Depuis son dépôt par la chef du Parti québécois, le projet de loi sur l'identité québécoise (projet de loi n° 195) suscite des questions sur la conformité de certaines de ses dispositions avec le droit constitutionnel québécois et canadien. Dans l'état actuel du droit constitutionnel, l'obligation d'avoir une connaissance appropriée de la langue française pour détenir la citoyenneté québécoise et pour être ainsi éligible aux élections municipales, scolaires ou législatives respecte les chartes des droits et libertés du Québec et du Canada. Nous sommes d'avis que l'exigence linguistique contenue dans le projet de loi sur l'identité québécoise est «raisonnablement nécessaire» dans une société libre et démocratique.
La Charte québécoise
La Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit à son article 22 que «[t]oute personne légalement habilitée et qualifiée a droit de se porter candidat lors d'une élection». Il n'y a pas, selon nous, de violation de cet article. En effet, l'exigence de la citoyenneté québécoise s'ajoute aux conditions devant être remplies pour se porter candidat. Pour «être légalement habilitée et qualifiée», une personne devra dorénavant détenir la citoyenneté québécoise et avoir dès lors une connaissance appropriée de la langue française.
La Charte canadienne
L'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit quant à lui que «[t]out citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales». Il y a lieu de remarquer d'abord qu'on ne pourrait pas fonder sur cet article un argument selon lequel les conditions relatives à la citoyenneté québécoise et à la connaissance appropriée de la langue française seraient inconstitutionnelles dans leur application aux élections municipales et scolaires. Seule l'application de telles conditions aux élections «provinciales» et aux personnes cherchant à devenir députés à l'Assemblée nationale du Québec est susceptible d'être litigieuse en regard de l'article 3 de la Charte canadienne.
Dans l'affaire Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, la Cour suprême a défini la portée de l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés en rappelant que cet article a «pour objet de protéger le droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral». La cour a également précisé que lorsqu'une «disposition contestée touche aux conditions dans lesquelles le citoyen exerce ce droit», «il peut être nécessaire de retenir un large éventail de facteurs, dont la géographie sociale ou physique, pour décider si la disposition litigieuse porte atteinte au droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral». Elle a aussi affirmé que «[t]out avantage correspondant lié à d'autres valeurs démocratiques que le droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral doit être pris en compte dans l'analyse fondée sur l'article premier».
Toute la question est donc de savoir si l'obligation de détenir la citoyenneté québécoise et d'avoir une connaissance appropriée de la langue française pour devenir député de l'Assemblée nationale respecte les exigences de l'article premier de la Charte canadienne. Cet article exige que la restriction d'un droit (dans ce cas-ci, le droit de tout citoyen canadien d'être élu député de l'Assemblée nationale) soit le fait d'une règle de droit raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique. Dans l'affaire Figueroa, la Cour suprême a statué que cet article commande, dans le cas de lois portant sur les conditions régissant la participation des citoyens à un scrutin en tant que candidats, une analyse exigeant «la mise en balance de valeurs opposées».
Ainsi, c'est autour de valeurs que devra graviter l'analyse de raisonnabilité en vertu de l'article premier. La valeur de toute évidence en jeu dans ce débat est celle relative à la prédominance de la langue française au Québec et la valeur plus précise poursuivie voulant que puisse être assurée une communication linguistique directe entre l'élu et l'électorat. Ces valeurs peuvent être invoquées pour démontrer que la disposition exigeant une connaissance appropriée de la langue française pour se porter candidat à une élection législative au Québec vise un objectif légitime et important. C'est d'autant plus raisonnable et justifié que la personne candidate à une telle élection cherche à obtenir un mandat représentatif de la nation québécoise dans son ensemble et que celle-ci a fait de la langue française sa langue officielle et s'est vu reconnaître le droit d'en assurer la prédominance.
Il nous apparaît difficile dans ce contexte de soutenir que la connaissance appropriée de la langue française ne pourrait pas être reconnue comme une mesure liée de manière proportionnée aux deux objectifs poursuivis par la mesure proposée.
Comme elle l'a fait dans d'autres affaires, la Cour suprême pourrait du reste faire appel aux règles régissant la question du droit de se porter candidat dans d'autres pays et nations du monde. Celle-ci constaterait que la très grande majorité des pays font de la connaissance de la langue un critère d'attribution de la citoyenneté et du droit de se porter candidat à une élection. Les juges seraient d'ailleurs invités à constater que pour être citoyen canadien et avoir le droit de se porter candidat à une élection fédérale, il faut démontrer une connaissance d'une des langues officielles du Canada.
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Le débat sur la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi sur l'identité québécoise relatives à la citoyenneté soulève à nouveau la question des mesures que le Québec peut prendre pour consolider la position du français comme langue officielle du Québec et assurer une prédominance de celle-ci dans l'espace public québécois. Comme l'a rappelé la Cour suprême du Canada elle-même dans l'affaire Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, «le langage constitue le pont entre l'isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu'ils ont les uns envers les autres et, ainsi, de vivre en société». Dans cette perspective, faire de la connaissance appropriée de la langue française une condition d'acquisition d'une nouvelle citoyenneté québécoise et d'éligibilité à la fonction de député de l'Assemblée nationale du Québec nous paraît tout à fait raisonnable.
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Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp, Professeurs à l'Université de Montréal
Eugénie Brouillet, Henri Brun et Patrick Taillon, Professeurs à l'Université Laval
- Source
Le projet de loi sur l'identité québécoise
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