COUILLARD ET L’AFFRONT DE 1982

Levée de tabou

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L’apprenti sorcier

« Pas d’appétit nulle part » : c’est par cette formule facile, entre autres, qu’on a voulu balayer sous le tapis le dernier épisode où Philippe Couillard a osé évoquer la question constitutionnelle. Un fait est occulté ici : en revenant crânement sur ce sujet lors de moments clés, le chef libéral rompt avec le détestable tabou à propos d’un vice fondamental de cette fédération. Et si l’appétit venait en mangeant ?
C'est au moins la troisième fois que Philippe Couillard évoque le problème grave que représente l’absence de la signature du Québec au bas de la Constitution de 1982. Et la troisième fois qu’en ces matières, il semble saisi par une bipolarité, relativisant promptement ce dossier, malgré des propos initiaux très affirmatifs.

Le premier épisode ? Il remonte à son élection à la tête du Parti libéral du Québec, en mars 2013. « On ne peut pas vouer à l’oubli un enjeu aussi fort sur le plan des symboles », dit-il en insistant. Il invitait même les Québécois à « reprendre l’initiative de cette discussion ». De nombreuses dénégations avaient suivi. Mais en pleine campagne électorale, un an plus tard, le chef libéral revenait directement sur le sujet : « Dans les premiers jours de notre gouvernement, on va parcourir le pays, rencontrer toutes les provinces et tous les territoires canadiens, et rencontrer le gouvernement fédéral, d’abord et avant tout pour parler d’économie et d’emploi, et en indiquant chaque fois notre espoir et notre désir que la question du caractère spécifique du Québec soit un jour reconnue pleinement par la Constitution canadienne. »

Il ne faut donc pas se surprendre que samedi, quelque six mois après son élection de façon majoritaire (minoritaire du point de vue des voix obtenues, souligne Daniel Turp dans notre page Idées), tout un chacun ait cru qu’il réitérait, devant Stephen Harper, ses propos de mars 2013 et de mars 2014 : « À l’aube du 150e anniversaire du Canada, les Québécois souhaitent que le pacte qui lui a donné naissance soit réaffirmé. »

En réaction aux reportages concluant qu’il entendait signer la Constitution dès 2017, M. Couillard a choisi une fois de plus la dénégation. C’est l’économie la « priorité quotidienne »…, a-t-il précisé, non sans ajouter toutefois ; « tant mieux si on fait avancer » le dossier de la non-adhésion du Québec dans 1982.

Un pas en avant, un pas en arrière, diront certains non sans raison. La position de M. Couillard est en effet plus que sinueuse. Mais admettons qu’il y a ici un aspect intéressant : il y a des pas en avant ! Car depuis le non au référendum de 1992 sur l’accord de Charlottetown, les fédéralistes québécois ont pris l’habitude de traiter la question constitutionnelle comme un tabou absolu. Ainsi, ils se sont souvent montrés prêts à mettre de l’eau dans leur vin, voire à abandonner toute revendication, surtout en matière d’institution, de peur de faire le jeu de l’adversaire souverainiste. Ce tabou a souvent fait oublier la nécessaire défense des intérêts du Québec dans un pays qui continue à évoluer. Ce n’est peut-être pas tant le Bloc québécois qui a marginalisé le Québec à Ottawa que ce fédéralisme muet.

Or, tous les jours, des questions impliquant la loi fondamentale surgissent : Sénat, monarchie, réglementation des valeurs mobilières, etc. Puisque le débat constitutionnel est verrouillé, les questions institutionnelles litigieuses sont systématiquement confiées à une Cour suprême pourtant nommée exclusivement par Ottawa, de manière souvent directe, par renvoi. Que le premier ministre du Québec ose rappeler l’affront de 1982, qu’il ose, comme fédéraliste, évoquer des réparations, constitue une levée de tabou intéressante. C’est peut-être même là le premier pas vers un retour de l’appétit.


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