Décrypter la peur référendaire

2096ef1fd963d0d09d4907bcbeafd271

{{L'analyse de Lisée est fortement teintée par sa prochaine candidature au leadership du PQ}}

Jean-François Lisée se livre ce matin à une analyse du déterminant le plus profond, selon lui, de la défaite péquiste : la peur référendaire. Difficile de dire le contraire bien que je parlerais plutôt d’exaspération à l’endroit de la question nationale. Mais convenons que nous parlons à peu près de la même chose : les Québécois, pour l’instant, et peut-être pour quelques instants, ne veulent pas se lancer dans la souveraineté et dans bien des cas, la refusent tout simplement. L’essentiel de l’analyse consiste alors à décrypter cette peur. Que recouvre-t-elle? Quelles sont ses ressorts, quels sont ses déterminants les plus profonds?
S’agit-il d’une peur surmontable? Si oui, la lutte pour la souveraineté demeure pertinente et il s’agit alors de définir à moyen terme une stratégie qui y réponde et la convertira en espérance. Autrement dit, l’électorat peut être convaincu d’un projet qu’il n’endosse pas pour l’instant. S’agit-il plutôt d’une peur si profondément inscrite dans la psychologie collective qu’elle condamne à jamais l’idée d’indépendance? Si tel est le cas, nous pourrons demeurer indépendantistes dans les marges et dans les associations folkloriques, mais il serait sot de poursuivre la lutte, et il faudrait alors imaginer une redéfinition en profondeur du nationalisme québécois, en lui permettant de faire son deuil de l’idéal qu’il portait pourtant profondément au fond de lui-même et en définissant une forme nouvelle d’affirmation collective.
Je comprends que les vétérans de la cause indépendantiste, qui y ont consacré leur vie, soient tentés par cette dernière interprétation. Ils sont désespérés par la défaite. C’est humain. Ils devraient éviter, toutefois, de croire que le destin d’un peuple se termine avec eux. Mais n’est-ce pas la tentation de certains boomers de croire que le monde est né et périra avec eux? Ils ont l’impression d’avoir inventé la lutte pour la souveraineté, alors qu’ils avaient simplement récupéré l’idéal d’indépendance qui avait été conservé et ranimé par de précédentes générations nationalistes. Mais ils se sont voulus à l’origine de tout. De leur point de vue, il est logique que l’indépendance se décompose avec eux. Après nous le déluge. Mais l’histoire du peuple québécois les a précédés et leur survivra.
Examinons donc cette peur le plus lucidement possible, sans chercher à entretenir l’espérance, mais sans chercher à la tuer non plus. Je commencerai aves les déterminants les plus lourds, pour remonter aux déterminants les plus circonstanciels. Mon analyse porte sur les Québécois francophones, qui représentent le groupe historiquement porteur du projet national. Il faudrait la mener autrement pour analyser l’adhésion des nouveaux arrivants au fédéralisme, qui se joue probablement, à bien des égards, sur un autre registre.
Il y a d’abord ceux qui ont « peur » parce qu’ils sont des Canadiens de conviction. Ils refusent viscéralement l’indépendance parce qu’ils ne se sentent pas Québécois. Il n’y a évidemment rien à faire avec cette part de l’électorat : elle représente, chez les francophones, le noyau dur du fédéralisme. Une certaine frange de cet électorat, la plus droitière, qui se révèle surtout à travers le discours des radios de Québec, méprise le nationalisme québécois et y voit une obsession de ratés collectivistes : elle ne souhaite pas seulement le maintien du lien fédéral mais la mise à mort de l’idée même d’indépendance. Une forme d’antipéquisme fanatique y domine. Il n’y a évidemment rien à faire avec cette part de l’électorat qui n’est pas hostile de manière circonstancielle mais radicale envers l’indépendance. Même si le Québec devenait souverain, il y aurait encore, pour un temps, des nostalgiques du Canada, et ils en seraient.
Il y a aussi ceux qui ont une peur économique. Cette peur économique prend la forme suivante : le Québec pourrait peut-être un jour faire la souveraineté, mais il n’en a pas les moyens, et le Canada représente ici une sécurité institutionnelle garantissant la prospérité des Québécois. Pour ces électeurs, il semble y avoir une contradiction fondamentale entre la prospérité garantie par le Canada et le rêve de souveraineté. Le Canada est un grand pays qui nous rendrait riches et puissants. Ils peuvent reconnaître une certaine légitimité à l’idéal souverainiste, peut-être même le partager de temps en temps, mais ils ne lui donneront jamais, manifestement, la première place dans leurs convictions politiques. À moins que l’indépendance ne devienne promesse absolue de prospérité. C’est une manière de voir les choses.
Faut-il aussi parler de peur pour la jeunesse, qui n’est manifestement pas enthousiaste devant l’indépendance? Il y a cette part de la jeunesse qui évolue dans le monde mondialisé et qui ne se reconnaît plus spontanément dans le cadre national. Pourquoi fonder un nouvel État-nation quand on croit cette structure désuète? Il faut pourtant faire bien des nuances ici. La jeunesse n’est pas un bloc homogène. Entre les jeunes militants altermondialistes et les « jeunes familles » exaspérées par les défaillances du modèle québécois, il y a un monde. On peut néanmoins croire que pour une part importante de cette jeunesse, le principe du Québec d’abord n’est pas mort, même s’il ne passe plus par la rhétorique péquiste. Doit-on aussi décréter que son cosmopolitisme spontané est incompatible avec l’appartenance nationale? C’est rapide. Car il n’est pas interdit de penser, toutefois, que ce cosmopolitisme se conjugue au fil du temps avec un désir d’enracinement. Appartenir à une communauté politique est un besoin existentiel.
