L'ALENA pourrait disparaître en six mois

4245428ee69ad869cb03c2662822b1bb

Le Québec se retrouve dans l'incertitude et ce n'est même pas parce qu'il a choisi l'indépendance

Six mois. C'est tout le temps qu'il faudrait aux États-Unis pour se retirer de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) si le président désigné Donald Trump applique la version la plus radicale de sa promesse électorale. Entre ce retour à un protectionnisme extrême et le statu quo, plusieurs autres scénarios sont envisagés. Comme une renégociation du traité, évoquée jeudi par le Canada et le Mexique. Tour d'horizon des possibilités.

LE CAS EXTRÊME

Donald Trump l'a répété tout au long de l'interminable campagne électorale : l'Accord de libre-échange nord-américain est « catastrophique » pour les États-Unis. « L'ALENA aura été le pire accord commercial de toute l'histoire de ce pays », a-t-il lancé lors d'un rassemblement en juin dernier, les poings brandis vers le ciel.

Le président désigné a martelé son intention de renégocier, voire de répudier l'entente commerciale qui unit le Canada, les États-Unis et le Mexique depuis 1994. Que son discours relève de la rhétorique ou d'une réelle menace, Donald Trump disposera de plusieurs outils pour revoir l'ALENA après son entrée officielle en poste, le 20 janvier prochain.

Dans la version la plus extrême du scénario, l'ex-vedette de téléréalité pourrait invoquer l'article 2205 du texte de l'ALENA. Cette clause permet à chacun des trois pays membres de se retirer de l'accord six mois après avoir transmis un avis écrit aux autres parties. « C'est aussi simple que ça », résume Hervé Prince, professeur agrégé et directeur de l'Observatoire de l'intégration économique à l'Université de Montréal.

Si cette possibilité de retrait apparaît sans équivoque dans le texte de l'ALENA - elle tient dans un bref paragraphe de deux phrases -, sa mise en application soulève plusieurs questions. Donald Trump pourrait-il faire cavalier seul, ou devrait-il plutôt avoir l'assentiment du Congrès ?

« Il y a un flou juridique à savoir si le président peut de lui-même mettre fin à cette entente internationale », indique Bernard Colas, avocat spécialisé en droit du commerce international au cabinet CMKZ à Montréal.

Alors que certains experts estiment que Donald Trump devrait obtenir un vote majoritaire du Congrès pour activer l'article 2205, Me Colas souligne que rien n'est moins sûr. « La Constitution est claire sur l'adhésion à un traité, mais elle ne semble pas claire quant à la sortie d'un traité. »

Si jamais Donald Trump y allait d'une décision unilatérale, sans l'aval du Congrès, les sénateurs mécontents pourraient toujours se tourner vers les tribunaux pour tenter de le contrecarrer. À l'heure actuelle, toutefois, bien peu d'analystes croient que le milliardaire déchirera bel et bien l'ALENA. Mais rappelons que l'imprévisibilité a été au coeur de cette campagne électorale.

« Si Trump tient ses engagements, c'est une véritable révolution qui est à prévoir », tranche le professeur Hervé Prince.

RETOUR À L'ALE

Tout ne sera pas perdu pour le Canada si le gouvernement Trump décide de déchirer l'ALENA. L'entente précédente ratifiée entre le Canada et les États-Unis en 1988 - l'Accord de libre-échange canado-américain, ou ALE - reprendrait alors du service.

« Cet accord existe toujours, il est seulement en veilleuse en raison de l'ALENA, explique Patrick Leblond, professeur agrégé à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa. Si l'ALENA disparaît, l'ALE reprend vie de façon presque automatique. »

Ce scénario pourrait régler une partie du problème politique de Donald Trump, croit l'expert. En effet, le flamboyant homme d'affaires a beaucoup plus souvent visé le Mexique - et ses usines à faibles coûts - que le Canada lors de ses tirades contre le libre-échange.

« Est-ce que ça ferait l'affaire de M. Trump [de revenir à l'ALE] ? demande Patrick Leblond. Est-ce qu'il vise plus le Mexique que le Canada ? C'est fort possible, vu la teneur de son discours. »

Un retour à l'ALE maintiendrait une bonne partie des avantages pour les exportateurs canadiens. Ceux-ci ont expédié 291 milliards de dollars en biens et services aux États-Unis pendant les neuf premiers mois de 2016, ce qui représente les trois quarts du commerce extérieur du Canada.

« On retrouverait les droits de douane à zéro, mais la grande différence, c'est qu'on n'aurait plus le chapitre 11 sur l'arbitrage entre investisseurs et État-hôte, explique l'avocat Bernard Colas. C'était le grand chapitre qui a été ajouté avec l'ALENA. Mais l'essentiel du reste serait maintenu. »

Et qu'adviendrait-il si jamais l'administration Trump décidait de mettre aussi la hache dans l'ALE ? Toutes les barrières tarifaires et non tarifaires seraient alors rétablies entre le Canada et les États-Unis, en vertu des normes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les tarifs douaniers tourneraient « en moyenne » autour de 3 à 4 %, avance Bernard Colas, avec une série d'exceptions.

