ECR - Un projet de société

Arguments contre une propagande*

Si l’école a pour mission d’instruire en se gardant d’endoctriner, le programme ECR a tout faux; il n’enseigne rien de valable en éthique et fait le jeu de la politique partisane.

ECR - Éthique et culture religieuse

* Texte paru dans la revue À Babord ! ( déc.2009 / janv.2010 ) dans un dossier spécial consacré à la laïcité.
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Quiconque se conçoit comme ouvert et vertueux se plaît à répéter que l’étude des religions à l’école ne peut faire de tort à personne puisque cela contribue à la culture générale et permet de mieux connaître la culture des immigrants. Ces lieux communs aux fondements douteux confortent la complaisance envers un cours dont l’implantation massive constitue non seulement un détournement parfaitement planifié du processus de laïcisation du système scolaire québécois mais fait aussi la promotion de la « laïcité ouverte [aux religions] », concept à lourde charge idéologique dont l’objectif avoué est de favoriser le retour du religieux dans l’ensemble des institutions publiques.
Un cours d’Éthique (…) religieuse
Les religions sont inquiétantes lorsqu’elles manifestent des prétentions normatives et font des tentatives répétées pour réinvestir les champs de l’éthique, de la politique et de la justice. Les conservateurs religieux n’ont jamais renoncé à l’espoir de réinstaller les préceptes religieux en position de critère absolu du bien et rêvent toujours de reconquérir la position décisive occupée par les Droits de l’Homme depuis près de six décennies.
Récemment, la Commission des droits de l’homme de l’ONU, lors de la conférence de Durban sur le racisme, fut le théâtre d’offensives orchestrées par des régimes théocratiques afin que la « diffamation des religions » soit reconnue comme une forme de crime contre l’humanité. Ce stratagème aurait fait en sorte que certaines pratiques religieuses portant atteinte à la dignité humaine ne puissent plus être dénoncées.
Le « pluralisme normatif » (ou relativisme culturel) dont le nouveau programme ECR fait la promotion tend aux mêmes résultats. Le cours recommande de prendre en considération les « diverses » normes et pratiques religieuses propres à la culture de « l’autre » sans jamais attirer l’attention sur l’obligation faite à tout citoyen de se conformer aux chartes des droits et aux lois civiles en vigueur dans une société démocratique.
Un enseignement de l’éthique laïque compatible avec l’état de droit serait un enseignement humaniste faisant explicitement état des déclarations et des chartes des droits, qui en expliquerait les fondements rationnels universels et procèderait à leur mise en application à la faveur de discussions où ne seraient retenus que les arguments propres à servir l’utilité publique et le bonheur du plus grand nombre. Rien de tout ce qui est indiqué en italique n’apparaît dans le volet éthique du programme ECR. Enseigner l’éthique de cette façon aurait été une menace pour toutes les morales religieuses car des élèves, désormais informés des droits et finalités légitimes dans une société moderne, auraient été en mesure de formuler des critiques dévastatrices quoique largement méritées envers les religions.
Les conservateurs religieux se sont entichés du relativisme culturel lorsqu’ils ont découvert que cette conception de l’éthique met les pratiques religieuses à l’abri des critiques rationnelles à condition de lier irrémédiablement « culture » et « religion ». Bénéficiant d’un préjugé favorable à la diversité des expressions culturelles, certaines pratiques religieuses ne respectant pas la dignité humaine ou les lois civiles trouvent ainsi un semblant de légitimité. Cette pagaille conceptuelle permet aux religieux de confondre aisément les classes politiques et juridiques qui se croiront dans l’obligation, pour éviter d’être taxés d’intolérance, de prendre des décisions contraires aux fondements d’une société juste et démocratique.
Sophisme et propagande
Le biais relativiste du programme ECR saute aux yeux de professeurs de philosophie du collégial inquiets de devoir bientôt composer avec des étudiants habitués à penser que des actions doivent être jugée bonnes à la seule condition de correspondre aux pratiques en vigueur dans le groupe identitaire de celui qui commet l’action. Tous les manuels du collégial rejettent cette conception de l’éthique qui, à bien y penser, ne vaut guère mieux qu’un sophisme de type « appel au clan » ou « appel à la tradition ».
La charge idéologique du cours ECR n’a pas non plus échappé à l’attention de tribuns nationalistes ou d’historiens qui y voient un endoctrinement multiculturaliste visant à contrer les velléités identitaires des Québécois. Cependant le multiculturalisme, largement promu par les britanniques et dont nous avons hérité au Canada, peut aussi être vu comme un dispositif idéologique visant à préserver les prérogatives de la monarchie et de l’église anglicane de tout projet de réforme républicaine laïque à visée universaliste.
Si l’école a pour mission d’instruire en se gardant d’endoctriner, le programme ECR a tout faux ; il n’enseigne rien de valable en éthique et fait le jeu de la politique partisane.
Un cours qui divise
