Cela se passait il y a deux ans exactement, lors du premier Forum international de la langue française au Palais des congrès à Québec. L’ancienne gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, avait choisi cette occasion pour lancer sa candidature à la succession du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Abdou Diouf. Bien sûr, la chose n’était pas dite, mais l’intention de notre vice-reine ne trompait personne. Son caractère prématuré en avait d’ailleurs choqué quelques-uns.
Michaëlle Jean avait prononcé un discours plutôt vague reprenant largement la langue de bois en vigueur dans la Francophonie. Et Dieu sait si elle peut être lourde parfois. Mais — était-ce pour séduire la France ? — notre ancienne gouverneure générale s’était étrangement lancée dans une apologie de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, devise de la République française.
Lorsque je la rattrapai dans l’escalier roulant qui conduisait vers la sortie, je ne pus m’empêcher de lui demander si elle était devenue républicaine. « Mais je l’ai toujours été ! », a répondu Michaëlle Jean avec un aplomb sans pareil. Cette anecdote est une parfaite illustration du caméléon qu’est la candidate canadienne à la direction de l’OIF. Ses amis souverainistes la croyaient des leurs et voilà qu’elle devient gouverneure générale du Canada. À ceux qui lui demandèrent alors si elle avait été un jour indépendantiste, elle répondit avec le même aplomb qu’elle avait toujours cru au Canada. Michaëlle Jean a servi avec application la reine Élisabeth II pendant cinq ans — loin de nous l’idée de le lui reprocher. Mais ne vous y trompez pas, pendant tout ce temps elle était républicaine. Elle admirait même une république qui a coupé la tête à son roi et dont elle a d’ailleurs renié la citoyenneté pour devenir gouverneure. Allez donc y comprendre quelque chose !
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Il ne s’agit pas de reprocher à Michaëlle Jean ses virages à 180 degrés. D’autres en ont fait de pires. Mais, alors qu’elle est en campagne pour succéder à l’actuel secrétaire général Abdou Diouf, peut-être n’est-il pas inutile de mieux comprendre le personnage et les responsabilités qu’il a occupées. Lorsqu’elle fait des tournées en Afrique, Michaëlle Jean passe pour un ancien chef d’État. Ce qu’elle a été en théorie. Mais les étrangers peuvent difficilement se représenter ce qu’est en réalité un gouverneur général puisque cette vieille fonction coloniale est à peu près inexistante ailleurs dans le monde. Ni président élu ni monarque national, le gouverneur est le représentant d’une monarchie étrangère, ce que le politologue Marc Chevrier appelle une « monarchie par procuration, obtenue sous franchise ». Un peu comme si l’Algérie et le Sénégal indépendants avaient conservé comme chef d’État un représentant de l’ancienne métropole.
En pratique, au Canada, le gouverneur général est devenu une sorte de VRP au contrat d’une durée déterminée dont les moindres faits et gestes sont décidés dans le bureau du premier ministre. Voilà pourquoi les proches de Michaëlle Jean seraient bien embêtés de nommer une seule de ses réalisations. Madame Jean n’a jamais parrainé un seul projet de loi, n’a pas fait appliquer une seule directive, on ne lui doit pas une seule nomination à un poste important et elle n’a jamais été élue nulle part. Même dans l’ombre, elle n’a jamais influencé aucun ministre ni conclu une seule négociation importante. Son influence sur la politique canadienne approche du zéro absolu.
On veut bien croire que l’OIF ne retrouvera pas de sitôt un secrétaire général de la stature d’Abdou Diouf, l’ancien collaborateur de Léopold Sedar Senghor, qui a permis l’alternance démocratique au Sénégal. Mais l’OIF n’est pas qu’une simple vitrine. Songeons un peu qu’un secrétaire général doit pouvoir, en cas de conflit, décrocher le téléphone et se faire entendre des chefs d’État de la planète, notamment africains. Il doit avoir ses entrées partout. Son nom doit inspirer le respect. Même le Commonwealth n’a jamais eu pour secrétaire général un personnage qui n’a jamais été ministre ou diplomate de haut rang.
Comment imaginer de plus qu’une organisation composée de 30 pays africains et d’une majorité de pays du Sud fiers de leur indépendance se donne comme secrétaire général un personnage dont la seule fonction importante a consisté à perpétuer un symbole colonial ?
En élisant la candidate de Stephen Harper, il serait aussi fâcheux de récompenser ainsi le gouvernement canadien le moins francophile depuis près d’un demi-siècle. La nomination de juges unilingues anglophones à la Cour suprême l’illustre amplement. Comme si ce n’était pas suffisant, ce gouvernement, qui est par ailleurs devenu le premier soutien inconditionnel d’Israël, se désengage de l’Afrique francophone alors que c’est là que se joue aujourd’hui l’avenir de la Francophonie.
Si Michaëlle Jean est élue secrétaire générale de l’OIF, le message adressé au reste du monde sera clair : les pays du Sud n’ont pas de leader de qualité et l’OIF n’est qu’une simple affaire de communication. La Francophonie mérite beaucoup mieux. Il est encore temps d’agir.
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