La parenté entre les U.S.A. et le Canada est soulignée par cette boutade que l’on peut entendre parfois aux U.S.A. : « Qu’est-ce qu’un Canadien ? C’est un Américain qui n’a pas fait la révolution. »
Il y a deux ans, le psychanalyste Clotaire Rapaille, d’origine française, publiait un livre intitulé Culture Codes. Le livre vient de connaître une traduction française chez Jean-Claude Lattès*.
Clotaire Rapaille a délaissé la cabinet de psychanalyse pour créer à New York Archetype Discoverie Worldwide, une entreprise de conseil marketing qui aide les compagnies à tailler leur message en fonction des archétypes marquant chaque culture locale.
Comme il a surtout œuvré aux U.S.A., Rapaille approfondit son analyse sur leur culture. L’ habitué de la culture canadienne sera toutefois conduit à de nombreux rapprochements.
Que dire alors du Canada qui a été dirigé tour à tour par Pierre Trudeau et Jean Chrétien dont la persistance des traits adolescents n’ont pas échappé aux médias canadiens ? Trudeau aimait poser en excentrique, un adulte fugueur. Son intellectualisme entretenait un goût pour les extrêmes et une manie du développement rigoriste propre à cet âge. Chrétien fut décrit comme un adolescent pour d’autres raisons : sa fixation sur le maintenant, son goût pour la bataille dont il juge l’issue sur un unique critère : « je gagne ou je ne gagne pas ». On se souviendra d’ailleurs combien cela ressort de façon éclatante dans ses mémoires politiques.
Rapaille n’explique pas l’adolescence culturelle par la longévité du passé mais par des faits historiques qui impriment une empreinte durable sur la mentalité d’une collectivité. Pour Rapaille, l’ambiguïté du pays américain face à la royauté est une de ses empreintes qui a appuyé la fixation dans l’adolescence : « Dans la culture américaine, pourtant, notre rébellion a pris une forme inhabituelle. Beaucoup de cultures se rebellent en tuant leurs leaders (par exemple, les Français se sont révoltés en décapitant Louis XVI), après quoi, leur rébellion se termine et l’âge adulte commence. Nous n’avons jamais tué notre roi parce que nous n’en avons jamais eu un. Nous nous sommes rebellés contre le seul roi qui n’a jamais essayé de nous diriger et nous l’avons jeté hors de notre chambre, mais nous ne l’avons pas tué. Nous lui avons dit simplement de rester dehors ».
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Pour le Canada, il en va autrement. La royauté britannique est celle qui a supplanté la France. Pour cette raison notamment, le Canada y est fort attaché. Les armoiries et les blasons britanniques s’affichent avec un ethnocentrisme évident sur les bannières canadiennes. Cependant, les Canadiens allèguent avoir confiné la monarchie britannique à une fonction de représentation. À cet égard, tout en adulant le patrimoine anglais, le Canada se donne le sentiment d’avoir dit à la royauté de « rester dehors ».
Il y a dans les discours de Michaëlle Jean, représentante de la reine, un fort penchant pour l’idéalisation. J’ai insisté sur ce point dans une chronique précédente. [La dénationalisation du Québec et sa provincialisation->13392] devient une « lutte pour briser sa solitude ». Avec une telle porte-parole, une culture adolescente peut tisser sa toile tout en se convainquant qu’elle ne perd pas son innocence.
Lors de son discours à l’occasion du 400 ème anniversaire de Québec, Michaëlle Jean a lancé que le Canada « contient le monde ». Les U.S.A. aussi se drapent dans cette définition de terre d’immigration. Clotaire Rapaille l’explique en ces termes : « Ces immigrants ont quitté leur pays qui leur a été imposé à la naissance. Venir ici est un acte de rébellion immense. Comme les révolutionnaires américains, ils laissent derrière eux une vieille culture au lieu de finir le boulot en tuant le roi. En conséquence, ils restent rebelles et c’est cet influx constant de nouveaux adolescents qui maintient adolescente toute notre culture. »
Dans le contexte canadien, on peut imaginer l’impact que Paul Martin, en symbiose avec les codes culturels canadiens, visait en nommant Michaëlle Jean. Une figure de proue de l’immigration représente la reine. En disant que le Canada contient le monde, sur les tréteaux de Québec, elle signale la raison de ce régime : Le Québec n’est pas un pays qui s’impose à la naissance. On est bien libre de se rebeller contre ce qui veut s’imposer, contre les attaches non désirées du passé et on doit laisser place aux nouvelles origines car le Canada n’est rien de moins que le protecteur du monde entier en son sein.
