Bienvenue chez les <i>s'ties</i>

Chronique de Jean-Pierre Durand

À quelques jours de la Fête nationale, Jean Dorion, président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, recevait sur son bureau une demande inusitée. L’organisateur québécois de l’association Petits Princes, un organisme français voué à réaliser les rêves d’enfants gravement malades, demandait si la SSJB voulait bien accueillir, pour quelques heures à son siège social, une jeune Parisienne de dix-huit ans prénommée Stéphanie. Monsieur Dorion, qui est un humaniste et qui a bon cœur, répondit à Jean Lajeunesse – il ne s’agit pas du comédien ressuscité, on l’aura compris, mais de l’organisateur des Petits Princes – que la SSJB se ferait un plaisir d’apporter sa modeste contribution à la réalisation du vœu de Stéphanie.
On se doute bien qu’un tel voyage exige une planification minutieuse, une logistique parfaitement rodée, dans un contexte s’accommodant de contraintes (la maladie de l’enfant nécessite que les médecins autorisent une fenêtre de voyage, par exemple). La visite de la maison Ludger-Duvernay, qui abrite les bureaux de la Société, s’inscrivait comme l’une des multiples activités prévues à l’horaire de Stéphanie. Dix jours qui permettraient à la jeune fille de découvrir sur les chapeaux de roues le Québec. Au programme, il y aurait des rencontres officielles (avec le maire Gérald Tremblay notamment…), des activités récréatives (rafting dans les rapides de Lachine, baignade…) et culturelles (musées, insectarium…), le survol des Basses-Laurentides en hydravion, du magasinage dans le Montréal souterrain (où Stéphanie découvrirait que nos « ventes » tiennent ici lieu de soldes), une visite dans la cuisine du Fairmount Bagel, un tête-à-tête avec un artiste de renom (on ne nous autorise pas à dire lequel), un détour par le Montréal Pool Room (rendu célèbre pour ses roteux), etc. Bref, de quoi passer des moments inoubliables et rapporter plein de beaux souvenirs.
La question à cent balles (on parle ici de foin), qui assurément vous brûle les lèvres, est de savoir pourquoi cette jeune Française a choisi le Québec pour son rêve et, subsidiairement, pourquoi la SSJB a-t-elle été sollicitée? Eh bien, tout simplement, parce que le grand-père de Stéphanie est d’origine québécoise, qu’il a quitté le Québec dans les années soixante et qu’il était membre du RIN de Bourgault : « Quand on me servait en anglais, je ne donnais pas de pourboire, je laissais une carte de visite de la SSJB qui disait Pourquoi pas du français? » Et depuis qu’elle est toute petite, Stéphanie a entendu son grand-père lui raconter son pays, l’histoire de sa famille, sa propre jeunesse, et elle s’est mise à rêver d’y aller un jour.
Le rêve de Stéphanie rimait donc avec le pays de son papi. Et pour quelques deux heures, un lundi après-midi, j’allais tenté, avec le concours indispensable et précieux de trois autres militants de la SSJB (Diane Gignac, Sébastien Pageon et Antoine Bilodeau pour ne pas les nommer), de donner un aperçu de cette Société qui soufflera bientôt ses 175 bougies et, à travers elle, de parler de l’évolution du Québec des cinquante dernières années. Quant on n’est pas historien, s’engager sur ce terrain est tout un contrat. Mais nous avions à cœur d’honorer la parole de notre « patron » (je n’ai entendu que deux ou trois fois ce sobriquet pour monsieur Dorion, mais c’était toujours dans un esprit facétieux et sans malice aucune).
C’est ni plus ni moins qu’un cours 101 sur la SSJB qui a été dispensé à notre invitée. On a fait rapidement connaissance avec Ludger Duvernay, devant une reproduction de la toile « Premier Banquet – Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal » de l’artiste Lorenzo de Nevers (au fait, l’original, qui est dans le bureau de l’Association Canado-Américaine, à Manchester, au New Hampshire, est à vendre). Puis on a parlé des Patriotes de 1837-1838, de cette rébellion qui n’a pas été victorieuse. On a parlé du clergé, de son omnipotence parfois, sans le condamner, même si des points demeurent questionnables. Certaines expressions langagières d’ailleurs, inspirées de notre passé aspergé d’eau bénite, comme ce s’tie qu’on entend souvent, auraient pu être évoquées, mais bon, il n’était pas absolument indispensable de passer pour des péquenots aux yeux de la demoiselle. Il a été question de l’érection de la croix du mont Royal par la SSJB en 1924, grâce notamment à la vente de vignettes par les écoliers de la commission des écoles catholiques. On a parlé des défilés de la Saint-Jean-Baptiste, avec son mouton et son petit Jean-Baptiste… qui n’était autre que l’enfant d’un épicier de Sainte-Cunégonde, comme disait narquoisement Olivar Asselin, alors président de l’auguste Société. On a aussi relaté les défilés qui tournèrent à l’émeute, en 1968, 1969, ce qui nous valut quelques années d’abstinence «allégorique».
Il a été aussi question du dynamisme et de l’importance de la SSJB pour la défense et l’illustration du fait français. Il fut un temps où des sociétés Saint-Jean-Baptiste essaimaient par tout le Canada et même aux États-Unis. Car, à n’en point douter, les Français et, après eux, les Canadiens français ont traversé ce continent de part en part, ils se faisaient voyageurs (métissés parfois avec des squaws), défricheurs et fondateurs. Dans la mythique expédition de Lewis et Clarke, qui traversa les États-Unis de 1804 à 1806, il y avait des Français, dont ce Toussaint Charbonneau, un trappeur canadien qui épousa la guide Sacagawea (après l’avoir gagnée à un jeu de hasard! non, ce n’était pas au Bingo mohawk de Caughnawaga!). Les Français et, après eux, les Canadiens français ont tout lieu d’être fiers de leurs voyages et réalisations dans le Nouveau Monde. Mais la Conquête a apporté son lot de drames, d’humiliations, de malheurs au peuple français, l’a décimé, assimilé et affaibli. À cause des assauts redoublés de nos adversaires, par la répression et des lois iniques, par l’anglicisation voulue et planifiée des immigrants, les Canadiens français n’ont réussi qu’à maintenir le Québec comme dernière citadelle des francophones sur ce continent.
Pendant tout le temps qu’on causait, Stéphanie écoutait attentivement. Les personnes qui l’accompagnaient mettaient aussi leur grain de sel. Je me disais à part moi qu’elle retiendrait de tout cela que l’histoire des francophones, après avoir merveilleusement commencé (Jacques Cartier, Champlain, Jeanne Mance et tutti quanti) avait été finalement celle de perdants, que son grand-père avait été l’un des derniers Mohicans, bref, cela était triste en titi, pour ne pas dire en verrat. C’est là que j’ai eu l’idée de faire mon petit laïus sur l’indépendance. Si j’avais eu la présence d’esprit, j’aurais même apporté avec moi le disque compact sur lequel figure le rap « C’est une guerre » interprété par un jeune de Sherbrooke (allez sur You Tube et demandez « C’est une guerre M.P.I.» pour voir le clip en question). Après avoir mentionné que la SSJB avait pris le virage indépendantiste à la fin des années soixante, j’ai tenté d’expliquer que le Québec d’aujourd’hui est un peu comme le village d’Astérix. Les Canadiens français ont été défaits à peu près partout, mais il reste une poignée d’irréductibles Gaulois – les Québécois – qui résistent toujours. Et nous avons la potion magique! (J’ai dit cette phrase pour décocher un sourire de Stéphanie… et ce fut le cas.) Puis, notre visiteuse a dû repartir et nous nous sommes salués dans le vestibule de la maison Ludger-Duvernay. Une jeune fille de dix-huit ans, quelque peu frêle et intimidée, poursuivait son chemin.
Que retiendra Stéphanie de sa visite à la maison Ludger-Duvernay, je ne saurais le dire. Tout cela doit lui sembler bien compliqué, mais elle a tenu à repartir avec des affiches de la SSJB pour remettre à son grand-père, dont les histoires ont dû suffisamment la marquer pour qu’elle suggère ainsi aux Petits Princes un tel voyage. Un grand-père qui doit aussi beaucoup aimer le Québec pour avoir su partager ses souvenirs avec sa petite-fille. Dans la lettre qu’il adressait aux organisateurs, le grand-père écrivait : « Pouvez-vous amener Stéphanie sur le mont Royal, voir la ville bien sûr, mais surtout les écureuils… » Eh bien, à son retour en France, il sera ravi d’entendre de sa petite-fille adorée qu’elle a bien vu des écureuils…
On espère, en terminant, chère Stéphanie, que ton voyage « chez tes cousins d’Amérique » se sera bien déroulé et que tu en tireras toute l’énergie nécessaire pour poursuivre ton combat contre la maladie. Porte-toi bien.
Jean-Pierre Durand


