LE SOLEIL - POINT DE VUE

La citoyenneté Beauchemin-Marois : pas pour moi!

Chronique de Claude Bariteau






Conseiller de Pauline Marois, Jacques Beauchemin comprend difficilement que les règles de droit aient préséance sur l'affirmation de l'identité québécoise. Cherchant une explication, il présume que la «fascination qu'exercent les chartes» est devenue un blocage à «l'interprétation d'une citoyenneté québécoise qui verrait en elle la manifestation à la fois légitime et modérée de la nation québécoise» (La Presse, 3-11-07).
Je ne m'attendais pas à une explication aussi simpliste de sa part. Encore moins qu'il soutienne que la nation québécoise francophone, qui est définie en relation avec un groupe culturellement identifié dans le projet de loi 196, puisse poser des exigences «à l'acquisition de la citoyenneté» comme le font des pays démocratiques, qui sont des États de droit indépendants et souverains.
C'est gros comme affirmation. Il faudrait qu'il dise depuis quand sa nation est dotée d'un statut équivalent à celui des pays démocratiques. Au Québec, depuis bientôt 250 ans, tout le monde sait qu'il n'y a jamais eu de nation de langue française détentrice des pouvoirs d'un pays et que le type d'État qu'est la province de Québec n'a eu de pouvoirs que ceux que lui ont octroyés la Grande-Bretagne et le Canada non pas à cause de la «fascination des chartes» mais des rapports politiques alors en vigueur.
Négligeant ces rapports, Beauchemin imagine une nation non minorisée à l'intérieur du Canada. Or, s'il a beau avancé qu'elle affirme «son existence de manière décomplexée» avec les projets de loi 195 et 196 du PQ, il n'en demeure pas moins que cette affirmation, parce qu'elle s'exprime au sein des rapports de pouvoir au Canada, s'inscrit dans la logique des nations minorisées. Alors, la citoyenneté, que Beauchemin dit qu'elle témoigne de «l'appartenance à une langue, à une culture et à une histoire», ne peut avoir que deux statuts.
Statut symbolique et pays imaginaire
Au sein de la province de Québec, ce statut, qui serait surtout symbolique selon Beauchemin, exclura des résidants qui n'ont pas une connaissance appropriée du français et du Québec. Il en découlera que la citoyenneté promue sera sujette à caution par le Canada, ce que reconnaissent les constitutionalistes.
Dans un Québec indépendant, qui implique son extraction du Canada, ce statut s'inscrira dans l'univers des droits habituellement reconnus lors d'une sécession. Dans ce cas, devraient pouvoir accéder à la citoyenneté québécoise tous les résidants du Québec qui détiennent la citoyenneté canadienne, ce qui exclut une discrimination basée sur des critères culturels. Or, ce n'est pas ce qu'annonce le projet de loi pour certains résidants.
Mais il y a plus. Lorsque des minorités nationales, enclavées dans des institutions qui circonscrivent leur pouvoir, veulent y encadrer les pratiques citoyennes, leur façon de faire s'apparente à ce que Beauchemin, réfractaire à l'extraction, a suggéré et qui se retrouve dans les projets de loi.
Dans ces cas, lorsque le dominant crée un pays, s'affirme nation et définit ses citoyens, les chefs des nations minorisées ont tendance à faire de même au sein des institutions à leur portée. Ils créent un pays imaginaire et inventent une nation et une citoyenneté en référence à une nation préexistante qu'ils mythifient, mythifiant même les personnes qui agissent ainsi.
Clarifier l'objectif poursuivi
Au Québec, des comportements analogues ont conduit des chefs nationalistes à voir l'Acte de Québec comme une bonne chose alors qu'il contraignait l'expression démocratique. Plus tard, après les affrontements de 1837-1838, les membres du haut clergé, s'inspirant de ces comportements, ont fait des chefs patriotes des renégats pour mieux s'afficher les sauveurs d'une nation qu'ils définirent. Peu après, ils ont présenté cette nation comme partie à un pacte créant le Canada alors que les membres de leur nation ne se sont jamais prononcés.
Dans son livre, «L'histoire en trop», Beauchemin utilise un procédé identique. Il accuse de délit de mauvaise conscience ceux qui ont signalé la nécessité d'inverser l'ordre établi en faisant la promotion, comme le firent les chefs patriotes, d'une culture publique commune plutôt que d'une nation mythifiée.
Voilà qui révèle les dessous et les desseins de ce projet de loi. La chef du PQ doit clarifier l'objectif qu'elle poursuit. Le projet de loi 196 affirme que «le Québec est une nation francophone». Cette affirmation inclut-elle tous les Québécois et toutes les Québécoises ou seulement ceux et celles qui ne sont pas associés aux Premières nations et aux Inuit, à la communauté anglophone et aux Québécois et Québécoises de toute origine ?
Le contenu des projets et les précisions de Jacques Beauchemin laissent clairement entendre que la nation québécoise comprend uniquement les citoyens témoignant «de leur appartenance à une langue, une culture et une histoire». Dès lors, les citoyens d'une autre langue, d'une autre culture et d'une histoire différente, même s'ils partagent la culture publique commune qui s'est développée au Québec, n'en feraient pas partie. Il y aurait des citoyens nationaux, soit les membres de la nation, des citoyens québécois et des citoyens en attente.
Or, c'est précisément cette idée de culture publique commune que préconisent les gens de mauvaise conscience comme base à la constitution d'une nation québécoise de type politique plutôt que de type culturel. Étant l'un d'eux, on comprendra que je ne monterai jamais à bord de véhicules dont le moteur est mythifié, les passagers catégorisés et le carburant culturellement filtré.
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Claude Bariteau
Anthropologue
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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