Conflit étudiant

L’art de gouverner, et celui de la résistance

Crise sociale - JJC le gouvernement par le chaos


Les sciences sociales ont mauvaise presse ces temps-ci. Trop souvent, on n’y voit que le terreau de futurs chômeurs instruits et utopistes, oubliant qu’elles offrent une lecture particulièrement pertinente du conflit étudiant, de ses acteurs et de leurs actions.
S’ils s’étaient le moindrement attardés aux écrits sur l’art de gouverner, les membres de l’actuel gouvernement du Québec y auraient trouvé des méthodes leur ayant permis d’arriver à leurs fins dans le calme, sans que le conflit étudiant risque de perturber la saison des festivals qu’ils chérissent tant. Les étudiants grévistes ont mieux fait leurs devoirs, préconisant des stratégies de résistance diversifiées dont l’efficacité a été maintes fois démontrée.
L’art de gouverner, notamment défini par le philosophe et historien français Michel Foucault, consiste, en quelques lignes, en la capacité pour un dirigeant à maintenir l’ordre en amenant ses commettants à adopter les réactions qui servent son pouvoir. Un dirigeant compétent manipule l’opinion de ses sujets de façon à ce que ceux-ci n’aient aucune raison de perturber ni le statu quo ni l’économie qui en dépend, assurant ainsi l’une des principales assises de son pouvoir.
En d’autres mots, l’art de gouverner impose à un dirigeant de maintenir de manière douce l’ordre public qui lui profite : une main de fer dans un gant de velours en quelque sorte. Lorsque cet art est maîtrisé, les commettants collaborent de leur propre gré, ignorent le dessein ultime de leurs dirigeants et n’envisagent pas de le remettre en cause.
Le gouvernement Charest dit faire de l’économie et du maintien de l’ordre ses principales priorités. Par ailleurs, ses décisions échouent systématiquement à susciter les réactions qui assureront l’atteinte de ces objectifs. L’exemple le plus probant est évidemment celui de l’adoption d’une loi matraque visant à calmer les ardeurs manifestantes, et qui a mené au résultat opposé. De ce fait, soit le premier ministre démontre carrément son incompétence à gouverner, soit il est entièrement guidé par un tout autre dessein qu’il nous cache, lequel serait forcément d’assurer sa réélection.
Mécontentement
Selon ce second scénario, le gouvernement dérangerait volontairement l’ordre public et l’économie et, les élections venues, réclamerait un mandat clair pour assurer le retour à la normale. Le premier ministre se dit outré qu’on lui attribue une telle stratégie qu’il qualifie d’« ignoble » et de « grotesque ». C’est qu’il doit à tout prix se dissocier d’une telle « ignominie », qui ne pourrait qu’élargir le spectre du mécontentement à l’égard du gouvernement à des constituantes qui lui sont traditionnellement favorables.
L’agacement du Barreau, du maire de Montréal et du Conseil du patronat, pour ne nommer que ceux-là, ne sont-ils pas déjà palpables ? De deux choses l’une : soit le premier ministre priorise l’économie et l’ordre et il est réellement inapte à gouverner, soit il fait passer sa réélection avant tout le reste, d’une façon qu’il qualifie lui-même de machiavélique.

L’art de la résistance
Quant à l’art de la résistance, il se décline en plusieurs stratégies, notamment documentées par le politologue et anthropologue James Scott (Université Yale). La résistance la plus visible, et la plus risquée pour ceux qui la pratiquent, est la résistance dite ouverte, celle qui confronte.
Dans le cadre du conflit étudiant, cette résistance s’est d’abord exprimée par les manifestations, la casse et le refus d’obtempérer aux forces de l’ordre, par exemple lors de leurs tentatives futiles de rouvrir les collèges sous injonction. Puis, cette résistance ouverte est devenue celle d’un contingent beaucoup plus large qui refuse, casseroles à l’appui, de se plier aux dispositions de la loi matraque.
Parallèlement à cette résistance existe une résistance furtive, dont l’efficacité contre les pouvoirs hégémoniques a été maintes fois démontrée dans les anciens domaines coloniaux et pays du Bloc de l’Est. Cette résistance englobe diverses stratégies pratiquées sous le couvert de la nuit, de l’isolement ou de l’anonymat.
Pensez à l’ouvrier qui met un grain de sable dans l’engrenage d’une machine lorsque le patron a le dos tourné, à des dissidents politiques qui écrivent des messages anonymes sur des billets de banque, ou à des ouvriers agricoles qui saccagent discrètement les récoltes de leur employeur.
Peu de moyens d’action
Apparemment moins utilisée au début du conflit étudiant, cette forme de résistance l’est de plus en plus, notamment par la mise en ligne de vidéos compromettantes pour les forces de l’ordre et les dirigeants politiques, de même que par les agissements d’un groupe de pirates informatiques imprévisible, anonyme et impalpable.
Contre cette nouvelle forme de résistance qui déborde vraisemblablement ses frontières, le gouvernement dispose somme toute de très peu de moyens d’action : aucune loi spéciale ne permettra de débusquer un hacker étranger qui diffuse les informations bancaires des individus et corporations se payant des loges ostentatoires au Grand Prix de Montréal.
Ceux qui comme moi souhaitent que le conflit se règle selon les termes proposés par les associations étudiantes peuvent uniquement se réjouir de constater cette diversification des formes de résistance auxquelles la société civile a de plus en plus recours.
En effet, l’histoire a démontré que de telles stratégies, lorsque menées par des forces sociales qui ne se démobilisent pas, peuvent venir à bout des gouvernements les plus tyranniques, corrompus, usés et pourris. Nous avons la chance de vivre dans un système où la solution ultime à des conflits sociaux tels que celui que nous vivons passe par les urnes.
Cela ne saurait tarder. Une fois le moment venu, les résistants devront, pour se battre à armes égales avec leurs opposants, retourner à leurs livres. En plus de celui de la résistance, ils devront s’intéresser à un autre art documenté il y a plus de 2000 ans par Sun Tzu, et avec lequel le premier ministre s’enorgueillit de connaître : l’art de la guerre.
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Jean-François Rousseau — Candidat au doctorat en géographie à l’Université McGill


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