(Texte publié dans Le Devoir du mardi 27 novembre 2007)
Nous avons tous vu ces images terrifiantes des manifestants qui, à la fin du Moyen Âge, paradaient dans les rues en se flagellant. Ces comportements masochistes étaient l’effet d’un malaise profond, d’une mentalité morbide qui portaient ces gens à se torturer, à se déprécier à leurs propres yeux, à se faire souffrir.
Quand je considère l’image que beaucoup de Québécois projettent d'eux-mêmes dans les débats qui secouent la société québécoise dans le sillage des activités de la Commission Bouchard-Taylor, je ne peux m’empêcher de les comparer à des flagellants qui se complaisent dans leurs petits ou grands malheurs, qui s’obstinent à se nier eux-mêmes, à se déprécier à leurs propres yeux, à se faire souffrir, à s’avilir, à noircir leur passé et à s’accuser de tous les maux.
Ce qui explique à mon avis ces comportements étranges, c’est notre mentalité de colonisés qui nous a fait perdre confiance en nous-mêmes, qui nous porte à nous nier nous-mêmes. Il faudrait actuellement effectuer une vaste opération de récupération de notre héritage culturel et social. Il n’est pas vrai que nos parents et nos grands-parents étaient des abrutis, des étroits d’esprit et des fanatiques. Il n’est pas vrai que la religion catholique les a empêchés de vivre, qu’ils étaient timorés et frustrés. C’est ma conviction que ce sont nos contemporains qui sont des frustrés et ils projettent leurs propres frustrations sur le passé québécois qu’ils ignorent.
Le discours sur le Québec d’hier que propagent les médias est souvent faux, tronqué, affligeant. À entendre ces nouveaux clercs, cent fois plus dogmatiques que ceux d’autrefois, le catholicisme aurait « décervelé» les Québécois, en aurait fait des gens étroits d’esprit et fanatiques, superstitieux, jansénistes, etc. Une telle perception des Québécois, des Canadiens français qui nous ont précédés, est l’effet de préjugés hideux et d’une grande ignorance qui sont le produit de notre mentalité de colonisés. Le colonisé se méprise lui-même, s’accuse de tous les maux comme l’ont bien montré les analyses des théoriciens de la décolonisation.
Il faudrait actuellement entreprendre une grande campagne d’information sur l’histoire du Québec. Il ne s’agit pas de nier les erreurs qui ont été commises. Il faut les reconnaître, mais il faut aussi voir ce qu’il y a de positif dans le Québec d’hier et d’aujourd’hui. Actuellement, quand on parle de l’Église, du clergé, des religieuses, c’est presque toujours pour les blâmer et les critiquer. Il suffit de lire un peu l’histoire pour constater que notre histoire n’a pas que des côtés sombres. Je pense aux religieuses qui ont fondé les hôpitaux au début de la colonie. Les Indiens qu’elles accueillaient étaient étonnés de leur bonté et des soins qu’elles leur donnaient. Quelqu’un m’a raconté avec quel dévouement, quelle générosité, des religieuses qui enseignaient au primaire dans les écoles du nord, s’adonnaient à leur enseignement et s’occupaient aussi des pauvres et des malades. Et on pourrait multiplier les exemples. Il est étrange que dans les discours sur le Québec d’hier, on ne parle jamais en bien de tout ce que l’Église a fait dans la vie paroissiale, l’éducation, la famille, la société. On ne relève que les faiblesses, les travers, comme si, dans la société d’aujourd’hui, on échappait à toutes les misères de la condition humaine.
Je vois dans ces jugements biaisés et souvent carrément injustes, le refus par les Québécois de leur propre identité. Je parle ici des Canadiens français du Québec qui forment plus de quatre-vingts pour cent de la population. Qu’ils le veuillent ou non, les Québécois sont de culture catholique. Je ne parle pas de la foi, mais de la culture. Les Canadiens français ne sont pas hindous, ou musulmans, ou bouddhistes... S’ils ne sont pas catholiques, qu’est-ce qu’ils sont? Le problème des Québécois, c’est qu’ils refusent leur identité. C’est la réaction d’un peuple colonisé. Comment peut-il sortir de cette misère? Il ne peut le faire qu’en se prenant en main, en s’assumant lui-même. L’indépendance ne réglerait pas tout, mais elle rendrait possible une reconquête de notre identité, serait un acte d’acceptation de nous-mêmes.
Les nouveaux flagellants
Le discours sur le Québec d’hier que propagent les médias est souvent faux, tronqué, affligeant.
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1 commentaire
Jean Pierre Bouchard Répondre
26 novembre 2007En tentant d’éclaircir les articles des messieurs Roy et Poulin.
J’ajouterais d'abord ceci. Qui s’opposera
aux images mentales dégagées par le catholicisme québécois en rapport avec ces pratiques
rituelles. Qui s’opposera à la réunion de famille autour de la messe de minuit à Noël. Combien
prétendront se proclamer indifférents à la double dimension sociale et politique que l’on trouve
dans le récit de l’évangile. Jésus Christ selon une approche agnostique de la chose apparaît
comme une des premières figures de la révolte pacifique contre la domination de l’homme
par l’homme. Sous un angle profane c’est également un modèle exemplaire du sort réservé à ceux qu’on
sacrifie au fil de l’histoire dans le rôle de boucs émissaires afin de réduire les frustrations de
communautés ou de groupes sociaux.
Il y a donc en bref ce catholicisme de la beauté du rite comprenant
chants, musiques, l’art pictural et la splendeur verticale des églises incarné aussi au fil du temps par un catholicisme du service social
qui avant d’imposer l’autorité de normes dans la société a défendue l’idée que chaque personne de façon
inconditionnelle mérite respect. Cette église là simple qui a existé à son échelle n’en n’a pas moins vu parallèlement apparaître l’existence d’une institution religieuse qui s’est structuré sur un mode pyramidal en distribuant interdits et prescriptions sans considération particulière ni sensibilité morale à la condition vécue d’une
multitude d’individus.
Rien n’est simple. Dans le christianisme, on y trouve une part de combativité mais aussi une bonne part
de résignation. Le combat pour la justice chez l’humanité a souvent trouvé sur son chemin la voie de la retraite ou du renoncement dans l’intention de vaincre les passions intérieures. La tradition chrétienne est constituée à la
fois de volontarisme et de fatalité. Le problème c’est que le christianisme des mœurs outrancier a pris le dessus au point d’en être rejeté avec tout son cléricalisme qui s’est targué en plus d’être princier.
Sans trop se répéter sur le sujet, la collaboration de l’église canadienne française avec les autorités coloniales
n’a rien arrangé. Ce qui globalement selon les points soulevés devait tôt ou tard finir par précipiter sa chute.
À proprement parler sur la question du Québec hier et aujourd’hui, la pensée politique du Canada français de nos autorités catholiques est au mieux d’une naïveté déconcertante. Cette formule est exprimée ainsi parce que la majorité des archevêques et évêques québécois en 2007 sont toujours des fédéralistes. Et si cela est ainsi ce
n’est pas par *hasard.
Le christianisme est vaste et c’est pourquoi ici ou ailleurs on peut en retenir certains aspects au détriment de d’autres tout dépendant de nos sensibilités philosophiques.
*Voir : Le drôle de pardon du cardinal Ouellet. Jean Pierre Bouchard