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Le thème de la rébellion adolescente contre le pays du Québec s’étale dans maintes biographies de Pierre-Elliott Trudeau, dont plusieurs signés par des partisans. La culture adolescente s’est donc doublée d’un volet particulier au Canada.
Voyons quel dispositif une culture adolescente déploiera dans ses rapports avec un phénomène qui échappe à son emprise :
1) La peur d’être contrôlé : on sait que dès que l’on aborde la question du Québec, un vent de soupçon se lève d’un bloc au Canada et que l’opinion publique émet à nouveau cette maxime : ce n’est pas le Québec qui nous dira quoi faire. En annexant le Québec en 1982 encore une fois, les Canadiens sont certains d’avoir refusé de se laisser contrôler.
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3) Une tendance de la culture adolescente est de tout considérer en termes de « gagner ou perdre, de prendre des choses ou qu’on leur prenne quelque chose, même de domination ou d’être dominés ». Tous ceux qui ont négocié pour le Québec au Canada l’ont noté. Il est impossible de traiter du Québec en termes différentiels. On se fait réponde sur un autre registre, dans le style : Avant de jouer les importants qu’est-ce que vous avez à nous donner en échange ? Pour que s’ouvre la partie, le Québec doit soumettre des parts de son pouvoir provincial dans le poker. Les autres participants à la table sont qualifiés de joueurs et ils pensent juste à se congratuler pour quelques bons coups.
Un message, dans une culture adolescente, ne se laisse pas facilement coder pour une prise en compte de l’autre. On évoquera plus facilement « une confrontation mais pas réglée de manière paisible entre les deux parties qui en sortent vainqueurs ». On se rappellera à cet égard la fin de non-recevoir de l’intelligentsia canadienne devant l’hypothèse que le Québec et le Canada puissent être deux pays vainqueurs, s’accordant dans la recherche du bénéfice mutuel.
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Est-ce parce que nous sommes dans le soi-disant Nouveau Monde que cette adolescence éclate tant dans la culture nord-américaine? Rapaille a ce commentaire éclairant: « Pourtant, par bien des aspects, l’Amérique est une des plus anciennes nations du monde. La révolution française a commencé en 1789, plus d’une décennie après notre révolution. L’Italie est devenu un Etat-nation en 1861. L’empire germanique fut fondé en 1871. Notre culture n’est pas aussi ancienne que les cultures française, italienne ou allemande (toutes ont vu le jour bien avant les Etats français, italien ou allemand) mais nous existons dans notre forme actuelle depuis plus longtemps. Nous avons la plus ancienne constitution écrite de la planète. »
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En guise de conclusion, qu’en est-il du Québec par rapport aux codes culturels du Canada ? Le Québec ne se caractérise par « l’impression d’invincibilité », une inflation grandiose de l’ego, deux traits de la culture adolescente. En revanche, il ressent l’incertitude puissamment. Le Québec, comme en témoigne sa fièvre d’enthousiasme pour les humoristes, se rie beaucoup de sa gaucherie. Comme un adolescent, il peine à se manifester sous sa propre forme.
Le Québec n’a le droit de s’imposer que par des institutions empruntées. Il n’est pas en plein dans ses propres codes. Pour se soustraire aux coliques provinciales, il fait comme la jeunesse mondiale. Il ruse avec lui-même en dédaignant la politique. La culture adolescente fournit tellement de fixations antipoliticiennes, tant de rôles qui donnent l’allure de n’en faire qu’à sa tête. Il n’y a qu’à se ranger derrière toute cette prédication culturelle contre les conditionnements étroits, chanter le goût des voyages, les airs de rockeurs.
André Savard
* Culture Codes par Clotaire Rapaille, Jean-Claude Lattès éditeur, 2008.
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 juillet 2008C'est si bien dit et si vrai!
Marie Mance V
Archives de Vigile Répondre
8 juillet 2008Ainsi l'affirmait Georges Santayana :
« Quand on ne profite pas de l'expérience... l'enfance est perpétuelle. Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter ».
JLP
L’Indépendance politique et la vraie Liberté civique ne sont pas faites pour les lâches.