Faut-il aussi parler de peur pour les abimés des défaites référendaires et qui sont désormais las de la question nationale? Ils ont souvent voté Oui une fois, peut-être deux, mais ils sont existentiellement vaincus et ne veulent plus entendre parler d’un projet qui les exaspère. Ils veulent désormais parler d’autre chose. Après les grandes espérances, vient le temps des grandes déceptions, et ils ne veulent plus vraiment investir des attentes existentielles trop élevées dans la politique. Désormais, elle devrait se faire gestionnaire et minimaliste. Ce n’est pas qu’ils soient hostiles en soi à l’indépendance, mais c’est qu’elle ne les intéresse plus, ou ne veulent plus s’y intéresser. Pour eux, c’est terminé. Mais que la question se pose à nouveau sérieusement, il n’est pas interdit de croire qu’elle rallumerait la flamme chez eux.
Il y a ceux, finalement, qui pourraient être sympathiques à la souveraineté, mais qui croient que le Québec doit s’occuper entre temps d’autres choses. Ils sont spontanément nationalistes, voteraient théoriquement oui, mais croient que le Québec doit s’occuper d’autres choses avant de revenir un jour, on ne sait trop quand, à la question nationale. Ils sont d’abord attachés au Québec, voient d’autres urgences que l’indépendance, mais ne sont pas fermés à ce que la question se pose à nouveau un jour, même s’ils n’entendent pas se précipiter vers elle. La souveraineté en elle-même leur semble moins désagréable qu’un référendum précipité – on me répondra que le dernier a eu lieu il y a presque vingt ans mais puisque les souverainistes ont constamment diminué les attentes en la matière depuis 1995, et sachant que les Québécois ont été déshabitués de la question nationale, il n’est pas surprenant qu’ils voient l’hypothèse d’un prochain référendum comme sortie d’une boite à surprise.
Je ne prétends pas ici livrer une analyse exhaustive. Aucunement. Mais simplement montrer que derrière le concept de peur référendaire se cache bien des postures (et il y en aurait d’autres), bien des manières de voir le Québec, et que les souverainistes devront faire une analyse assez fine des différentes raisons qui amènent un grand nombre d’électeurs à bloquer le projet national. Surtout, ils devront se demander si leur propre manière de porter le projet national sert bien l’indépendance ou s’ils n’ont pas tendance à radicaliser certaines peurs en croyant les neutraliser ou les désamorcer.
Et c’est ici que j’en arrive à une conclusion qu’il faudra considérablement développer dans les prochains temps. Nous découvrons aujourd’hui toutes les limites de l’approche du bon gouvernement. Depuis plus de trente ans, les souverainistes ont dissocié la question du gouvernement de celle de l’indépendance. Cela les a habitué à traiter l’indépendance comme un rêve éloigné, mais dont l’absence pour le Québec ne portait pas à conséquence sur la vie québécoise. Ils légitimaient l’idée que le Québec-province était le cadre normal de la gestion du Québec et l’indépendance, un idéal possiblement désirable mais qui n’était pas une nécessité vitale. Ils posaient un piège dans lequel ils sont eux-mêmes tombés.
À dédramatiser l’indépendance, à la présenter comme un bel idéal dont la concrétisation peut être sans cesse différée, on habitue l’électorat à la tenir justement pour un rêve qu’on se paiera peut-être lorsqu’on sera riche et que tous nos problèmes seront réglés. Dès lors, les souverainistes « pressés » sont vus comme de pénibles rêveurs qui veulent entrer l’indépendance dans la gorge de la population quand l’essentiel serait ailleurs. C’est cette approche qui a éclaté. Étrange campagne où les souverainistes fuyaient leur option et n’en parlaient que pour expliquer qu’ils n’en parleraient pas et qu’ils ne la réaliseraient pas. Au même moment, le PLQ lançait une attaque massive contre le « référendum », à laquelle les souverainistes refusaient de répondre. Perpétuellement expliquer qu’on ne réalisera pas son projet n’est peut-être pas la meilleure manière d’en parler à la population.
Il ne s’agissait évidemment pas d’improviser une ligne souverainiste dure pendant la campagne. Car un tel discours ne s’improvise pas. Un référendum se prépare de longue date. Évidemment, tout n’est pas dit sur la défaite, mais il faudrait, me semble-t-il, éviter les analyses trop circonstancielles, même si elles ne sont pas négligeables. Je ne dis certainement pas que les choses vont bien pour les souverainistes, non plus qu’il s’agit d’une défaite comme une autre. L’indépendance est dans un creux historique. Mais j’ai l’impression qu’une conclusion s’impose : soit on assume l’indépendance et alors, on cherche ardemment à en convaincre l’électorat, et on ne cherche plus à se faire élire malgré elle, mais grâce à elle, soit on y renonce, et alors, on la met en veilleuse historique, on cesse explicitement d’y travailler, on ne l’inscrit plus dans son programme politique, même si on peut rêver secrètement que des circonstances inattendues favorisent un retour du projet, sans qu’on ne puisse le prévoir. Les deux options sont légitimes.
Mais il n’y aura plus d’entre deux.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé