Il y avait 25 ans hier, la reine Élisabeth II, Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien apposaient leur signature au bas de la nouvelle Constitution canadienne et de sa charte. Un geste fait malgré l'opposition de l'Assemblée nationale mais avec l'appui de la majorité des députés fédéraux du Québec. Pendant des années, chaque camp a justifié sa position en invoquant le caractère légitime du vote tenu dans son assemblée législative respective.
Cette double légitimité a longtemps fait rager les souverainistes. Éviter une reprise de ce scénario fut même un des principaux arguments derrière le premier projet de parti souverainiste à Ottawa. Le Parti nationaliste, mis sur pied par Marcel Léger à temps pour les élections de 1984, a tenté l'expérience sans succès, le «beau risque» de Brian Mulroney ayant la cote, mais la mort de l'accord du Lac-Meech en 1990 allait remobiliser les troupes et finir de convaincre la majorité des sceptiques.
Cet aspect de la raison d'être du Bloc québécois est souvent oublié par ceux qui prédisent sa disparition, mais pour les militants de la première heure, elle demeure centrale. D'ailleurs, trois des 54 premiers députés du Bloc avaient tenté de se faire élire sous la bannière nationaliste en 1984. Empêcher tout nouveau conflit de légitimité représente le socle sur lequel sont ancrés les autres volets plus connus de la mission du Bloc, à savoir la défense des intérêts du Québec et la promotion de la souveraineté.
La piètre performance du Parti québécois lors des dernières élections provinciales ne remet pas en question cette idée de double légitimité à briser mais elle en diminue l'importance ou du moins l'acuité. Pour qu'il y ait double légitimité, il faut que les représentants québécois siégeant dans les deux assemblées votent en sens contraire. Tant que les libéraux fédéraux niaient l'existence du déséquilibre fiscal, par exemple, c'était le Bloc qui répercutait à Ottawa le point de vue du Québec sur cet enjeu.
Par contre, avec des gouvernements minoritaires à Québec et à Ottawa et la relative bonne entente qui prévaut entre les conservateurs de Stephen Harper et les libéraux de Jean Charest, le risque qu'un affrontement se produise sur un enjeu fondamental pour les souverainistes s'en trouve atténué. À moins que le PQ ne tente de se donner des munitions en forçant l'ADQ à bouger sur la question de l'autonomie ou un projet de constitution québécoise. On n'en est pas encore là cependant.
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Le résultat des élections québécoises, ajouté à celui des dernières élections fédérales, ébranle aussi la prétention du Bloc d'être le seul à pouvoir vraiment parler pour le Québec à Ottawa. Les bloquistes ont toujours appuyé cette prétention sur le fait qu'ils n'ont pas à faire les compromis propres aux partis pancanadiens. La présence de députés conservateurs et libéraux du Québec à Ottawa et l'arrivée en force de l'ADQ à l'Assemblée nationale diversifient les voix et les points de vue. La palette des consensus à défendre pourrait donc rétrécir, ce qui forcerait le Bloc à se rabattre sur des dossiers évidents (déséquilibre fiscal, pouvoir de dépenser, contrats fédéraux) ou sur ceux qui relèvent exclusivement d'Ottawa.
Le vote du 26 mars a causé une onde de choc dans le mouvement souverainiste et le Bloc n'y échappe pas, mais, contrairement au Parti québécois, il n'a pas, comme parti, à revoir de fond en comble son programme ou sa stratégie. Ce n'est pas lui qui peut enclencher un référendum et, comme il ne formera jamais le gouvernement, ce n'est pas son programme mais son orientation générale que les gens retiennent.
Ces deux caractéristiques jouent généralement en sa faveur. Parce que le Bloc ne peut faire seul la souveraineté, des fédéralistes plus nationalistes ont souvent voté pour lui pour protester contre les autres partis ou pour assurer une voix progressiste québécoise à Ottawa. Et il y a ces «souverainistes par défaut», ces Québécois qui préféraient une réforme constitutionnelle mais qui optent pour la souveraineté quand on ne leur offre que le statu quo. Les dernières élections fédérales ont cependant montré la fragilité de ces appuis. Il a suffi que le chef conservateur Stephen Harper promette un fédéralisme d'ouverture pour que bien des Québécois votent pour lui.
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Au bout du compte, la vraie base du Bloc reste les souverainistes qui n'ont aucune autre option sur la scène fédérale et qui tiennent à voter. Cela explique peut-être que le Bloc n'ait jamais récolté moins de 37,9 % des voix. C'était en 1997, au lendemain de la défaite du référendum de 1995. En 2000, le Bloc obtenait plus de votes (39,9 %), mais moins que les libéraux (44,2 %). Il arrachait plus de sièges cependant (38). Aux élections de 2004 et de 2006, le soutien au Bloc a bondi, mais on nageait aussi en plein scandale des commandites. Ce fonds de commerce n'existe plus vraiment et on peut s'attendre à ce que le BQ revienne à sa position de la fin des années 1990. Les sondages laissent même croire qu'il pourrait faire pis.
L'échiquier a changé. [Louis Bernard disait dans nos pages hier que le tripartisme privait le PQ de sa position de solution de rechange automatique->6056]. Une situation similaire prévaut à Ottawa depuis l'an dernier. Le Bloc n'est plus seul face aux libéraux fédéraux. Mais il a un avantage sur le PQ. Il n'a pas à vendre un plan gouvernemental et reste le seul parti souverainiste à Ottawa, ce qui lui assure une base relativement solide. Son orientation progressiste a peut-être raison de la patience de certains députés, mais ça n'arrête pas les souverainistes convaincus, même conservateurs, de voter pour lui. Pour eux, c'est ça ou rester à la maison. La domination du Bloc au Québec est de toute évidence en péril, mais de là à le rayer de la carte et à mesurer l'effet de son absence sur la performance des autres partis, comme l'a fait SES Research en début de semaine, il y a une marge. Qu'on doute ou non de la pertinence du Bloc, il est beaucoup trop tôt pour écrire son avis de décès.
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mcornellier@ledevoir.com
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