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1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    11 août 2008

    Monsieur Durand,
    Comme vous avez parlé avec Stéphanie des Patriotes mais que vous ignorez ce qu'elle en a retenu, puisque plusieurs Québécois ne sauraient trop que dire de cette funeste rébellion, puisque vous gardez l'oeil à toute bizarrerie, je vous confie cette réflexion:
    Le Patriote (1837-38)
    Sainte-Martine(Beauharnois) 1838, la dernière « victoire » des patriotes… 2008 moins1838= 170 ans cette année, divisé par 25 ans= 6,8 générations seulement nous séparent des Patriotes.
    Une personne à Sainte-Martine a même relevé dans sa généalogie l’un des exilés en Australie, qui était son arrière-arrière-grand-père maternel. (5 générations seulement…)
    Ceci concorde avec la théorie des 6 degrés de séparation. En 1969, Stanley Milgram et Jeffrey Travers, du Nebraska, ont demandé à 300 personnes d’envoyer un message, par l’intermédiaire d’un ami, à une personne de Boston. D’une connaissance à l’autre, le message s’est rendu à destination en moyenne à travers 6 contacts.
    En observant le portrait type du patriote, souliers-de-beu, ceinture fléchée, bonnet rouge et pipe de plâtre avec le fusil brandi, on est portés à se dire que cette image remonte à Mathusalem. Histoire vétuste et légendaire. Attention : 5-6 générations, en remontant la famille, c’est hier, presque des connaissances…
    Ceux qui ont exilé ou pendu nos arrière-arrière-grand-pères sont aussi rapprochés de nos assimilateurs en poste aujourd’hui. Ne leur tournons pas le dos…