Le programme ECR ne fait bien évidemment jamais explicitement référence au relativisme culturel, au multiculturalisme, au communautarisme ou à la « laïcité ouverte [aux religions] » mais l’invocation incessante de la notion de « différence » sous prétexte de reconnaissance de « l’autre » trahit ce parti pris idéologique.
D’ailleurs le mot « autre » est un terme allusif qui ne peut que créer de nombreux malentendus. Qui sont ces « autres » que nous devons reconnaître et apprécier sans jamais les nommer ? N’est-il pas toujours indélicat de pointer du doigt les « différences » des « autres » ? Les « non-autres », ne seront-ils pas bientôt exaspérés par cette valorisation excessive de la « différence » des « autres » ?
Il faut s’inquiéter de la montée des discours xénophobes perceptibles dans certains blogs dédiés à la contestation du cours ECR et sur les ondes de radio populistes où on accuse déjà ouvertement les immigrants d’être à l’origine de l’implantation de ce nouveau cours obligatoire pour tous.
Les immigrants n’ont jamais réclamé un tel cours. Les néo-québécois n’affichent pas plus de ferveur religieuse que la moyenne des québécois (1) et ne se définissent donc pas nécessairement ni uniquement par leurs convictions religieuses. Les écrivains Neil Bissoundath, auteur du Marché aux illusions, et Amin Maalouf, auteur des Identités meurtrières, ont dénoncé de manière intelligente et sensible ce piège qui condamne l’immigrant à ne jamais cesser d’être un « autre ».
À une certaine époque les enfants non-catholiques ne pouvaient s’inscrire dans les écoles francophones de Montréal. Ce fut un premier rendez-vous raté de la société québécoise avec l’immigration. Le formatage au « pluralisme normatif » que subiront nos enfants aura un impact tout aussi néfaste. Les nouvelles générations ne sauront bientôt plus concevoir ni même désirer l’intégration citoyenne des québécois, toutes origines confondues, autour d’une norme commune, d’un contrat social commun.
Instrumentalisation de « l’autre »
Force est de constater que les immigrants ont été instrumentalisés par les concepteurs du programme qui, voulant « sauvegarder l’essentiel de la confessionnalité scolaire » (2) , tout en rencontrant les exigences d’équité prescrites par la Cour Suprême, ont eu intérêt à camoufler les contenus essentiellement catholiques derrière une myriade de contenus multiconfessionnels. Ainsi le prétexte de « la reconnaissance de l’autre » n’aura-t-il été qu’une caution permettant de consolider la présence du catholicisme traditionnel dans le système scolaire québécois.
De plus, les concepteurs du programme ECR voulant surtout éviter in extremis la fermeture définitive de quelques facultés de théologie (3) ne se seront pas trop inquiétés du sort réservé aux immigrants mis en porte-à-faux et par conséquent injustement exposés à la vindicte identitaire des « non-autres » les plus « crispés ».
Abolir le lobby religieux
Les responsables de ces « fins stratagèmes dignes de l’héritage des jésuites » (4) étaient déjà actifs dans l’ancien Comité catholique du Ministère de l’éducation. Depuis 2000, ils ont continué de servir au sein du Secrétariat aux affaires religieuses ( SAR) et du Comité sur les affaires religieuses (CAR). Ces deux entités veillent depuis au processus de déconfessionnalisation du système scolaire et sont considérées, selon le coordonnateur actuel du SAR, M. Roger Boisvert, comme les maîtres d’œuvre du nouveau programme d’Éthique et Culture religieuse (ECR).
Demander à un loup de compter les moutons n’aurait pas été plus bête car le SAR et le CAR, séquelles de l’ancien régime cléricaliste, constituent en réalité un lobby pro-religieux financé par les deniers publics et oeuvrant au sein du Ministère de l’Éducation. Les multiples aberrations du programme ECR ne sont donc que les symptômes d’un disfonctionnement structurel.
Il n’y aura pas de véritable laïcité scolaire tant que des gens capables d’imaginer de telles inepties idéologiques et disposant des pleins pouvoirs pour les faire appliquer jouiront d’un statu privilégié dans l’appareil ministériel. Voilà pourquoi le Mouvement laïque québécois préconise non seulement l’abolition du volet de culture religieuse du programme ECR mais aussi l’abolition totale et définitive du Secrétariat aux affaires religieuses et du Comité sur les affaires religieuses.
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MARIE-MICHELLE POISSON, présidente du mouvement laïque québécois
Notes (1) Paul Eid, La ferveur religieuse et les demandes d’accommodements religieux : une comparaison intergroupe, CDPDJ, décembre 2007. http://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/liste.asp?Sujet=51&noeud1=1&noeud2=6&cle=0
(2) Christine Cadrin-Pelletier, Le CJF : l’incarnation d’un christianisme critique au sein de l’Église, allocution, 25e anniversaire du Centre Justice et Foi, 10 mars 2008. http://www.revuerelations.qc.ca/cjf/25e/Intervention_Christine-Cadrin-Pelletier.pdf Mme Cadrin-Pelletier fut sous-ministre associé de foi catholique de 1995 à 2000 et secrétaire du secrétariat aux affaires religieuses de 2000 à 2005.
(3) La formation des maîtres dans le domaine du développement personnel : une crise symptomatique, Comité des affaires religieuses, novembre 2003. http://www.mels.gouv.qc.ca/affairesreligieuses/CAR/PDF/Avis_form_maitres.pdf (4) Propos enthousiastes formulés par un membre de l’assistance suite à l’allocution de Mme Cadrin-Pelletier du 10 mars 2008.


