Enfin Jean-Michel Leprince est à son poste !

Honduras: Des questions pouvant servir à Monsieur Leprince

Tribune libre

Quelle joie de voir enfin Monsieur Leprince à son poste!
Ça fait du bien d’avoir enfin des images du Honduras.
Il aura fallu deux mois et demi avant que Radio Canada envoie son meilleur journaliste sur place. Il était temps.
Une demande que je leur avais adressée dans une lettre ouverte, il y a plus de deux mois, le 3 juillet 2009 [1]:
Je disais:
«J’aimerais que Radio Canada produise un dossier sérieux sur le cas de la dictature qui veut s’implanter en Amérique centrale. J’aimerais aussi que Radio Canada envoie des reporters pour nous informer sur la situation au Honduras…
J’apprécierais que Radio Canada redevienne un chef de file dans la qualité de l’information. J’apprécierais que des journalistes de qualité et d’expérience comme Jean-Michel Leprince soient mis à contribution pour mieux nous informer.»
Il aura fallu plus de deux mois!
J'espère que Jean-Michel Leprince sera sur place un bon moment. Après tout, les journalistes couvrant l'Iran sont restés près d'un mois à Téhéran pour nous décrire les manifestations (parfois on aurait dit qu'ils les organisaient eux-mêmes).
Étrange qu'il ait fallu deux mois et demi avant de pouvoir avoir des images «radio canadiennes» de Tegucigalpa. (Comme si la démocratie au Honduras était moins importante que celle de l'Iran!)
Dans le reportage d'hier [2], il était intéressant de voir la foule de partisans de Zelaya.
Une image vaut mille mots.
Étrange que Monsieur Leprince ne puisse se prononcer sur un pourcentage approximatif du soutien de la population pour le Président Zelaya.
En Iran, on ne s'enfargeait pas dans les fleurs du tapis pour décréter que la quasi-totalité de la population était dans les rues pour réclamer du changement, comme si l'Iran s'était converti soudainement à la religion du libre marché et avait tourné le dos à l'islam!
Eh oui! En Iran on nous disait clairement que la population était massivement contre Ahmadinejad.
Étrange comme il peut sembler compliquer pour monsieur Leprince de dire: "oui, effectivement, on constate un très fort appui pour le Président Zelaya".
Mais, bon…
Cela étant dit, j'ai été un brin déçu par le manque d'originalité dans les questions de Monsieur Leprince lors de ses rencontres avec Manuel Zelaya et le représentant de la dictature
Voilà donc une série de questions toutes simples, mais très ciblées que Monsieur Leprince aurait pu poser.
Tout d'abord, au Président Zelaya pour éclaircir la situation :
- Pourquoi vous a-t-on expulsé?
- Quelle question vouliez-vous poser à la population?
- Est-il constitutionnel de poser une telle question à la population?
- Ceci n'était-il pas une manœuvre pour vous maintenir au pouvoir?
Ensuite au représentant de la dictature, ledit "analyste politique", Juan Ramon Martinez:
- Pourquoi le Président Zelaya a-t-il été expulsé par les armes hors du pays?
- Peut-on accorder de la crédibilité à votre gouvernement alors que 192 pays ont condamné votre prise du pouvoir?
- Avez-vous la population derrière vous?
- Zelaya avait-il l'appui de la population?
- Quelle est la question que le Président Zelaya voulait poser lors du référendum du 28 juin?
- Le résultat d'une telle consultation aurait-il pu modifier la constitution?
- Comment voyez-vous la démocratie?
Aussi des questions que Monsieur Leprince aurait pu poser à la population:
- Êtes-vous heureux que Manuel Zelaya ait été expulsé du pays?
- Y a-t-il eu, selon vous, une sorte de censure des médias lors du renversement du Président Zelaya?
- Avez-vous accès, comme les Iraniens, à twitter et à facebook ici au Honduras?
- Vos lignes téléphoniques et vos cellulaires sont-ils demeurés fonctionnels lors des événements de juin dernier?
- Auriez-vous aimé pouvoir vous prononcer lors de cette consultation qui était prévue le 28 juin?
Des questions bien intéressantes.
Mais Monsieur Leprince s'est contenté de consolider le discours qui perdure depuis le 29 juin. C'est-à-dire:
- que le Président Zelaya a perdu la confiance de la population à cause de ses mauvaises (sic) fréquentations.
- que le Président Zelaya a été renversé et expulsé parce qu'il s'apprêtait à faire un geste anticonstitutionnel (ce qui est totalement faux. Rien dans la constitution n’interdit de consulter la population).
- que la dictature en place est un gouvernement "légitime" par intérim, de facto.
- que Zelaya refuse de négocier donc qu'il s'enlève lui-même la possibilité de revenir au pays.
