Omnibus C-10

Marc Bellemare, en rupture avec la civilisation

Québec c. Canada — le Québec entravé


«Moi, je pense que le gouvernement du Québec est en rupture avec la population du Québec sur la question de la sévérité [des peines]. Je suis convaincu que, sondage à l'appui, les Québécois veulent une justice plus sévère.»
- Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice du Québec, le 22 février dernier, devant le comité du Sénat étudiant le projet de loi C-10, adopté depuis.


La «sagesse populaire» peut, certes, faire autorité en certaines circonstances. [...] Mais lorsqu'il est question de discuter des fondements de la société, dont le traitement de la criminalité, comment peut-on s'en remettre aveuglément aux humeurs du plus grand nombre sans tenir compte des connaissances de l'être humain accumulées au cours des siècles et reconnues comme «sciences sociales»?
Un des rares critères objectifs de l'avancement de la civilisation occidentale est l'humanisation du droit pénal par la compréhension de la fabrication du criminel en regard des facteurs sociaux, économiques et mentaux de la délinquance. Cet «adoucissement des moeurs» est une conquête sur la perception du crime comme étant un choix délibéré de mal agir dans un esprit de méchanceté, sinon en vertu d'une tare de naissance qui attend de se manifester. Ce courant évolutif, ayant pour objet la réhabilitation et la réinsertion sociale du délinquant, est certainement le principal facteur de la diminution du taux de criminalité dans les sociétés les plus industrialisées depuis 40 ans.
Le gouvernement du Québec n'est pas en rupture avec la population, c'est Me Marc Bellemare qui est en rupture avec la civilisation. S'il faut pardonner, par pitié, à Pierre-Hugues Boisvenu sa férocité vengeresse au nom du «droit des victimes», malgré l'extraordinaire dommage qu'il en résulte dans l'esprit populaire, on peut difficilement respecter les convictions exprimées par Me Bellemare. Ayant grandi dans une société tolérante sortie d'une «grande noirceur» moraliste et répressive, ayant accès à toutes les connaissances, études, travaux, statistiques démontrant que l'augmentation des peines de prison ne contribue nulle part à diminuer le taux de criminalité, il faut se demander, puisque chaque homme porte en lui la profession qu'il souhaiterait voir prospérer, comment un jeune avocat amateur d'art, un défenseur de la veuve et de l'orphelin contre la machine administrative soit devenu un geôlier zélé, inaccessible aux données de la science.
Non à la contribution des détenus
L'idée de Me Bellemare de faire «contribuer financièrement» les prisonniers à leur emprisonnement heurte toute la philosophie du droit pénal, dont le premier principe est de ne pas exposer un criminel à plusieurs sanctions pour le même crime. Si l'État choisit la privation de la liberté comme principale sanction du crime, il doit assumer seul la responsabilité de gérer, d'administrer et de pourvoir à l'application des sanctions prévues par la loi. Le criminel est bien suffisamment puni par la privation de sa liberté. Pour preuve, à l'inverse de la pensée de Me Bellemare, essayons de prévoir une mesure permettant de «racheter» sa sentence à la société... On verrait les condamnés se dépouiller complètement ou s'endetter à vie pour conserver leur liberté!
Restauration de la peine de mort?
De s'en remettre à l'opinion populaire serait tout aussi pernicieux en ce qui concerne la peine de mort, dont la restauration serait une suite logique des propositions de Marc Bellemare et du gouvernement de Stephen Harper. Nulle part la peine de mort n'a été abolie par référendum ou par sondage, mais toujours par des dirigeants éclairés conscients du sens de l'histoire. La peur et l'ignorance sont le lot commun de l'humanité, dont se libère péniblement la civilisation. Mais rien n'est acquis, car le réflexe de vengeance envers le crime génère le fantasme de mettre à l'écart son auteur, le plus longtemps possible, ou pour toujours. Ce processus ne relève pas de l'intelligence, ni de rien d'humain d'ailleurs.
Criminalisation des jeunes
La mesure la plus dramatiquement contraire à l'évolution de la pensée humaine contenue dans le projet de loi C-10 est la possibilité de poursuivre de jeunes adolescents pour des «crimes graves», tels que le meurtre. Mais au nom de quelle logique? En vertu de quel principe? Un enfant est un enfant. Le fait qu'il soit criminalisé est un signe évident de carence affective, d'éducation et d'immaturité. En le poursuivant comme un adulte, la société adopte un traitement exactement contraire à son état! Le moins que l'on puisse penser, ce me semble, est que pour connaître la valeur de la vie il faut avoir un peu vécu!
Encore là, la croyance selon laquelle l'auteur d'un crime est essentiellement «méchant», mauvais, qu'il a fait le mal par plaisir, est le fondement d'une telle vision barbare. Mais personne n'est méchant; il n'y a que des malheureux qui ne veulent pas être malheureux tout seuls. De là le devoir de tout gouvernement de promouvoir le plus grand bonheur pour le plus grand nombre.
Abrutissement nocif pour la société
Les États-Unis d'Amérique sont à la fois le meilleur laboratoire de traitement du crime, et à la fois la démonstration de la désintégration d'une société prisonnière de préjugés moraux d'un autre âge. Une recherche minimale nous apprend que les plus hauts taux de criminalité vont de pair avec les plus hauts taux d'incarcération. La violence des rapports entre les citoyens est-elle équivalente à la violence de l'État envers les citoyens? Poser la question, c'est y répondre. C'est d'ailleurs dans les États qui connaissent le plus d'exécutions qu'il y a le plus de meurtres...
Pire encore, les conséquences de la prison à long terme, ou des peines minimales, sans tenir compte de la personnalité du délinquant ou des circonstances de l'infraction engendreront d'autres problèmes sociaux. Désespoir, rage contre la société, violence et agressions sexuelles sont inhérents à l'univers carcéral. Aux États-Unis, on a constaté que plus longtemps un individu demeure en prison, plus il contracte de maladies et de virus, comme le sida ou l'hépatite C, qu'il communique ensuite à sa sortie... Toute prétention voulant qu'une justice plus répressive assure une meilleure protection des citoyens est mensongère, essentiellement formulée par l'ignorance, l'aveuglement volontaire, ou la mauvaise foi.
Puisque ces horreurs s'abattront bientôt sur nous, toutes les mesures devront être prises pour limiter les dégâts afin de le Québec demeure, avec l'Europe, une composante du fer de lance de la civilisation. Et parce que la civilisation passe avant le pays, il faut saluer l'honnêteté intellectuelle des partis d'opposition, au Québec, qui approuvent tacitement la position du ministre Fournier. Le débat sur le projet de loi C-10 nous aura quand même donné le beau spectacle d'un ministre québécois fédéraliste parlant le même langage que le poète souverainiste devant qui je m'incline en conclusion.
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«Puis les enfants, c'est pas vraiment méchant; ça peut mal faire ou faire mal de temps en temps; ça peut cracher, ça peut mentir, ça peut voler; au fond, ça peut faire tout ce qu'on leur apprend.» Paul Piché, L'escalier
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Pierre Fortin, avocat


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