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5 commentaires

  • Éric Folot Répondre

    25 juillet 2010

    Ma réplique se résumera à trois citations : celle de Gandhi, celle de Jean-Jacques Rousseau et celle d’Alexis de Tocqueville :
    Gandhi affirme : « Les religions représentent des routes différentes qui convergent au même point. Peu importe si nos chemins ne sont pas les mêmes, pourvu que nous atteignions le même but. À vrai dire, il y a autant de religions que d’individus. Si un homme parvient au cœur de sa propre religion, il se trouve, de ce fait, au cœur même des autres religions (…) Après une étude et une expérience approfondies sur cette question, j’en suis venu à la conclusion que 1) toutes les religions sont vraies; 2) aucune n’est tout à fait exempte d’erreurs; 3) toutes les autres me sont presque aussi chères que la mienne, dans la mesure où notre prochain devrait nous êtres aussi cher que nos proches parents. J’ai autant de vénération pour la foi des autres que pour la mienne… Dieu a créé différentes religions, tout comme il a créé leurs adeptes. Comment donc pourrais-je concevoir que la foi de mon voisin soit inférieure, et souhaiter qu’il se convertisse à ma religion ? Si je suis vraiment un ami loyal, je ne peux que prier pour lui souhaiter de vivre en parfait accord avec sa propre foi. Il y a plusieurs demeures dans le royaume de Dieu et elles sont toutes aussi saintes. QUE PERSONNE NE REDOUTE DE VOIR S'AFFAIBLIR SA PROPRE FOI EN SE LIVRANT À UNE ÉTUDE RESPECTUEUSE DES AUTRES RELIGIONS. La philosophie hindoue voit des fragments de vérité dans toutes les religions et nous enjoint d’avoir du respect pour chacune (...) La tolérance est aussi éloignée du fanatisme que le Pôle Nord du Pôle Sud. Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent » (Gandhi, Tous les hommes sont frères : vie et pensées du Mahatma Gandhi d’après ses œuvres, Éditions Gallimard, Commission Française pour l’UNESCO, 1969).
    Et Jean-Jacques Rousseau d’ajouter : « Émile qu’il ne pût apprendre de lui-même par tout pays, dans quelle religion l’élèverons-nous ? À quelle secte agrégerons-nous l’homme de la nature ? La réponse est fort simple, ce me semble ; nous ne l’agrégerons ni à celle-ci ni à celle-là, MAIS NOUS LE METTRONS EN ÉTAT DE CHOISIR CELLE OÙ LE MEILLEUR USAGE DE SA RAISON DOIT LE CONDUIRE » (Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, Garnier-Flammarion, Paris, 1966).
    Alexis de Tocqueville affirme : « La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes, le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauvegarde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée » « On ne peut donc pas dire qu’aux Etats-Unis la religion exerce une influence sur les lois ni sur le détail des opinions publiques, mais elle dirige les mœurs, et c’est en réglant la famille qu’elle travaille à régler l’État » « C'EST LE DESPOTISME QUI PEUT SE PASSER DE LA FOI, MAIS NON LA LIBERTÉ. La religion est beaucoup plus nécessaire dans la république qu’ils préconisent, que dans la monarchie qu’ils attaquent, et dans les républiques démocratiques que dans toutes les autres » (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome I, Flammarion, Paris, 1981).
    Eric Folot