- que la population est divisée.
Ce dernier point est aujourd'hui le plus fondamental.
Souvenez-vous de l'Iran où l'on nous faisait croire que la population était presque unanimement contre Ahmadinejad. Et regardez le Honduras où l'on vous dit que la population est divisée.
La population d'Amérique latine a toujours été divisée. Il y a toujours eu les extrêmement riches qui contrôlent tout et les indécemment pauvres qui ont peine à manger.
Les mêmes divisions sont toujours bien présentes. La chose qui a changé, c'est que la majorité pauvre commence à comprendre que par la solidarité et l'acharnement populaire (le 5e pouvoir), elle peut prendre ce qui lui revient de droit dans ce que l'on appelle "la démocratie".
Lorsque Jean-Michel Leprince dit: «il est bien difficile de dire quel est le pourcentage d'appui au Président Zelaya, il fait un brin d'hypocrisie.
Il aurait été très facile de savoir quel est le pourcentage de la population qui appuie Zelaya, il aurait tout simplement fallu laisser se faire cette consultation populaire.
Le verdict aurait été clair.
Malgré tout, le verdict est tout aussi clair. Zelaya a une majorité en sa faveur. Si tel n'était pas le cas, on aurait laissé faire le référendum et le tour aurait été joué.
Qu'on ait renversé Zelaya avant que celui-ci ne puisse prendre le pouls de la population démontre clairement que la population du Honduras voyait d'un bon œil les réformes effectuées par leur Président.
C'est clair et limpide comme de l'eau de roche.
Il est facile de constater que la population est majoritairement pour Zelaya. Vous rendez vous compte, sans aucun appui médiatique, sans twitter, sans facebook, sans acharnement mondial médiatique supportant le mouvement de contestation, celui-ci est toujours très actif. Quelle démonstration d'appui à ce Président "déchu"!
Monsieur Leprince donne l'impression de minimiser ce mouvement de contestation. On pourrait croire que ce n'est qu'un groupuscule de gogauche qui se promène avec des banderoles du Che, en toute liberté et sans courir de grands risques.
Ce mouvement démontre clairement que la population hondurienne est derrière leur Président que l'on a «déchu» par les armes.
Il est triste de constater que nos médias (entre autres Radio Canada) qui ne dérougissaient pas en faveur du mouvement de contestation en Iran, ont si peu rapporté les faits ainsi que cette contestation quotidiennement de la population hondurienne dénonçant cette dictature. Le silence médiatique a permis à ces dictateurs de s'installer, de facto, confortablement au pouvoir.
La neutralité journalistique en Iran était moins "évidente".
Quand donc a-t-on été interviewer un représentant d'Ahmadinejad?
J'espère que Monsieur Leprince ne sera pas rapatrié trop tôt (on a laissé pendant au moins un mois des reporters à Téhéran). Sa couverture sur place est très importante. Il y a tout le pays à scruter, si la dictature le lui permet, bien entendu.
Monsieur Leprince devrait nous faire le portrait de ces six familles dont nous parle le Président Zelaya. Ce serait un reportage très instructif.
Les familles Ferrari, Canahuati, Facussé, Fernández, Irías, Nasser, Micheletti, Kafie…
Juste pour avoir une idée des richesses de ces familles, prenons un seul de ces individus:
Rafael Ferrari,
Il est propriétaire des chaines télé telles que
Grupo Televicentro,
Canal 5,
Telecadena,
Telesistema,
MegaTV,
Multivisión,
Multidata,
Multifon,
Televicentro Online.
Des radios telles que:
Emisoras Unidas,
HRN,
Radio Norte,
Suave FM,
Rock n' Pop,
Vox FM,
XY,
94 FM,
Radio Satélite,
Radio Caribe,
Radio Centro.
Des fast-food
Burger King
Little Caesar’s
Church’s Chicken
Popeyes
Dunkin’ Donuts
Baskin Robbins
Pollo Campero
Chilli’s
Des organisations touristiques:
Fondo Hondureño de Inversión Turística (Bahía de Tela)
En partie propriétaire avec Arturo Corrales
du groupe pétrolier Semeh
Propriétaire des équipes de soccer:
Olimpia
et en partie le «Selección de Honduras»
On pourrait faire la liste tout aussi impressionnante des entreprises appartenant à Jorge Canahuati Larach
Ou encore à Miguel Facussé Barjum
Tous des gens intéressants à visiter, sans oublier l'évêque Oscar Andrés Rodriguez. Un homme d'église clef dans ce Coup d'État.
Serge Charbonneau
Québec
[1] Lettre ouverte à Radio Canada
http://www.vigile.net/Lettre-ouverte-a-Radio-Canada
[2] http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia=http://www.radio-canada.ca/Medianet/2009/RDI2/TelejournalSurRDI21H200909152100_6.asx&epr=true


