louis-Hébert, attribuable selon les stratèges libéraux à la tenue de cette consultation, le PLQ a procédé à en diluer la portée. […]



Toute cette affaire aura ainsi démontré l’incapacité de nos élites politiques à répondre avec maturité et courage aux défis du vivre-ensemble pluraliste dans toute sa complexité. D’ailleurs, n’est-ce pas de cette faillite que témoigne la montée inquiétante des manifestations des groupes d’extrême droite affichant un racisme de plus en plus décomplexé, et leur affrontement avec des groupes antifascistes ? […] Et n’y a-t-il pas chez ces groupes une tentative de « poursuivre la politique par d’autres moyens » devant l’incapacité de la démocratie libérale à répondre aux logiques de dissolution du lien social et de la souveraineté provoquées par le capitalisme globalisé, logiques par ailleurs aux sources des nombreuses crises et malaises identitaires actuels ?



Notre histoire particulière



Ces tensions, nous ne sommes en effet pas les seuls à les vivre ; elles participent bel et bien de dynamiques mondiales. Cependant, on le voit bien, certains blocages relèvent de notre histoire particulière. D’une part, cela semble aller de soi, notre statut de nation francophone minoritaire dans un océan anglophone ajoute à l’insécurité identitaire. D’autre part, les discours dominants au Canada anglais […] nous renvoient sans cesse une image essentialisée du Québec comme étant une contrée ataviquement raciste : cela n’a rien pour faciliter la prise au sérieux des problèmes liés au racisme au Québec. Enfin, notre mémoire récente du colonialisme anglo-canadien et américain fait en sorte qu’il est difficile pour nombre d’entre nous de concevoir qu’ayant été victimes de racisme et de colonialisme, nous soyons capables d’infliger à d’autres le même genre d’oppression. Devant les demandes de justice et d’égalité de la part des personnes racisées et des peuples autochtones, le réflexe de se réfugier dans le rôle de victime prend ainsi trop souvent — et trop facilement — le dessus. […]



Certes, la mémoire de notre infériorisation coloniale semble s’être imposée dans le récit national, alimentant des réflexes de repli. Mais de cette mémoire on a tendance à oublier un autre aspect, fondamental, qu’il est urgent de réactiver : c’est en se solidarisant avec les autres colonisés, ces « damnés de la terre », que les Miron, Vallières, Lalonde, Aquin et tant d’autres, s’inspirant des Fanon, Césaire, Carmichael, Memmi, ont pu penser les conditions de la décolonisation et tisser la trame d’une identité québécoise moderne et émancipée. Il faut donc rappeler que ces solidarités sont au coeur de notre identité, afin que le projet indépendantiste renoue avec son souffle de libération et de justice en faisant siennes les luttes, les aspirations et les quêtes de sens de ceux qui, aujourd’hui, réclament la pleine égalité […]



Pour ce faire, on ne saurait trop insister sur l’importance des affects, de l’intuition, et la nécessité urgente d’investir et d’habiter ce lieu mouvant où se construisent le sens et donc les identités.


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