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2009

    Bravo madame Poisson pour votre combat, on a des femmes courageuses au Québec !
    Si tous les Québécois se levaient debout comme vous, en en serait pas là...
    Debout Québécois !
    http://www.youtube.com/watch?v=dfNLYgXVXFU&feature=related
    Jeanne du Lys

  • Archives de Vigile Répondre

    18 décembre 2009

    Dans le texte jeté au public (Le Devoir, 16 décembre) du haut de la tour d'ivoire des professeurs Larouche, Leroux, Proulx et Rousseau, il est indiqué que le cours ECR «devra privilégier les traditions religieuses qui ont contribué à façonner l'histoire et la culture québécoise: catholicisme et protestantisme, traditions des Premières Nations (sic) et judaïsme.
    J'habite le Québec depuis toujours et, c'est curieux, tout ce que j'ai perçu du protestantisme, c'est quelques temples apparaissant à l'occasion dans les paysages urbains et ruraux québécois. Idem pour le judaïsme, dont les synagogues ont sans plus pignon sur rue dans les quartiers hassidides montréalais. En ce qui concerne les Premières nations, plusieurs de mes consoeurs de classe en étaient issues. Elles étaient catholiques, comme moi et la majorité «blanche» à l'époque.
    Au fait, les Amérindiens au Québec, c'est 1% de la population. Les protestants et les gens de religion juive, c'est combien? Assez pour «façonner l'histoire et la culture québécoises»? Et les Témoins de Jéhovah alors?

  • Archives de Vigile Répondre

    18 décembre 2009

    Demander à un loup de compter les moutons n’aurait pas été plus bête car le SAR et le CAR, séquelles de l’ancien régime cléricaliste, constituent en réalité un lobby pro-religieux financé par les deniers publics et oeuvrant au sein du Ministère de l’Éducation. (extrait de votre texte)
    Vous avez si bien définit la source du problème. Maintenant, qui le réglera ce problème ? Quel parti politique osera s'y attaquer ? Quel niveau de conscience en a la population en général ? Quel niveau de conscience en ont, d'abord, nos élus ?
    Mensonge, propagande, voilà des outils de travail associés à des groupes organisés qui se disent être dans la vérité. Étrange contradiction.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2009


    D'accord pour l'ensemble de votre texte mais à la condition
    de rétablir les universaux rejetés par les philosophies
    positivistes, structuralistes et néo-structuraliste.
    Prenons par exemple la morale, faussement définie comme
    science du bien et du mal. Aristote définit la morale
    comme science et art du bonheur humain. Il définit
    le bonheur comme la qualité d'une vie complète.
    Les Musulmans, dont beaucoup connaissent Aristote depuis
    le Moyen Âge, (ils l'ont transmis à l'Espagne après l'invasion maure) connaissent également ces définitions.
    J'ai pu le vérifier sur place au cours des années que j'ai passées en Afrique Équatoriale, à m'occuper à la fondation du Collège Militaire de Teshie,au Ghana.
    Les aspirants venaient de partout
    dans le pays, parlant plus de 30 langues et mentalités diverses. Avec les universaux, appris à la fac de philo dominicaine de l'Université de Montréal, nous parvenions à communiquer et nous comprendre.
    Le travail de pacification du Ghana consistait à apprendre aux candidats à concilier les exigences apparammment contradictoires entre la tribu, très ancienne et l'État du Ghana nouvellement créé après la décolonisation.
    D'autre part, beaucoup de Juifs utilisent les méthodes du dialogue socratique dans leurs synagogues, de sorte qu'eux
    aussi ont accès aux universaux.
    Est universelle une définition qui ne peut être remplacée par une autre plus universelle.
    Par exemple: les définitions de la morale selon Aristote et
    aussi l'existence définie comme relation en acte et en puissance.

    J'apprécie vos textes et la rigueur que vous y mettez.
    JRMS