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 septembre 2009

    Radio-Canada a invité ses auditeurs et auditrices à lui faire parvenir des questions à poser à Mme Ingrid Bétancourt lors de son passage à Radio-Canada. J'ai envoyé cette question qui devrait d'une façon ou d'une autre lui être posée. À voir si elle le sera.
    "Madame, votre trajectoire de vie politique en Colombie, votre expérience humaine comme prisonnière des Forces Armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et votre libération, réalisée après plusieurs tentatives amorcées par divers intervenants, vous donnent une autorité particulière pour nous parler des voies à suivre pour résoudre les problèmes de la violence qui affectent tellement le peuple Colombien. Ma question porte sur les alternatives permettant de résoudre les problèmes de la confrontation FARC ET GOUVERNEMENT.

    Le Président Uribe croit que la solution au problème de la violence avec les FARC est de les éliminer militairement. À cette fin, 7 bases militaires en Colombie sont consenties aux forces armées des États-Unis qui pourront y déployer leurs forces militaires avec les armes qu'ils jugeront PERTINENTES. Cette entente, conclue entre la Colombie et les États-Unis, comme vous le savez, crée des problèmes de sécurité nationale pour les pays voisins. Par contre la Sénatrice Cordoba ainsi que plusieurs Présidents de l'Amérique du Sud, croient que le problème doit se solutionner par les voies politiques et des négociations RÉALISÉES de bonne foi entre les FARC et le gouvernement colombien.

    Pourriez-vous nous dire ce que vous EN pensez ?

    Je remercie Radio-Canada de permettre à Mme Bétancourt de dire ce qu'elle pense de l'installation des 7 bases militaires en territoire colombien pour contrer, entre autres, l'action militaire des FARC. Il sera également intéressant de l'entendre sur les mesures prises par le gouvernement colombien pour libérer les militaires dont les preuves de vie ont été données il y a une ou deux semaines et dont les FARC sont disposés à libérer.