« Pour le Québec, ce sera majeur, puisque les États-Unis sont notre principal partenaire commercial, signale le professeur Hervé Prince. On va être traités de la même façon que les Français ou les Chinois ou n'importe quel autre pays. On perd un avantage majeur. »

BATAILLES EN SÉRIE

Daniel Trefler, professeur à l'École de gestion Rotman de l'Université de Toronto, est catégorique : Donald Trump ne se retirera pas de l'ALENA. Le scénario qu'il envisage est toutefois bien loin du statu quo.

L'expert en commerce international croit plutôt que le nouveau président mettra de l'avant davantage de mesures comme le « Buy American Act », qui préconise l'achat de marchandises fabriquées aux États-Unis pour les contrats publics. Ces restrictions permettraient à Washington d'effectuer une forme de protectionnisme sans contrevenir aux règles de l'ALENA ou de l'OMC.

« Nos exportations de biens sont déjà quelque peu touchées par ces mesures et elles en souffriraient encore plus, malheureusement, explique M. Trefler. On peut penser à l'ALENA non pas comme [un traité] garantissant le libre-échange, mais plutôt comme un cadre qui permet de faire disparaître la plupart des disputes, en laissant les plus importantes aux politiciens. »

Le professeur donne l'exemple de la bataille canado-américaine sur le bois d'oeuvre, qui n'a jamais été « et ne sera jamais » résolue.

Jean François Mayer, professeur agrégé au département de sciences politiques de l'Université Concordia, évoque quant à lui la possibilité d'une « guerre commerciale » qui découlerait d'un retrait américain de l'ALENA ou de trop grands changements imposés au traité par les États-Unis.

« Les Canadiens et les Mexicains adopteraient ce qu'on appelle des mesures de représailles, avec des taxes et tarifs qui seraient appliqués sur la production américaine destinée à être vendue au Mexique ou Canada. »

- Jean François Mayer, professeur agrégé au département de sciences politiques de l'Université Concordia

Jean François Mayer estime que les États-Unis « ne sortiraient pas gagnants » d'une telle guerre commerciale. « Il y a trop de grandes entreprises américaines implantées au Mexique qui dépendent trop de la fabrication de pièces et composantes faites au Mexique et qui se retrouveraient dans une situation très délicate. »

Le puissant lobby automobile pourrait justement peser lourd dans la prise de décision du futur président quant au libre-échange. La résistance au changement risque d'être forte, souligne Patrick Leblond, de l'Université d'Ottawa. Il rappelle que les constructeurs américains, asiatiques et européens, qui ont bâti des usines à coups de milliards aux États-Unis, bénéficient grandement de l'ALENA en achetant leurs pièces au Canada et au Mexique.

Trump pourrait par ailleurs affronter un barrage d'opposition politique s'il va trop loin avec ses mesures protectionnistes, souligne M. Leblond. Et cela, même dans les États qui ont majoritairement voté rouge cette semaine. Plusieurs sénateurs républicains des États limitrophes au Canada et au Mexique restent d'ardents défenseurs du libre-échange.

ROUVRIR L'ALENA

L'un des scénarios les plus probables, selon plusieurs experts, est une renégociation en bonne et due forme de l'ALENA, plutôt que sa mise au rancart. Moins de 48 heures après l'élection de Donald Trump, tant le Canada que le Mexique se sont dits ouverts à entamer des discussions à cet égard.

« Si les Américains veulent parler de l'ALENA ou de n'importe quel autre accord commercial, [le Canada] est toujours ouvert pour en discuter avec eux », a indiqué jeudi le premier ministre Justin Trudeau.

Mercredi, la ministre des Affaires étrangères du Mexique, Claudia Ruiz Massieu, a déclaré sur CNN que l'élection de Donald Trump « est l'occasion de réfléchir si nous devons moderniser » le traité « de manière qu'il soit encore plus avantageux pour les trois pays signataires ». Le Mexique se dit prêt à « moderniser » l'ALENA, mais pas à le « renégocier », a ajouté la ministre.

Il faut dire qu'une renégociation formelle de l'ALENA s'avérera beaucoup plus longue et ennuyeuse qu'un retrait pur et simple de l'accord par les États-Unis, observe le professeur Hervé Prince, de l'Université de Montréal. S'ensuivra une fastidieuse partie de demandes et concessions, qui risque de pénaliser les deux plus petits acteurs du trio nord-américain.

« Dans le contexte actuel, alors que le protectionnisme est en train de monter, je ne pense pas que ni le Mexique ni le Canada n'ont intérêt à rouvrir l'ALENA. »

- Hervé Prince, professeur agrégé et directeur de l'Observatoire de l'intégration économique à l'Université de Montréal

Pierre Marc Johnson, qui a agi à titre de négociateur en chef pour le Québec dans le cadre des négociations de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, estime lui aussi qu'une renégociation de l'ALENA pourrait soulever une série d'enjeux pour les pays membres. L'issue d'un tel exercice, « essentiellement politique », est impossible à anticiper.

> Lire la suite de l'article sur La Presse


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé