«Le droit d’être islamophobe»: la petite phrase qui déchire La France Insoumise

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LE SCAN POLITIQUE - Lors des «AmFis d’été» de La France Insoumise le week-end dernier, le philosophe Henri Peña-Ruiz a déclaré qu’on avait «le droit d’être islamophobe», évoquant le droit de critiquer la religion sans pour autant s’en prendre aux musulmans. Un raisonnement qui divise de la France Insoumise... jusqu’au sein du mouvement présidentiel.



C’est un tweet (depuis supprimé) qui a mis le feu aux poudres. «“On a le droit d’être islamophobe”. Henri Peña-Ruiz, philosophe, lors de son discours sur la laïcité aux AmFis2019», a écrit vendredi dernier un militant LFI, lors d’une conférence sur la laïcité à l’université d’été des Insoumis. La phrase est en fait largement sortie de son contexte. Henri Peña-Ruiz, philosophe proche de La France Insoumise, a en réalité déclaré: «Le racisme antimusulman est un délit. La critique de l’Islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un. On a le droit d’être athéophobe, comme on le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être catophobe».


Pas «approprié» pour les cadres LFI


Qu’importe le contexte ; le passage «on a le droit d’être islamophobe» ne passe pas chez certains au sein de La France Insoumise. C’est avant tout la sémantique qui dérange. «C’est choquant car l’islamophobie, c’est l’hostilité aux musulmans et à l’Islam», a par exemple estimé sur Twitter Madjid Massaouedene, élu à Saint-Denis, qui, à la suite de cet épisode, a pris ses distances avec LFI. «Arrêtez de faire semblant de ne pas comprendre que cette situation n’est pas juste du fait de l’interv’ de Pena-Ruiz, elle est le résultat de deux ans de sorties islamophobes, notamment de certains élus qui n’en ont jamais raté une pour rabaisser les femmes voilées», a violemment dénoncé mardi sur Twitter Taha Bouhafs, ancien candidat LFI aux législatives, proche du comité Adama Traoré. Le jeune homme de 22 ans s’était déjà offusqué lors des «AmFis d’été» et le ton était monté avec Benoît Schneckenburger, philosophe et responsable du service d’ordre de Jean-Luc Mélenchon. La sécurité avait même été contrainte d’intervenir.


Les élus Insoumis de Seine-Saint-Denis ont également interpellé le mouvement dans une lettre ouverte. Ils rappellent qu’«Henri Peña-Ruiz est agrégé de philosophie» et qu’il est «impossible de se réfugier derrière l’argument de la décontextualisation». «Au fond, sa thèse est limpide: s’il est condamnable de s’en prendre à une personne à cause de sa religion, on peut néanmoins être tranquillement islamophobe puisqu’il n’y a rien de répréhensible à s’en prendre à une religion “en elle-même”», déplorent-ils.






D’abord silencieux, consicents du caractère inflammable de la polémique, les cadres de La France Insoumise sont finalement sortis du silence. Sur son blog mercredi, Bastien Lachaud, député de Seine-Saint-Denis, a défendu Henri Peña-Ruiz, assurant que le philosophe «laïque et antiraciste» avait tenu des propos qui «se rangent sans ambiguïté dans la critique du dogme». «Et ce n’est pas être raciste que de critiquer le contenu doctrinal d’une religion, en bloc ou en détail», a-t-il souligné. Il a toutefois reconnu que le «mot “islamophobie”» n’était pas «approprié» et «crée le doute sur ce qu’il désigne». «Il vaut mieux désigner cette haine par son nom: le racisme», a estimé Bastien Lachaud, s’en référant à Albert Camus: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde».


Mélenchon avait le même raisonnement en 2015


Sur France Info jeudi, Clémentine Autain, une autre députée LFI de Seine-Saint-Denis, s’est, elle, dite «en désaccord» avec le philosophe. «Ce mot “Islamophobie” désigne aujourd’hui le rejet des musulmans dans le langage courant», a-t-elle souligné. La députée Insoumise, qui s’est depuis quelques mois éloignée du noyau dur du mouvement, a aussi estimé que même «étymologiquement, ce n’était pas terrible». «Phobie, cela veut dire peur, (donc), peur de l’Islam. Je ne crois pas que le terme de “peur” soit tout à fait approprié pour une critique rationnelle de la religion», a-t-elle affirmé. Clémentine Autain a notamment évoqué le «contexte particulier». «On ne peut pas faire pas comme s’il n’y avait pas une offensive de l’extrême droite qui vise à stigmatiser les musulmans et comme s’il n’y avait pas des polémiques du matin au soir contre (cette) religion. La critique des religions bien sûr, mais on est dans un moment où il y a une focalisation sur une religion», a-t-elle regretté.


Discret depuis la débâcle des élections européennes, Jean-Luc Mélenchon, actuellement en Amérique du Sud, n’a pas réagi à la polémique. Le 24 janvier 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, le leader de La France Insoumise défendait toutefois sur France 5 le même point de vue que celui du philosophe. «C’est une erreur totale de confondre le racisme et l’islamophobie, de qualifier l’islamophobie de racisme. (...) On a le droit, et même pour certains d’entre nous, le devoir de faire la critique impitoyable des religions dont je considère qu’elles ont une contribution inouïe à la guerre entre les êtres humains et à la détestation mutuelle».




La polémique déborde jusqu’à la majorité


La polémique est arrivée jusqu’au sein du gouvernement. Julien Denormandie, ministre du Logement, a affirmé mercredi dans un tweet que «même si ce n’était pas l’intention de l’auteur, les propos tenus aux AmFis donnent le sentiment que c’est normal d’être islamophobe, ce dont beaucoup de Français sont victimes. Non, ce n’est pas normal, non, “on n’a pas le droit” d’être islamophobe», a-t-il souligné.






Sa collègue, Marlène Schiappa, secrétaire d’État pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes et de la Lutte contre les discriminations, a, elle, eu un point de vue plus nuancé. «On peut partager, ou non, les opinions politiques d’Henri Peña-Ruiz (je ne les partage pas). Mais ses livres sur la laïcité sont des références. Sa rigueur intellectuelle est incontestable. Débattons sur la base de ses livres plutôt que d’un tweet tronqué et déformé», a-t-elle demandé sur Twitter mercredi. «Il n’est pas permis de discriminer ou d’insulter des croyants en raison de leur religion. Mais il est permis de débattre et de critiquer les religions. C’est le sens de son expression. Il me semble nécessaire de défendre ces deux affirmations», a-t-elle également indiqué.