    Merci

    Oscar Fortin

  • Serge Charbonneau Répondre

    17 septembre 2009

    Bien entendu l'Iran est une puissance bien plus importante que la république de banane qu'est le Honduras. Mais là n'est pas la question.
    Nos médias qui se mettent dans tous leurs états ne parlent pas de l'importance de la puissance, mais nous émeuvent face à l'absence de démocratie, face à la censure, face au mouvement populaire contre la dictature ou contre leur gouvernement.
    Peu importe la puissance, la démocratie est la démocratie et la dictature est la dictature. On nous a présenté le sang de Neda qui sortait de sa bouche, non pas parce que l'Iran est une plus grande puissance, mais parce que l'Iran est un gouvernement à dénigrer et à renverser.
    Tout le monde connaît Neda, mais personne ne connaît Isis Obed Murillo abattu par la dictature hondurienne ou encore Pedro Muñoz, ce jeune homme de 23 ans, père d'une fillette d'un an, mort après avoir été battu par la police de Micheletti.
    La justice humaine, la démocratie, la dictature, l'oppression n'ont rien à voir avec les considérations de puissance du pays. Lorsqu'on nous émeut, on ne nous parle jamais des enjeux géopolitiques. On nous parle de valeurs fondamentales. Alors, celles-ci ne sont pas moins importantes pour un pays qui n'est qu'une vulgaire (sic) république de banane que pour un pays qui a des réserves de pétroles et qui refuse l'impérialisme US.
    Il ne faut pas diminuer les valeurs humaines parce que le Honduras est moins important au niveau de puissance mondiale. Au niveau géopolitique, le Honduras est une base clef pour les ÉU en Amérique centrale, tout comme l'est la Colombie (sept bases US) pour l'Amérique du Sud.
    Monsieur Picard dit:
    «Sans aucun doute, si monsieur Leprince avait formulé VOS questions, il aurait eu l'ombudsman sur le dos. Pour de bonnes raisons, à mon avis.»
    J'aimerais, si les commentaires le permettent que Monsieur Picard élabore un peu mieux ce volet.
    Quel est donc le malaise face à mes suggestions de questions? Ces questions ne seraient-elles pas éclairantes pour mieux comprendre la situation?
    J'aimerais terminer en précisant que je ne cherche pas à entacher l'image de Radio Canada.
    D'ailleurs, j'ai toujours eu le plus grand respect pour cette institution pour laquelle j'ai œuvré pendant près de deux décennies. Lisez ma lettre ouverte à la SRC, vous verrez que je demande simplement qu'ils redeviennent ce qu'ils ont toujours été: des chefs de file dans l'information de qualité.
    Je ne cherche nullement à entacher la réputation et l'image de qui que ce soit. Je dénonce simplement qu'il aura fallu deux mois et demi avant que notre télé d'État ne réagisse et nous offre des reportages d'Amérique centrale.
    Je constate aussi cette réserve et cette neutralité face à la dictature hondurienne.
    Cette réserve et cette neutralité étaient totalement absentes lorsque l'on condamnait la dictature religieuse de l'Iran.
    Je constate que parfois on dénonce violemment avec des Neda à l'appui certains régimes et on ferme les yeux en gardant le silence pendant qu'une dictature s'installe et qu'une population lutte.
    Je ne veux pas altérer l'image de Radio Canada, je constate tout simplement et je dénonce ce fait flagrant.
    Serge Charbonneau
    Québec

  • Frédéric Picard Répondre

    17 septembre 2009

    Le Honduras n'a pas d'ambitions atomiques (pacifiques ou autres), ni n'a lancé de satellites. Le Honduras n'a pas déclaré qu'il voulait éradiquer un état de la surface de la terre. Le Honduras ne finance pas des rebellions dans la région. Le Honduras ne possède pas de grands champs pétroliers ou une armée à la fine pointe de la technologie russe.
    Voilà pourquoi on se soucie plus de l'Iran que du Honduras. Parce que l'Iran est une puissance régionale et que le Honduras n'est qu'une république de Bananes (sous la botte des USA ou de l'axe Cubano-Vénézuelien, selon l'ère du temps).
    Ce n'est pas une question de islamogauchiste c. droite comme vous semblez le sous-entendre, mais bien une question d'importance relative, sur l'échiquier géopolitique global.
    Il peut y avoir aussi une nécessité de protéger monsieur Leprince. Peut-être que le contexte Hondurien s'est suffisamment calmé pour que monsieur Leprince puisse revenir (et que les assureurs de Radio-Canada leur donne le feu vert). Peut-être qu'Alexandra Szaska est plus casse-cou que Michel Leprince. Les raisons sont multiples.
    Après-tout, il-y-a-t'il un journaliste de radio-canada au Darfour, ces temps-ci? Ou en Somalie?
    De là à tenter d'entacher l'image de Radio-Canada comme une télévision biaisée à droite, il y a un pas que je refuse de franchir. Un pas extrêmement teinté par VOS opinions personelles. Sans aucun doute, si monsieur Leprince avait formulé VOS questions, il aurait eu l'ombudsman sur le dos. Pour de bonnes raisons, à mon avis.